Daniel Woodrell est un auteur beaucoup trop rare, et vraiment pas assez lu. Tellement rare que je m’aperçois que je n’ai parlé de lui qu’une fois en cinq ans de blog. Et que cela faisait longtemps qu’on n’avait plus de ses nouvelles. C’est pourquoi je vous encourage vivement à vous précipiter sur le Manuel du hors-la-loi, recueil qui vient de sortir chez Rivages.
12 nouvelles qui, presque toutes, se déroulent dans le Ozarks, théâtre de la majorité des romans de Daniel Woodrell. Si vous ne savez pas où ils se situent, vous pouvez aller jeter un œil sur l’embryon d’article de Wikipedia. Mais sachez qu’après la lecture de Woodrell vous n’aurez pas forcément envie d’aller arpenter le chemin de randonnée des Ozarks dont ils causent …
Ne vous attendez pas à des nouvelles « à chute ». Celles de ce recueil sont l’occasion de portraits d’hommes et de femmes perdus, enfoncés dans la folie, la misère, le chagrin ou la peur. Comme dans ses romans, l’immense force des récits de Woodrell est de nous les rendre très proches, tout pareils à nous-mêmes, de rendre palpable leur humanité. Tous les récits sont émouvants, et si l’on retient peu les intrigues, on n’oublie aucun des personnages rencontrés.
Que ce soit ce père qui doute de tous depuis la disparition de sa fille, enlevée alors qu’elle avait 17 ans, et jamais retrouvée.
Cette gamine qui pousse dans un fauteuil à roulettes un oncle monstrueux dont elle peut enfin se venger.
Ces anciens soldats, du Vietnam ou d’Irak, enfermés dans leurs souvenirs, qui finissent par y perdre la raison sans pouvoir expliquer ce qu’ils ont vécu.
Ces deux frères qui fuient dans les forêts, après avoir brûlé la nouvelle maison d’un voisin qui leur bouchait la vue sur la rivière.
Cet ancien soldat confédéré, qui semble ne rien regretter d’une guerre atroce … Et les autres.
On n’en oubliera aucun. On n’oubliera pas non plus certaines images … Une jeune fille lumineuse au bord d’une rivière, une vache morte, en équilibre sur un arbre au milieu d’une falaise, les deux frères partageant une bouteille de whiskey en attendant que les hommes du shérif se lancent à leur poursuite …
On n’oubliera pas non plus l’impression d’ensemble qui se dégage du recueil, celle d’une région où la loi et l’ordre sont des notions moins implantées que la vengeance, la loi du talion et la tradition. Où l’on compte sur soi et on n’attend pas grand-chose des autres. Où le temps semble, d’une certaine façon, s’être arrêté. Où tout est dur, âpre. La nature, les rapports avec les autres, les êtres humains. Cela pourrait être absolument désespéré et désespérant.
Et pourtant le regard et l’écriture de Daniel Woodrell sont tellement humains, tellement proches de ces gens, il réussit si bien, en quelques mots, à rendre leur humanité, leur dignité et leur désespoir qu’on referme le recueil avec gratitude. Et on espère que le prochain roman viendra sans trop tarder.
Daniel Woodrell / Manuel du hors-la-loi (The outlaw album, 2011), Rivages/Thriller (2013), traduit de l’américain par Isabelle Maillet.