Au lieu-dit Noir-Etang est un roman relativement ancien (1996) de Thomas H. Cook. Plus ancien du moins que les derniers traduits, des Feuilles mortes aux Leçons du mal. Est-ce à dire qu’il s’agit d’un fond de tiroir repêché pour profiter de la notoriété grandissante de son auteur ? Que nenni, c’était déjà, il y a un peu plus de quinze ans, un grand roman à la construction impressionnante.
Fin des années vingt, dans une petite ville côtière sur sud des Etats-Unis, l’arrivée de Mlle Channing, fort belle jeune femme qui va être professeur d’art plastique à la très sérieuse Chatham School ne passe pas inaperçue.
Cinquante ans plus tard, Henry Griswald, fils du directeur de l’époque, se souvient de cette année qui a changé sa vie. Une année qui se termina dans le sang et le scandale de l’affaire de la Chatham School …
Thomas H. Cook déjà au sommet de son art en 1996. Sa façon de mêler passé et présent, récit et souvenir, d’annoncer le drame dès les premières pages tout en réussissant à en masquer les détails les plus importants jusqu’à la toute fin est d’une finesse et d’une efficacité redoutables. Une construction absolument virtuose, au service de la description sans pitié d’une époque et d’un lieu étouffants, d’une mentalité étriquée, du rejet de tout ce qui peut être différent … le tout allié à une grande humanité et une grande tendresse pour les victimes.
On le voit, toutes les thématiques de ses romans à venir sont là, y compris la relation père / fils, y compris quelques personnages d’une rigidité effrayante. Comment aussi le dysfonctionnement à l’intérieur d’une famille est révélateur de celui d’une société toute entière. Comment un individu peut être détruit par le regard porté par les autres …
Quant à la maîtrise de l’intrigue c’est du grand art. Thomas Cook donne l’impression de tout révéler dès le départ … et pourtant le lecteur se fait embarquer comme un bleu pour ne découvrir la vérité, toute la vérité que dans les dernières pages. Du grand art vraiment.
Thomas H. Cook / Au lieu-dit Noir-Etang (The Chatham school affair, 1996), Seuil/policiers (2012), traduit de l’américain par Philippe Loubat-Delranc.