C’est la rentrée. Pas encore pour les petits (restent quelques jours), mais pour les romans. A cette occasion une petite nouvelle, canadienne, fait son entrée chez Rivages. Je pouvais difficilement trouver un plus grand contraste avec le roman de George Martin. Autant Armageddon Rag est politique, fantastique et puissant, plein de bruit et de fureur, autant Dernière nuit à Montréal d’Emily St. John Mandel est discret, fugace, tout en nuance et en finesse.
A sept ans Lilia est enlevée par son père par une nuit d’hiver. Avec lui elle passe la frontière entre le Canada et les US puis, jusqu’à 16 ans, ils voyagent à travers tous les Etats-Unis, changeant de nom, de coiffure, d’allure, pour échapper à sa mère et au détective privé qui la cherche. Elle commence alors à voyager seule, incapable de se fixer quelque part.
Des années plus tard, Eli l’accueille quelques mois à New York. Quand elle s’en va, un matin, sans rien dire, il décide de la chercher à Montréal où elle est allée. Montréal où vivait Christopher, le privé qui l’a suivie pendant des années, où vit Michaela, sa fille, qui a l’âge de Lilia. C’est dans cette ville, en plein hiver, que les secrets enfouis vont être révélés.
Un roman étonnant quasi évanescent et pourtant marquant. Les personnages n’ont aucune attache, et ressemblent à ces ballons lâchés lors d’une fête qui partent, avec un petit mot attaché. Un petit mot ou l’une des pièces d’un puzzle qui ne sera entièrement reconstitué qu’à la toute fin, même si le lecteur, peu à peu, commence à deviner la forme dessinée.
Il y a aussi quelque chose de Mortelle randonnée dans l’histoire de ce privé qui suit une fille pendant des années sans jamais l’aborder, de plus en plus obsédé se transformant en une ombre, une silhouette à peine entraperçue.
Il y a à la fois un curieux détachement du monde, un manque d’accroche et d’investissement, et en même temps une vraie réflexion sur la solitude sur l’engagement, sur le rapport aux autres.
Et dans la construction, peu à peu, une tension grandissante, un suspense qui s’installe insidieusement, et une belle et forte résolution …
Un roman un peu hypnotique, qui vous attache sans en avoir l’air, tout en finesse, avant de vous laisser sur le quai, une impression douce amère dans la tête.
Emily St. John Mandel / Dernière nuit à Montréal (Last night in Montreal, 2009), Rivages/Thriller (2012), traduit de l’anglais (Canada) par Gérard de Chargé.