Un inédit de Harry Crews c’est forcément une excellente nouvelle. Si cet auteur n’est pas présent sur le blog, c’est qu’il y a bien longtemps que je l’ai lu, et j’en garde un souvenir marquant. Autant dire que la parution de Nu dans le jardin d’Eden chez Sonatine est un événement.
Garden Hills, en Floride n’était rien. Puis Jack O’Boylan est arrivé, a payé une fortune au père de Fat Man, le seul habitant qui ait senti le bon coup, puis a commencé à exploiter une mine de phosphate. Garden Hills c’est alors trouvé noyé sous le travail, le monde, l’argent et la poussière. Puis la mine s’est épuisée, Jack est parti, avec lui l’argent et le monde. Seuls sont restés Fat Man et sa fortune, une douzaine de familles et la poussière. C’est dans ce monde de désolation que survivent donc Fat Man, près de trois cent kilos, Jester, tout petit homme « parfait », jockey raté qui est à son service, et quelques autres. Dolly, ex miss Phosphate de retour New York va bouleverser ce petit monde avec son ambition de ramener, à tout prix, l’argent et le monde à Garden Hills.
Même si je vais un peu chipoter, s’il y a une seule chose à dire sur ce roman, la voici : Merci Sonatine et merci Patrick Raynal pour cette traduction. Maintenant on peut chipoter.
Je préfère d’autres romans d’Harry Crews. Voilà, c’est dit. Je préfère Car, Body, Le chanteur de gospel ou La foire aux serpents. Et pourtant tout ce qu’on trouve dans ces quatre romans qui sont mes préférés de l’auteur (avec sa bio extraordinaire, Des mules et des hommes) est aussi présent ici, dans Nu dans le jardin d’Eden.
A commencer par ses personnages à la limite des Freaks. Des paumés, ratés, distordus, faisant subir toutes les avanies possibles à leurs corps. Des gens pauvres, qui n’ont que ce corps et qui, en l’exhibant d’une façon ou d’une autre, vont tenter d’accéder à la richesse. Bien avant la télé « réalité », l’auteur a une façon unique de mettre en scène et en public ces corps torturés, ces performances absurdes. Et de décrire la fascination morbide que tout cela exerce sur le public, sur nous tous.
Comme dans les autres romans, ces histoires ont pour toile de fond le sud étouffant de petits blancs incultes et complètement perdus, vivant dans un pays que l’on a peine à identifier aux grands Etats-Unis d’Amérique. Tout cela est fort bien. Et assorti d’une construction originale (pour l’auteur) qui l’amène à se pencher sur les parcours incroyables de tous ses personnages. On retrouve également son écriture, à la fois âpre, rude et poétique.
Alors pourquoi je chipote ? Parce que j’ai mauvais fond et que je préfère quand il est un peu plus méchant, un peu plus teigne avec ses personnages. Quand le fil du récit est un peu plus tendu. Aussi sans doute parce que j’attendais beaucoup de ce miracle : Un Harry Crews inédit !
Ceci dit, la scène finale est absolument hallucinante, dans la droite ligne de ces quatre romans que j’adore, et mes toutes petites restrictions, toutes relatives, n’empêche qu’il faut le lire ; et qu’il faut en profiter pour relire ou découvrir Harry Crews ; et que j’attends avec impatience les nouvelles trouvailles de Patrick Raynal et Sonatine car j’ai cru comprendre qu’il y aurait d’autres inédits traduits …
Harry Crews / Nu dans le jardin d’Eden (Naked in garden hills, 1969), Sonatine (2013), traduit de l’américain par Patrick Raynal.