Comme annoncé il y a peu, un bonheur (et un Ken Bruen) n’arrive jamais seul, et alors que la série noire publie, enfin, la suite des aventures de Robert et Brant, Jack Taylor est passé chez Fayard, avec Le démon.
Ca y est, Jack quitte l’Irlande et Galway. Comme tant d’irlandais avant lui il part pour les USA. Ou plutôt, il voudrait partir. Car il ne passe pas le poste de police de l’aéroport qui lui refuse son visa et le revoilà chez lui. De quoi replonger durablement dans le Jameson, la Guinness et les tranquillisants. D’autant plus que, alors que les affaires reprennent, il semble avoir attiré l’attention d’un étrange personnage, séducteur, riche, beau gosse et … effrayant et semblant tout puissant. Et tous ceux qui veulent aider Jack meurent très vite, dans des conditions atroces.
Revoilà donc Jack Taylor, le privé qui pourrait n’être qu’un cliché : déprimé, alcoolique, accro aux médocs, mais capable d’être méchant comme une teigne. Une vraie collection de poncifs … et pourtant, un vrai personnage, une humanité à fleur de peau, un des antihéros de polar qu’on a le plus de plaisir à retrouver. Comme quoi, c’est bien les clichés quand on sait les manipuler, et Ken Bruen est un maître en la matière.
Et qui mieux que ce vieux Jack pourrait rendre compte de la catastrophe irlandaise, de l’effondrement après la bulle, du retour à une sorte de point de départ après avoir cru, un instant, qu’il était si facile de devenir riche. Qui mieux que Jack, nostalgique des pubs enfumés où l’on sait encore servir une Guinness, pourrait raconter la désillusion, la galère, et les contradictions d’une société irlandaise qui est entrée d’un coup dans une sorte de mirage économique et de modernité, mais qui continue quand même à suivre les processions religieuses ?
Qui ? Personne.
Un véritable plaisir de suivre cette histoire, davantage chronique qu’enquête (peut-on enquêter sur le Diable ?), de visiter les auteurs et les chanteurs préférés de Jack (et donc de son créateur), de le suivre de pub en pub, de sentir sa hargne, sa mauvaise humeur permanente, d’écouter ses réparties cinglantes, de suivre ses passes d’arme avec les curés, les flics, les voyous …
Un Jack Taylor teinté de fantastique pour un Ken Bruen au mieux de sa forme.
Ken Bruen / Le démon (The devil, 2010), Fayard/Noir (2012), traduit de l’anglais (Irlande) par Marie Ploux et Catherine Cheval.