Suite des lectures de rentrée avec Le monde à l'endroit de l'américain Ron Rash. On l'avait découvert avec Un pied au paradis, très bon polar, et j'avais ensuite été complètement emballé par Serena. Le monde à l'endroit confirme l'entrée de cet auteur dans le cercle très restreint de ceux que je suivrai jusqu'au bout, quoi qu'il arrive.
Travis Shelton, 17 ans ne sait pas quoi faire de sa vie dans ce coin des Appalaches. Un père, cultivateur de tabac n'est jamais content de lui, il a laissé tomber le lycée, et ses copains ont pour seules activités : picoler, gober des cachets, et rouler. Autant dire que son avenir semble bouché.
Il croit avoir une chance quand il tombe, en pêchant dans un coin perdu, sur des pieds de cannabis. Une récolte clandestine lui rapporte un peu d'argent, mais à sa troisième visite il tombe sur le propriétaire des plants et la rencontre se termine mal.
Une dure leçon, mais aussi l'occasion de rencontrer un marginal, ancien prof, qui va réussir à lui donner le goût du savoir et lui révéler l’histoire sombre de ce coin perdu au temps de la guerre de sécession.
Grand texte. Inutile d’ergoter pour savoir si c’est un polar, un roman noir, un roman social … C’est un grand roman, point. Ron Rash dans la lignée directe d’auteurs comme Erskine Caldwell (la référence à La route du tabac semble … évidente), ou, plus proches de nous, du regretté Larry Brown ou de l’immense Daniel Woodrell. Voilà c’est dit. Non seulement il fait partie de cette famille, mais il en est un digne représentant.
Même intérêt pour les oubliés du rêve américain, tellement oubliés qu’on ne croirait jamais être dans le même pays. Même écriture limpide, âpre qui sait aussi se faire poétique et lyrique. Même empathie sans complaisance pour les personnages, perdants condamnés d’avance et qui pourtant se battent jusqu’au bout. Même capacité à créer des personnages inoubliables, victimes certes, mais pas victimes consentantes, décrits avec une grande humanité mais sans angélisme.
Ajoutons ici un regard sur la passé et ses fantômes, regard d’autant plus intéressant que pour le lecteurs français, les plaies de la guerre d’Espagne, d’Algérie ou du Vietnam sont « connues », mais, à part parfois chez James Lee Burke, on n’imagine pas que la guerre de Sécession puisse encore avoir laissé des traces. Et pourtant, quelle traces, et quelle superbe façon de les rendre palpables !
Pour finir, la progression dramatique parfaitement maîtrisée malgré l’apparente lenteur du récit. Bref vous n’avez aucune excuse, lisez Ron Rash.
Ron Rash / Le monde à l’endroit (The world made straight, 2006), Seuil (2012), traduit de l’américain par Isabelle Reinharez.