J’avais lu le premier James Carlos Blake traduit en France, l’excellent Les amis de Pancho Villa, mais cela faisait un moment que je ne m’étais pas replongé dans l’univers de cet écrivain atypique, spécialisé dans les épopées historiques et sanglantes. L’occasion faisant le larron, c’est la sortie de Red Grass River qui m’a permis de constater qu’il n’a rien perdu de son talent.
Pendant douze ans, de 1912 à 1924, la famille Ashley, maîtresse incontestée des Everglades en Floride défie la police locale. Distillation clandestine, contrebande d’alcool, braquages, racket des concurrents … seul Bobby Baker, shérif de Palm Beach qui a des comptes personnels a régler avec John Ashley, le fils le plus entreprenant de la famille se dresse face à eux. Avec des méthodes qui font dire aux témoins que cela devient une guerre entre le gang Ashley et le gang Baker. Mais la lutte est inégale et, comme le reste du pays, ce coin de marécages ne pourra faire autrement que d’accepter la loi et la « civilisation ».
Après l’ouest américain et le Mexique James Carlos Blake s’intéresse ici à la partie la plus sauvage de la Floride. Avec une thématique récurrente dans les grands westerns : le moment où la loi rattrape la frontière, celui où les pionniers, ceux qui vivaient hors la loi (parce qu’elle n’était pas arrivée) doivent s’y soumettre, de gré ou de force. Souffle épique, force de l’écriture, belles descriptions d’une nature encore sauvage, violence des rapports humains …
Tout ce qui a fait la beauté des précédents romans de l’auteur se retrouve ici pour cette fresque passionnante pleine de bruit et de fureur. Un affrontement de légende entre deux forces, entre deux modes de vie, l’un finissant, l’autre en pleine expansion. Un affrontement dans lequel l’auteur ne prend pas parti : pas de bons et de méchants ici, pas de blanc et de noir, les membres du clan Ashley, à commencer par leur patriarche sont sanguinaires, violents, sans pitié, le clan d’en face, sensé représenter la loi ne la respecte pas davantage et sait aussi se montrer d’une infinie cruauté.
Cela n’empêche pas le lecteur, pris dans ce maelstrom, de ressentir de la tendresse pour tel ou tel, et de souhaiter par moment la victoire du camp qui, on le sait depuis le début, est par avance condamné par la marche du temps.
Un très beau roman, comme le dit aussi très bien l’ami Yan.
James Carlos Blake / Red Grass River (Red Grass River : a legend, 1998), Rivages/Thriller (2012), traduit de l’américain par Emmanuel Pailler.