Voilà sans doute un auteur dont les chroniqueurs radio et télé éviteront de parler tant son nom est imprononçable. Et c’est bien dommage. C’est le troisième roman que je lis de Duane Swierczynski, et s’il ne faut pas crier au génie, c’est la troisième fois que je prends beaucoup de plaisir. Le dernier s’appelle Date limite.
Mickey Wade est un raté de la plus belle eau : Sans un sou de côté, il vient de se faire virer du journal où il bossait depuis des années. Réduction d’effectifs. Il se retrouve alors avec quelques dollars en poche, obligé de s’installer dans son quartier de naissance, l’ancienne banlieue ouvrière de Philadelphie devenue une zone en pleine décrépitude. Il y occupe l’appartement vieillot de son grand-père. Tout semble parti pour une lente noyade dans l’ennui et la misère. Mais, car il y a un mais, un soir de gueule-de bois Mickey ne trouve rien d’autre à se mettre sous la langue que de vieilles pilules trouvées dans l’armoire à pharmacie du papi. Et le voilà projeté en 1972, l’année de sa naissance. A son « retour » il découvre qu’il peut voyager dans le passé à sa guise et entreprend d’arranger sa vie familiale. Est-ce vraiment une bonne idée ?
On connait donc déjà ici Duane (je vais l’appeler Duane) pour deux romans assez déjantés, The blonde et A toute allure. S’il est ici plus calme et va un peu moins vite, il continue à tout oser, même le thème ô combien casse-gueule du voyage dans le temps, et s’en sort encore avec une bien belle élégance.
Une fois de plus, et sans jamais donner l’impression de chercher à écrire le roman du siècle, il dresse le portrait d’un joli looser, d’un de ces perdants sympathiques que l’on aime tout de suite. Pauvre Mickey qui, chaque fois qu’il tente quelque chose (ou presque) arrive juste à faire empirer la situation.
Et sous de dehors de joyeux je m’en foutiste, l’auteur fait preuve d’un sacré savoir-faire. Imaginez, des histoires de « et si je rencontre mon père et que je lui fais avoir un meilleur poste ; et si je crêve les pneus de la voiture qui a écrasé mon chien avant qu’elle démarre ; et si … » on en a lu quelques-unes, pas toujours réussies. Et bien celle-ci arrive à renouveler le genre, mêle très habilement polar et SF, en profite pour peindre de façon très humaniste une époque (les années 70) et ses quartiers populaires et ouvriers, et montre l’évolution de ces quartiers une fois la classe populaire décimée …
Bref on ne s’ennuie pas une seconde, on est touché, et l’auteur se permet même une fin en happy end fort agréable, sans gnangnan et sans tomber dans la pièce montée pleine de crème, si vous voyez ce que je veux dire.
Décidément j’aime beaucoup ce monsieur Swierczynski.
Duane Swierczynski / Date limite (Expiration date, 2010), Rivages/Noir (2014), traduit de l’américain par Sophie Aslanides.