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5 mars 2012 1 05 /03 /mars /2012 23:41

On aurait pu croire la plongée dans la période franquiste réservée à ceux qui ont vécu activement sa fin. On pense aux fondateurs du polar espagnol actuel, à la génération de Manuel Vazquez Montalban et Francisco Gonzalez Ledesma. Et on s’aperçoit que la thématique intéresse aussi la génération suivante.

 

Après le superbe Empereurs des ténèbres d’Ignacio del Valle (né en 1971), voici un autre roman qui explore, de très belle manière, la même époque. Il s’agit de La tristesse du samouraï de Victor del Arbol (né lui en 1968).


del arbolDécembre 1941, quelque part en Estrémadure, une femme élégante attend un train, accompagnée d’un enfant d’une dizaine d’année. Elle fuit vers le Portugal. Mai 1981, Maria, avocate de renom se meurt d’un cancer dans une clinique chic de Barcelone. Elle vient de vivre des semaines de terreur, et de sang. Des semaines d’une vengeance qui prend sa source sur ce quai de gare en décembre 41 …


Alors que dans l’ombre certains se préparent à renverser la toute jeune démocratie, les horreurs du franquisme refont surface.


L’impression qui se dégage tout au long de la lecture est qu’on a là du très beau boulot. Peut-être pas LE roman qui vous fait crier au génie absolu, mais le style de polar impeccable qui nous fait tant aimer le genre.


Ca commence avec des personnages consistants, ambigus et compliqués, comme de vrais gens, que l’auteur dévoile peu à peu, au rythme d’une intrigue complexe parfaitement maîtrisée. Certes il n’est ni le premier ni le dernier à utiliser des allers retours entre passé et présent, et à alimenter ainsi le suspense et les interrogations sur les traumatismes ou les fautes de ses personnages. C’est un procédé relativement classique, et terriblement efficace quand il est bien utilisé. C’est le cas ici, ce qui crée un suspense du meilleur aloi.


Et tout cela est au service d’une histoire ancrée dans l’Histoire, dans une Espagne qui n’a pas terminé de régler ses comptes avec le franquisme et les franquistes. Violences de la dictature,  vengeances, violences faites aux femmes (hier eu aujourd’hui), traumatismes liés à la Division Azul envoyée combattre en URSS auprès des nazis (comme Ignacio del Valle), impunité des puissants qui savent passer indemnes d’une époque à l’autre … Il y a aussi tout cela dans La tristesse du samouraï.


A lire donc.


Victor del Arbol / La tristesse du samouraï (La tristeza del Samurái, 2011), Actes Sud/Actes Noirs (2012), traduit de l’espagnol par Claude Bleton.

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2 mars 2012 5 02 /03 /mars /2012 22:53

Pas de chance en ce moment. Soit je fais de mauvais choix dans mes lectures, soit je suis de mauvais poil … Toujours est-il qu’après Black blocs c’est au tour de Contrebandiers de Marc Boulet de me laisser sceptique.

 

BouletMarc B., jeune français, est parti à Hong Kong, pour se balader. Comme il a une formation de caméraman, il s’est retrouvé à filmer du porno, ce qui lui permet de vivre tranquillement dans ce paradis de la consommation. Jusqu’à ce que sa côte parte en chute libre et qu’il se retrouve sans boulot. C’est alors que Rita, une actrice avec qui il a sympathisé, lui propose de faire des affaires avec son frère qui trafique avec tous les pays voisins. Voilà donc Marc, et son frère Phil qui l’a rejoint, contrebandiers. Tout va bien, jusqu’au jour où les choses dérapent, et de fil en aiguille, Marc s’enfonce dans le crime de plus en plus crapuleux. 


« Roman d’aventures et manuel du parfait trafiquant », lit-on en quatrième de couverture. Manuel du parfait trafiquant pourquoi pas. Roman d’aventure franchement …

 

«  JE SUIS UN MONSTRE. Je suis un assassin ». C’est ainsi que le roman, construit comme une longue confession, commence. C’est sans doute pour comprendre ce début que je suis allé au bout. Parce que sinon j’aurais craqué avant.

 

Pour moi, le personnage n’est pas un monstre, c’est juste une petite merde chouinarde, qui se vautre dans l’auto-apitoiement, un pauvre type sans le moindre intérêt qui assène avec assurance une philosophie de comptoir egocentrique à trois balles. C’est sans doute voulu, mais sur plus de 350 pages c’est long.

 

Plus de 350 pages pour dire qu’il aime baiser, picoler et se shooter, même en voyageant plus ou moins de Hong-Kong à la Thaïlande en passant par l’Inde, c’est long. Surtout que de ses voyages le brave Marc, l’aventurier, ne retient que les différentes facilités ou difficultés à se procurer … putes, alcool et herbe.

 

Je suis allé au bout, pour voir s’il y aurait enfin aventure ou monstre, mais rien. Un assassin certes, mais un de l’espèce rampante, gluante et mesquine. Sans la méchanceté d’un Ripley, l’humour noir d’un Ken Bruen, la violence d’un personnage de Chainas ou d’Ellroy

 

Bref, la fadeur de Marc était très certainement voulue par l’auteur, des gens comme ça il en existe certainement, peut-être même plus que l’on pourrait croire, mais je me suis ennuyé. Et là deux hypothèses : cela vient de moi parce que le sujet ne m’intéresse absolument pas et que j’ai fait une sorte d’allergie au personnage, ou ça vient de l’auteur qui n’a pas réussi à m’intéresser …

 

Je me sens absolument incapable de trancher. 


Marc Boulet / Contrebandiers, Rivages/Noir (2012).

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1 mars 2012 4 01 /03 /mars /2012 21:59

Pour les parisiens, commence aujourd’hui une expo photo de Didier Cohen intitulée : « Carrés noirs ».

 

Il s’agit de vingt portraits d’auteurs de polars.

 

Toutes les infos sont sur le site du photographe.

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29 février 2012 3 29 /02 /février /2012 18:08

Fini de rigoler, fini les vacances belges. Retour au noir avec Black blocs d’Elsa Marpeau. Autant j’avais apprécié Les yeux des morts son premier roman, autant je suis resté en dehors de celui-ci.


MarpeauLa vie de Swann, biologiste sans histoire bascule le jour où, en rentrant chez elle, elle trouve son mari Samuel, prof de sociologie à la fac, abattu d’une balle dans le dos. Elle découvre à l’occasion qu’il militait dans des groupes que les flics et la presse qualifient d’ultragauche. Pour venger Samuel, pour savoir qui l’a tué, elle va s’immerger dans un de ces Black Blocs. S’immerger et se perdre peu à peu, jusqu’à douter de tout, y compris de sa santé mentale.


Donc je suis resté en dehors. Même si j’ai lu le bouquin jusqu’au bout sans ennui et même parfois avec un certain plaisir, je ne suis pas convaincu à l’arrivée.


Pourquoi ? Essentiellement parce qu’à aucun moment je n’ai réussi à croire aux deux personnages centraux du roman. Pas touché une seconde par le chagrin et le désarroi de Swann, et, si le personnage du flic qui lui fait face peut être convainquant au début, plus j’avançais dans l’histoire moins je croyais au personnage. Malheureusement, ne croyant pas trop aux personnages, je ne suis pas non plus convaincu par la résolution de l’intrigue.


Certes, j’ai déjà beaucoup aimé des romans aux intrigues totalement incroyables. Mais seulement s’ils se présentent comme tels. Là j’ai l’impression que l’intrigue se veut un minimum « sérieuse ». La référence déclarée à l’affaire de Tarnac et à l’absurdité et l’énormité de ce qui a été dit et publié par la police, la justice et les ministères et relayé par une bonne partie de la presse semble aller dans ce sens.


Dommage car le sujet est passionnant (comment un état peut-il sombrer ainsi dans le ridicule, comment l’état use et abuse de miroirs de fumée), et parce que la peinture du fonctionnement d’un groupe d’anarchistes associés aux fameux Black Blocs est également très intéressante (quoi que l’on pense par ailleurs de leurs points de vue, de leurs analyses et des solutions qu’ils proposent). J’ai donc le sentiment d’être passé à côté d’un roman qui aurait pu m’emballer, et qui m’a laissé sur le côté de la route. Dommage.


Chez Unwalker, ils ont aimé, et nous offrent une interview d’Elsa Marpeau, pour avoir un autre avis et un éclairage sur le roman.


Elsa Marpeau / Black blocs, Série Noire (2012).

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26 février 2012 7 26 /02 /février /2012 22:31

Avant de revenir vers du noir qui attaque le ciboulot, j’avais encore besoin d’un peu de vacances. Ca tombe bien, l’abominable mémé Cornemuse de Nadine Monfils est de retour dans La petite fêlée aux allumettes. Rien de tel pour vous dérouiller les zygomatiques.


MonfilsDans une ville imaginaire de contes de fées (de ceux qui se terminent par le môme bouloté par l’ogre), un cinglé sème les cadavres de petites filles. Les mises en scène ont un rapport avec les contes.


Dans la même ville Nake, survit en dealant. Chaque fois qu'elle craque une allumette elle voit un cadavre … Et découvre quelques jours plus tard qu'elle a eu une vision du futur meurtre du cinglé.


Sur les traces du tueur, l'inspecteur Cooper et son étrange collection et Michou, son adjoint, flic le jour, drag queen la nuit.  


Pas loin de là mémé Cornemuse, fan d'Annie Cordy et amoureuse de Jean-Claude Van Damme, la culotte en ébullition, le gosier à sec, prête à refroidir illico tout malotru qui lui manque un tantinet de respect.  


Le décor est planté, en piste !


Ne cherchez pas ici une enquête réaliste, des pistes et fausses pistes, des experts de la police scientifique. Ca c'est pour les polars US, pas pour les polars belges complètement allumés. Ici vous avez droit aux citations de Jean-Claude Van-Damme (JCVD pour les intimes dont mémé), aux délires ô combien réjouissants de mémé Cornemuse, à la poésie surréaliste et à la gouaille de Nadine Monfils.


Putain c'est bon ! Et puis j'adore la mémé, celle qui aime la castagne, mais pas que. Vive mémé Cornemuse !

 

Nadine Monfils / La petite fêlée aux allumettes, Belfond (2012).

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24 février 2012 5 24 /02 /février /2012 22:01

J’avais vraiment apprécié l’atmosphère de L’épouvantail, roman du néo-zélandais Ronald Hugh Morrieson. C’est pourquoi je me suis précipité sur Rendez-vous avec un spectre, du même auteur, tout récemment publié chez Rivages. Pas mal, mais je n’ai pas retrouvé tout ce qui faisait le charme du précédent.

Morrieson

Cedric Williamson, 15 ans, s'ennuie. Il faut dire que le vie dans une petite ville provinciale de Nouvelle-Zélande, dans les années trente, quand on est un ado boutonneux, malingre et mal dans sa peau (pléonasme), plus à l'aise dans les bouquins qu’en sport, c'est pas le pied. Quand en plus on a une grand-mère adorable qui s'est faite plumer par le notable du bled, et un père cinglé qui construit une tour qui fait rire tout le monde, c'est carrément l'enfer.


Ce qui explique pourquoi Cedric, malgré ses réticences, accepte l'arrivée de Mervyn, une vingtaine d'année qui, avec son complice inquiétant Le spectre, lui propose de faire chanter ceux qui ont volé sa famille. Quand Cedric s'aperçoit qu'il n'est pas taillé pour le crime, il est peut-être trop tard …


On retrouve donc l'ambiance d'une petite ville néo-zélandaise découverte avec L'épouvantail. Comme dans ce premier titre traduit, c'est le poids des conventions, du regard des autres qui pèse sur les protagonistes. D'autant plus que, comme dans le roman précédent, ils appartiennent à une famille pour le moins originale.


On retrouve les caractéristiques du roman précédent, mais toutes un peu affaiblies : les parties oniriques et cauchemardesques (ambiance La nuit du chasseur) sont moins inquiétantes, celles plus loufoques moins drôles …


Pour ceux qui connaissent déjà L’épouvantail, ce nouvel opus est un joli roman qui montre que, dans les années trente, les villes provinciales néo-zélandaises ressemblaient étrangement à leurs consœurs nord-américaines (prohibition et hypocrisie qui va avec, poids de l’église, ennui …). Pour ceux qui voudraient découvrir cet auteur, je conseille plutôt le roman précédent.


Ronald Hugh Morrieson / Rendez-vous avec un spectre (Predicament, 1974), Rivages/Noir (2012), traduit de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Jean-Paul Gratias.

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23 février 2012 4 23 /02 /février /2012 23:33

Me revoilà après quelques jours de vacances …


Après La belle vie il me fallait une lecture qui me redonne confiance dans l’être humain. Et je venais de découvrir un recueil de nouvelles de Terry Pratchett. Sobrement intitulé Nouvelles du Disque-Monde. Excellent antidote contre la morosité et le désespoir.


PratchettLes mages, la MORT, mémé Ciredutemps, le guet et même Cohen le Barbare, ils sont tous là, dans six nouvelles.


Je ne vais pas vous mentir, Terry Pratchett lui-même déclare, tout de go, qu’il n’est pas un écrivain de nouvelles. Et c’est vrai qu’il est ici moins à l’aise que lorsqu’il a du temps pour développer. C’est vrai aussi que je ne conseille pas ce recueil à ceux qui ne connaissent pas les romans. Mais pour les fans en manque, et en particulier s’ils ont un coup de blues, ce n’est que du bonheur.


Car même si les histoires sont parfois un peu minces, on retrouve la patte Pratchett, avec sa façon unique de mettre en mots, dans un univers loufoque, des choses que nous avons tous vues ou vécues sans jamais arriver à les formuler.


Exemple, à propos d’une publication d’une université concurrente de l’Université de l’Invisible :


« Oh, j’crois pas que c’était destiné à être lu. Plutôt à être écrit »


Et puis cela, à propos de notre sorcière préférée :


« Des tas de gens peuvent parler d’une manière tranchante, se disait Nounou. Mais Esmé Ciredutemps, elle, arrivait à écouter de manière tranchante. Elle arrivait à rendre des propos ridicules rien qu’en les entendant. »


Un dernier pour la route, ce dialogue entre Nounou Ogg, sorcière souvent bienveillante, et Esmé Ciredutemps, sorcière plus … intransigeante. Un dialogue 100 % Pratchett :


«- Pas très aimable ce que t’as fait.

- J’ai rien fait 

- Ouais, ben … c’est pas très aimable, ce que t’as pas fait. C’est comme retirer la chaise quand quelqu’un veut s’assoir dessus

- Ceux qui regardent pas où ils s’asseyent feraient mieux d’rester debout »


Donc six nouvelles un peu minces (sauf la dernière, très émouvante), mais tout ce qu’il fallait pour me requinquer.


Terry Pratchett / nouvelles du Disque-Monde, L’Atalante/La dentelle du cygne (2011), traduit de l’anglais par Patrick Couton.

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17 février 2012 5 17 /02 /février /2012 11:56

Je vous laisse quelques jours. Retour bientôt avec des lectures plus rigolotes !

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16 février 2012 4 16 /02 /février /2012 22:29

Mon appel du pied a été entendu … Il faut avouer qu’il n’était pas d’une finesse à toute épreuve.

 

Peut-être ce bref échange avec Aurélien Masson, patron de la série noire et éditeur de La belle vie et Antoine Chainas son traducteur (et auteur reconnu !) vous éclairera-t-il un peu plus sur le roman.

 

Aurélien Masson : Nous partageons le même point de vue, le cul c’est de la rigolade grand guignol tendance Sade. Par contre le nihilisme, le désespoir, l'aquoibonisme, l'anomie c’est ça le vrai choc et la vraie tristesse.

Contrairement à toi, je connais plein de gens comme ça, des légions, mais bon je dois aimer trainer dans les quartiers glauques et surtout chercher le désespoir, car pour moi rien de plus beau et touchant que ceux qui se tapent la tête contre les murs sans savoir vraiment comment s'en sortir...

La vie est un combat mais qui est l'ennemi? Où se cache-t-il? Dans le socius ou bien en moi?

PS: C’est drôle nous avons parfois une vision inversé sur le monde, pour moi justement Stokoe est un moraliste, s'il montre tout ça, c’est qu'il aime à mon avis trop la vie...

 

JML : Plus que vous poser des questions, à Antoine et toi, mon idée était de savoir si vous aviez des réactions à ma lecture et à mes questions.

Effectivement on évolue dans des milieux qui semblent assez différents ! Car je ne mens pas en disant que je ne connais personne comme ça. Et de très loin. Je connais des gens désespérés, qui se tapent la tête contre les murs, mais pas pour les mêmes raisons.

Et je suis d'accord avec toi pour dire que Stokoe est probablement un moraliste, je n'ai jamais eu l'impression qu'il montrait cette vie autrement que comme un enfer à éviter. Si j'ai donné l'impression contraire c'est que je me suis mal exprimé.

Toujours est-il que la lecture de La belle vie est une sacré expérience, guère agréable, mais impressionnante !

 

Aurélien Masson : Pour moi un vrai moraliste n'est pas la pour nous dire le bien et le mal, ou dire quoi faire ou quoi éviter.

Je vois Stokoe comme un moraliste clinicien, le tableau est une critique en soi. Il y a un côté sadien chez Stokoe, car il nous fait vivre une expérience totalitaire, il n'y a pas d'issue et c'est pour ca que cela peut déranger certains amateurs de polars « positifs ».

Certes ici les gens luttent mais cette lutte parait perdue d'avance. Le monde de Stokoe n'est évidemment pas le mien mais c'est un monde que je côtoie : c'est le monde des désirs sans limites et donc finalement sans but, c'est l'univers du narcissisme exacerbé où chacun veut devenir quelqu'un (n'importe quoi mais quelqu'un) mais sans s'en donner l'effort.

Stokoe c'est aussi l'anomie, un espace où toute morale tombe à plat, où tout semble se valoir... C'est aussi un monde anesthésié, car comment supporter ce spectacle sans béquilles chimiques...?

C'est pour toutes ces raisons que ce livre ne me dérange pas, ni me choque (j’ai tellement vu de choses de ce genre dans la vraie vie ; en termes de « perversions » je ne serais jamais surpris par l'Homme) mais qu'il me rend profondément triste.

L'homme occidental, du moins cet homme occidental que Stokoe nous décrit, nous fait penser à ce scarabée sur le dos qui n'arrive pas à avancer dans la chanson « comme un légo » (paroles Gérard Manset).

A la fin de ma première lecture, avant que j'appelle Antoine pour en parler avec lui car nous partageons les mêmes angles morts, certains en tout cas, je pensais à cette phrase de Manset : « Oh non, l'homme n’est pas aimé » ...

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la belle vie est pour moi une ode à la vie et en creux une déclaration d'amour à l'Humanité. Je ne connais pas l'auteur mais je ne serais pas surpris que des fleurs bleues poussent sur le terreau de son âme...

 

Antoine Chainas : Cher Jean-Marc,

Je ne puis que souscrire à l'analyse que tu as faite de La belle vie, sur ton blog. Je me permettrais néanmoins, puisque j'ai cru comprendre que tu m'y invitais, de réagir sur quelques points. Il va de soi que les précisions que j'apporte sont avant tout celles d'un simple lecteur. En tant que traducteur, mon opinion sur le sujet du ressenti individuel n'est guère pertinente. Tu as axé ta recension sur la notion de plaisir, et je crois que tu as tout à fait raison : il n'est nullement question de plaisir dans l'ouvrage de Stokoe. Envie, oui. Soulagement, éventuellement. Pourtant, cette particularité que tu mets en lumière avec grande justesse, m'interpelle.

D'abord, le plaisir, me semble-t-il, n'est pas systématiquement constitutif, même de façon périphérique, du héros romanesque. De Céline à Selby, en passant par Easton Ellis, certains auteurs ont refusé cette porte d'accès à leur lectorat. On peut s'en irriter, on peut trouver avec raison la démarche désagréable - étant entendu qu'elle peut être clairement perçue comme le fruit d'une spoliation -, mais il me semble que Stokoe opère de manière si méticuleuse qu'il est impossible d'imputer la manœuvre à une maladresse (ce que tu ne fais pas, bien entendu : je me contente de spéculer sans vergogne pour étayer mon propos). J'ai l'impression qu'en cela, l'ouvrage se distingue du tout-venant de la littérature de genre : il abhorre tout mécanisme d'identification traditionnel aux protagonistes. L'auteur convoque une exhibition (deux exhibitions identiques et interdépendantes en fait : l'une transgressive, l'autre conformiste) qui ne montre rien, excepté, comme tu l'as parfaitement souligné, sa propre vacuité.

Les ouvrages qui mettent en scène cette dimension éminemment obscène de l'humain et, par extension, d'une certaine littérature, sont peu nombreux. Tout aussi peu nombreux sont les lecteurs à désirer en faire l'expérience. Je suis par conséquent d'accord avec toi : il est difficile de « conseiller » l'ouvrage dans l'absolu. Je demeure cependant convaincu que, pour peu que l'on accepte, le temps d'un livre, de faire effectivement le deuil du plaisir, La belle vie sera fécond de sensations assez inédites pour une partie du lectorat.

 

JML : Effectivement, je n’ai pas supposé un seul instant que l’absence de plaisir dans le parcours de Jack soit due à une quelconque maladresse de l’auteur. Mais au contraire à une très grande maîtrise de sa narration.

Effectivement, en réponse à ton analyse, le plaisir n'est pas constitutif du héros romanesque.
Ce qui m'a interpelé, c'est l'absence de plaisir alors qu'il y a tant de désir ! C'est comment toute cette quête, aussi vaine soit-elle, ne débouche jamais sur autre chose que de la frustration ou, fugitivement, sur du soulagement comme tu le soulignes.

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15 février 2012 3 15 /02 /février /2012 22:04

Voilà donc le roman choc annoncé depuis quelques temps à la série noire, le monstre de Matthew Stokoe, La belle vie, traduit par Antoine Chainas. Un bouquin défendu par Aurélien Masson et Antoine Chainas, on l’attend, et on s’attend au pire. Et on a le pire. Mais pas forcément où on l’attendait …

 

Jack vit à Los Angeles, la ville du mirage, la ville des rêves sur papier glacé. Jack ne vit que pour une chose, passer de l’autre côté. Son idéal le voilà :

Stockoe« J’allumai le magnétoscope et chargeai une de mes cassettes de pubs pour parfum. Les réclames pour cosmétiques de luxe sont le meilleur instrument de mesure d’une vie saine. Les individus y sont parfaits : vous vous en rendez compte rien qu’en les voyant. Leurs corps sont désirables, ils portent les fringues les plus chères, et ne regardent pas à la dépense. Ils vivent dans un monde où les problèmes sont résolus par d’autres, où il est impossible de douter de soi et où nul ne peut vous voir sans s’empêcher de vous aimer, de désirer vous ressembler. »


Jack est persuadé que la vraie vie, celle qui compte, est celle qui est de l’autre côté du miroir. Et pour le franchir il est prêt à tout. Quand sa femme Karen est retrouvée morte dans un parc, pour s’occuper, il commence à chercher son assassin, en plongeant dans le monde de la prostitution et de la came qui était celui de Karen. C’est comme ça qu’il rencontre Bella, belle, riche, richissime même. Bella qui va lui ouvrir les portes de La belle vie… et celles de l’enfer.


Pourquoi donc le pire n’est-il pas là où on l’attend ? Parce que malgré les multiples scènes de baise les plus sordides (nécrophilie, viol, merde et pisse à tous les étages, catalogue de toutes les perversions possibles et imaginables …) ce n’est pas cela qui glace le plus. Du moins ce n’est pas ce qui m’a glacé le plus. Tant c’est fait sans émotion, sans passion, sans … sans rien. Juste parce que c’est possible. Comme dit Jack : « Il n’existe sans doute, à l’heure actuelle, que peu d’individus qui peuvent se vanter d’avoir baisé un cadavre, mais je suis sûr que beaucoup y pensent. »


Et finalement, à la lecture, ce que j’ai ressenti, plus que du dégoût, de l’écœurement ou de l’effroi c’est de l’effarement et de l’incompréhension. Cet effarement vient du rien, du vide de cette vie. La déshumanisation totale de personnages qui n’existent que par ce qu’ils achètent. Pas par le plaisir que procure l’appartement, la bagnole, les fringues, non, seulement par l’acte de l’acheter, et même plus précisément de faire partie de ceux qui peuvent l’acheter. Ce qui glace c’est le renversement des valeurs qui fait que la réalité n’est plus le monde dans lequel on vit mais celui qui nous est vendu par la pub. Et le vide qui en résulte.


Avec cette contradiction flagrante, énoncée dès les premières pages à propos des personnes sensées vivre dans ce vrai monde, le seul qui compte : « Ils vivent dans un monde où les problèmes sont résolus par d’autres, où il est impossible de douter de soi et où nul ne peut vous voir sans s’empêcher de vous aimer, de désirer vous ressembler. » Confusion de « aimer » et « désirer ressembler ». Confusion d’autant plus forte que dans le roman personne n’aime, et même personne ne ressent le moindre plaisir. Jamais le plaisir ou le bonheur ne sont évoqués, même au moment d’un supposé accomplissement.


Est-ce qu’on peut conseiller ce roman ? Je n’en sais rien. Difficilement c’est certain. Trop trash pour certains, trop vide pour d’autres, trop dérangeant bien entendu. Car il pose cette question : Existe-t-il vraiment, autour de moi, des gens à ce point différents, à ce point hors de toute discussion possible, à ce point hors d’atteinte ? Je peux comprendre la haine, la vengeance, la méchanceté, l’envie, la jalousie … Je n’arrive pas à comprendre ce vide.


D’ailleurs après avoir tourné autour du pot c’est là que je comprends mon ahurissement. Ces personnages, pour moi, sont des aliens complets. J’ai l’impression de pouvoir comprendre, un peu, un indien d’Amazonie, un japonais traditionaliste, un inuit, pour peu qu’on m’explique. Je n’ai aucune prise pour comprendre ce monde là.


Et s’il existe vraiment, merci à l’auteur de nous le rendre perceptible. Si c’est vers ça que notre société marchande veut nous faire aller, si ce sont des individus comme ça qu’elle fabrique, il faut le savoir. Pour la combattre. Et comme le clame Paco Ignacio Taibo II, dans ce combat, « No me rindo ».


Heureusement, il existe tant de garde-fous ! Des plaisirs à partager gratuitement. Le bonheur de voir un chat s’étirer voluptueusement, le couteau qui tranche un gigot d’agneau cuit à point, peau craquante, chair rosée et tendre, Sarah Vaughan qui chante My funny Valentine, le rire d’un môme quand Ventura colle un bourre-pif à Blier, une colère de Montalbano, la limpidité de l’air, un matin, au démarrage d’une rando dans les Pyrénées, un verre partagé avec les amis, l’intro de Jumpin Jack Flash … et tant d’autres. Plaisir. Un mot qui n’est jamais employé dans le roman …


Bref, vous le constaterez, un roman qui interroge. Ce qui est un gage de qualité. Et un roman très désagréable à lire, très déstabilisant. La discussion est ouverte, j’attends vos réactions. Et éventuellement, s’ils passent par ici celles d’Aurélien Masson et Antoine Chainas que je me ferai un plaisir, et un honneur, de publier (si ça s’appelle pas un appel du pied …).


A vous tous.


Matthew Stokoe / La belle vie (High life, 2008), Série Noire (2012), traduit de l’américain par Antoine Chainas.

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