J’avais bien aimé le premier Ron Rash traduit en français, Un pied au paradis. Une belle découverte même si je j’étais moins enthousiaste que d’autres critiques qui y voyait un chef-d’œuvre. Avec Serena, j’ai le sentiment qu’il franchit un cap. D’ors et déjà, ce roman restera pour moi comme l’un des plus marquants de l’année.
1930, du côté des Appalaches, la crise a jeté des milliers d’hommes et de femmes sur les routes, une véritable aubaine pour ceux qui cherchent une main d’œuvre docile et bon marché. C’est le cas de Serena et George Pemberton qui exploitent (le terme est faible !) une concession forestière. Leur but, tout couper, le plus vite possible, pour passer à la concession suivante, et surtout pour réaliser le rêve de Serena : aller dévaster les inépuisables forêts brésiliennes. Tant pis si le taux de mortalité est particulièrement élevé, les chômeurs font la queue pour remplacer les morts. Tant pis si un projet de parc national est en vue : corruption, menaces et meurtres le ralentiront. Et malheur à celui ou celle qui tenterait de s’interposer entre Serena et ses plans …
Peu de romans ont réussit à incarner de façon aussi saisissante la folie meurtrière, dévastatrice et prédatrice du capitalisme à l’état brut. Peu de personnages ont pu le symboliser avec autant de force que Serena. Elle est effrayante, avec son aigle et son âme damné, exécuteur des basses œuvres … Effrayante dans son inhumanité, dans son intransigeance, dans sa faim de destruction d’une atroce pureté. Serena veut tout avaler, pas pour en tirer du profit, pas pour en tirer du pouvoir, simplement parce que c’est là, à sa portée. Une faim primaire, non raisonnée, avec laquelle aucune discussion n’est possible. Serena, incarnation du capitalisme, c’est le feu, qui brûle tout, tant qu’il y a des choses à brûler, sans raison, sans motif, sans se soucier de ce qu’il deviendra quand il aura tout brûlé. Il brûle parce que c’est sa nature. Absolument effarant, absolument convainquant.
Mais ce n’est pas tout. Dans sa description des conditions de vie juste après la grande crise, Ron Rash se pose en digne héritier d’un Steinbeck ou d’un Caldwell. Avec la même âpreté dans la description de la condition ouvrière, avec la même proximité qui nous fait sentir la pluie, la boue, le froid et la faim.
Et dans le même temps, sans avoir l’air de rien, il construit son intrigue, autour d’une traque qui tarde à émerger mais qui n’en est que plus brutale et plus intense. Une traque d’autant plus prenante que la victime est totalement innocente et sans défense, et que le chasseur est un véritable figure de cauchemar, quasi mythologique.
La langue est à la hauteur. Elle rend magnifiquement les derniers reflets de la beauté détruite, la froideur des prédateurs, l’atroce horreur de la dévastation. Construit comme une tragédie antique (avec son chœur de bucherons qui commentent régulièrement l’action), Serena nous amène, lentement mais inexorablement vers la destruction totale.
Magistral.
Ron Rash / Serena (Serena, 2008), Le Masque (2011), traduit de l’américain par Béatrice Vierne.