Attention, lecture dangereuse ! Une fois de plus José Carlos Somoza va changer votre façon de voir le monde. Après la philosophie grecque, la poésie, la physique quantique ou la peinture c’est le théâtre que vous ne pourrez plus jamais regarder en toute quiétude. La faute en revient entièrement à L’appât.
Madrid quelque part dans le futur. Les techniques scientifiques d’investigation policière ont montré leurs limites, les délinquants trouvant sur internet tous les outils pour les contourner. Mais il existe une arme ultime, connue uniquement d’un petit nombre de personnes. Les scientifiques ont montré que tous les êtres humains sont définis par leur « psynome » qui définit leurs désirs de même que le génome définit notre code génétique. Et ils ont pu les classer en un certain nombre de catégories.
Plus fort, ils ont trouvé, en lisant attentivement les pièces de Shakespeare comment amener chacun (suivant son psynome) à des sommets de plaisir tels que la cible devient entièrement dépendante, folle ou tout simplement morte. En grand secret, des appâts sont entrainés qui savent les gestes et les attitudes qui tuent de plaisir. Ils sont formés pour traquer les délinquants, et en particulier les psychopathes.
Diana Blanco est un de ces appâts, l’un des meilleurs, et elle est sur la piste du Spectateur, tueur en série qui a déjà fait une vingtaine de victimes autour de Madrid. Elle espère qu’il va la prendre, sans se douter qu’elle est un arme mortelle. Quand sa petite sœur Vera est enlevée par le monstre, la chasse devient une course contre la montre. Le Spectateur chasse Diana, Diana chasse le Spectateur … Qui est la proie, qui est le chasseur ?
Attention donc José Carlos Somoza a décodé le psynome de ses lecteurs et la lecture de L’appât induit des conduites totalement addictives. Quand vous le commencez impossible de la lâcher. Vous allez être menés par le bout du nez du début à la fin. Prévoyez donc un week-end pluvieux, pas trop de mouvement autour de vous, choisissez deux ou trois bons fauteuils / canapés / lits et c’est parti.
Comme toujours chez lui, l’idée de départ est à la fois complètement nouvelle et éblouissante de simplicité. On retrouve, un peu, celle de La dame n°13 où la poésie pouvait devenir une arme mortelle. Ici c’est le théâtre et le mimes qui peuvent faire de vous un esclave. Comme toujours, Somoza a le chic pour pousser son idée de départ dans ses derniers retranchements. Assorti à son sens du suspens, hérité de feuilletonistes (il aime conclure ses chapitres sur une situation qui rend le lecteur particulièrement fébrile) cela donne une fois de plus un roman inclassable, totalement original et absolument passionnant.
Qui de plus donne envie lire, relire, voir et revoir Shakespeare, et amène à réfléchir sur un monde où l’on peut se croire de plus en plus conditionné, programmé, manipulé, mais aussi sur la culpabilité, la duplicité, la sincérité …
Mais ça c’est après avoir refermé le livre. Parce que tant que la dernière page n’est pas tournée on n’a qu’une envie, continuer, continuer, continuer, continuer, continuer cont ………………. AAAAAAAAAAAAAAAAAAARGHHHHHHHHH !
José Carlos Somoza / L’appât (El cebo, 2010), Actes Sud (2011), traduit l’espagnol par Marianne Millon.
Pour ceux qui lisent l’espagnol, vous pouvez aller sur le site de l’auteur, où vous trouverez pas mal de matériel ayant servi à l’écriture de l’appât.