La France tranquille d’Olivier Bordaçarre est le roman français dont on cause pas mal ces derniers temps sur les blogs. Et c’est bien mérité.
Nogent-les-Chartreux, son centre historique piéton, ses zones commerciales, son restau pour notables, ses bars, ses jeunes qui s’emmerdent, ses petits commerçants, ses caméras de surveillance, son quartier défavorisé, sa brigade de gendarmerie, son musée de la marionnette … Depuis quelque temps aussi, ses chômeurs, ses licenciements, sa crise. Et puis d’un coup, son tueur en série et la psychose qui monte, la trouille, la méfiance et leur cousine, la haine. Alors que la ville descend la spirale infernale, que les morts s’accumulent et que la violence déteint sur tous les habitants, le commandant de gendarmerie Paul Galand, 130 kilos de déprime et de mal être tente de sortir de son apathie pour sauver ce qui peut encore l’être …
Ne tournons pas autour du pot, je partage l’enthousiasme de tous, de Holden, de Manu, de Yan etc … Mais avant de dire pourquoi j’ai beaucoup aimé, je vais juste faire deux petites critiques, gratter là où ça m’a agacé, pour m’en débarrasser et revenir à tout le bien que j’en pense …
Pour commencer j’ai l’épiderme très (trop ?) sensible et certains effets de mode dans le langage m’horripilent de façon absolument disproportionnée. Et parmi ces tics, un qui me hérisse est l’usage répété de l’adjectif improbable sensé faire joli, ou poétique ou je ne sais quoi. Et là, dès le début, deux improbables dont celui-ci : « L’homme et les femmes, couple improbable au bord du vide ». Ouille merde me suis-je dis … Et puis finit, terminé avec improbable. Ouf !
Deuxième machin qui gratte : le premier dialogue entre Paul et son fils Gregory m’a semblé complètement … improbable (hihi). Trop d’anglicismes dans le bouche du fils. C’est pas possible, j’ai jamais vu quelqu’un parler comme ça, et même si c’était possible, son père aurait dû l’envoyer paître tout de suite (parce que c’est pas toujours un gentil patient le père). Après je ne sais pas si je me suis habitué, ou si Gregory a un peu mis la pédale douce sur les « man », « you know what » et autres « bad trip » mais ça ne m’a plus choqué.
Tant qu’on en est au style, tout le reste j’adore ! J’adore les gueulantes de Galand, j’adore la description clinique de la montée de la violence dans la ville, faite de superposition de phrases allant crescendo, j’adore les blagues du style : « Dans les files d’attente bavardes, le lieu commun du poissonnier rivalisait avec le truisme du charcutier. », j’adore le joli clin d’œil à Brassens « Une patrouille de quatre gendarmes bien inspirés […] intervint pour tenter d’interrompre l’échauffourée », j’aime que le glandeur sculpteur s’appelle Giacomet et le maire Henry Bourges (je sais, je suis parfois facile à satisfaire) … Et je me dis que j’ai dû en rater pas mal, que comme dans les Rubriques à Brac il faudrait tout relire pour chercher les « coccinelles » qu’il a semées ici et là …
Ensuite c’est très fort dans la construction de l’intrigue. On part d’un machin très très cliché : Le serial killer qui se venge d’une offense plus ou moins imaginaire, c’est pas neuf. Mais ce qu’il en fait est totalement neuf, même du point de vue de la construction. Car, au début on s’en fout un peu, on est concentré sur les personnages et surtout sur la description clinique de cette petite ville de la France tranquille. Mais peu à peu, comme Garand, on se prend au jeu, on se met à trembler, à être fébrile, à participer enfin à la traque. Très fort !
Enfin il y a le fond. Et là Olivier Bordaçarre fait très fort. Sans prêche, sans démonstration, il décortique, par la seule force de ses descriptions, l’engrenage qui entraîne une petite ville sans histoire, ni meilleure ni pire qu’une autre, ni plus solidaire ni plus égoïstes qu’une autre, vers une société totalitaire, où tout le monde est surveillé, où la chasse à celui qui sort de la « norme » autoproclamée est ouverte et encouragée.
Car c’est bien ça l’histoire. Et c’est là que le final est très faussement rassurant. Certes le tueur est arrêté, certes tout semble rentrer dans l’ordre. Mais plus rien ne sera pareil, la bête a montré sa trogne, elle est sortie de la tanière et n’a pas été inquiétée. Alors elle est là, tout près, toute prête, attendant la prochaine occasion.
Thierry Di Rollo nous a dit la même chose d’une façon différente, ne doutons pas que Jérôme Leroy ne le dise pas aussi dans son Bloc, à lire dans la série noire dans quelques jours. Cela fait beaucoup en quelques semaines. Il faudrait peut-être commencer à les écouter tous.
Olivier Bordaçarre / La France tranquille, Fayard/Noir (2011).