« Quand j'ai finalement rattrapé Abraham Trahearne il était en train de boire des bières avec un bouledogue
alcoolique nommé Fireball Roberts dans une taverne mal en point juste à la sortie de Sonoma, en Californie du Nord ; en train de vider le coeur d'une superbe journée de printemps. » James
Crumley (Le dernier baiser)
Je ne vous oublie pas ! Juste un petit coup de mou et une légère surcharge de boulot. Par contre si quelqu’un connaît une méthode pour ne plus avoir besoin de dormir, je suis preneur. En attendant, et pour une fois, je vais un peu pleurer …
Et ça, c’est que du plaisir, mais du plaisir qui prend du temps.
A cela s’ajoute que la vie sportive de mes deux pitchouns a été balayée d’un revers de mains par un trio de nuisibles comme il en existe parfois (souvent ?) dans le monde associatif. Vous savez, ces petits nuisibles mesquins. Pas les grands, les personnages de tragédie, véroles capables de pourrir la vie de milliers de gens, pourritures charismatiques pouvant plonger le monde dans le chaos et l’horreur. Non, les petits, les rampants, qui un jour, à force de patience arrivent à avoir un peu de pouvoir.
Un petit pouvoir, un pouvoir sur pas grand monde, mais un pouvoir quand même. Et là ils peuvent emmerder jusqu’à la garde quelques dizaines de personnes. Pas longtemps, mais bien, bien, pendant un temps bref. Ben voilà, c’est tombé sur moi (entre autres) cette fois. Donc je me retrouve membre d’un groupe qui doit monter une association, créer un club, trouver des locaux … Et tout ça, juste maintenant.
Ah oui, et accessoirement, j’ai toujours un boulot (qui m’occupe bien dans la journée) et une famille que je délaisse un peu trop en ce moment.
Bref j’ai un peu moins de temps pour lire, très momentanément. Mais, sachez quand même que je vais très prochainement vous parler de Zigzag, le recueil de nouvelles jouissif de Zug et Zog, alias Pouy et Villard bien sûr. Et d’une nouvelle à la série noire, après Ingrid Astier, voici Elsa Marpeau et ses Yeux des morts.
Et il y a aussi pour les amateurs en cette rentrée un Elmore Leonard (ouais !) chez Rivages, un revenant toujours chez Rivages avec un inédit de Peter Corris, l’inventeur de Clif Hardy, le privé hard-boiled de Sydney (re-ouais !) et pour ceux qui cherchent de la bonne lecture, à petit prix, Folio édite un gros volume regroupant toutes les enquêtes de l’inspecteur Cadin de Didier Daeninckx.
Plus plein de nouveautés dont je vous cause dès que je sors la tête de l’eau.
David Peace, Elmore Leonard, Lucarelli … c’est bien joli tout ça. Mais dans le monde du polar, le vrai, le pur et dur, la rentrée, le choc attendu, c’était le Poulpe d’Antoine Chainas. Comment allait-il rentrer dans le moule (ou dans le poulpe ?) ? Laisserait-il Gabriel dans l’état dans lequel il l’avait trouvé en arrivant ? Ou bien dans l’état dans lequel il aurait voulu le trouver en arrivant ? L’odyssée de la poisse est enfin sorti, des milliers de fans ont passé une nuit blanche devant Virgin et la FNAC pour se procurer les premiers exemplaires, et votre serviteur est enfin en mesure de répondre à toutes ces questions angoissées, et angoissantes.
En 2010, déjà, notre poulpinet n’est pas au meilleur de sa forme. Alors imaginez-le en 2030, à soixante-dix ans ! Et Chéryl qui a gardé toutes ses peluches roses ! Dans un monde où on n’existe pas si on n’a pas sa puce sous-cutanée Gabriel est presque un fantôme … Mais, avec sa douce, ils viennent de gagner à la Loterie Nationale Obligatoire. Ils ont gagné une séance de Porn-Incarnation. Pendant quelques minutes, ils seront en osmose parfaite avec deux Omnimorphes spécialistes de la chose, jeunes et beaux.
Pendant la séance il se passe quelque chose qui n’aurait jamais dû arriver, Gabriel a senti de l’empathie pour Georgie, son Omnimorphe. Or c’est impossible, les Omnimorphes ne sont pas des « gens », ils n’ont pas de souvenirs, pas d’émotions, ce sont juste de clones, sans âme, et surtout sans droits, propriété de Omnicron Inc. Mais comme la séance lui a donné un coup de jeune, pour exister de nouveau, Gabriel décide d’aller voir ce qu’il se passe du côté de clones, et de comprendre pourquoi ils se font tous dessouder dernièrement …
L’attente, donc, était grande, immense même. Le résultat dépasse toutes les espérances. Ni plus ni moins. Une histoire indéniablement à la Chainas, des thématiques Chainas qui viennent parfaitement coller à celles du poulpe (ce qui, tout de même, n’était pas forcément gagné d’avance). Une intrigue sans la moindre faille, qui fonctionne en hommage à quelques grands de la SF (de façon plus ou moins explicite), de la baston, du noir bien noir, de l’amour, de l’émotion, des clins d’œil …
Et une nouveauté : beaucoup d’humour. On sentait bien, derrière la noirceur de ses romans précédents, la jubilation de l’auteur. Ce poulpe lui offre l’occasion de la laisser éclater, ouvertement. Et ça donne ça, entre autres exemples :
« Bande annonce :
Ne ratez pas ce soir sur l’ensemble du réseau France Internet notre grand débat intitulé : « Omnimorphe, le don de la vie ? ». En compagnie des meilleurs spécialistes, Marin Ledun (secteur Haute Technologie), Jérôme Leroy (secteur Prospective Appliquée) et Caryl Férey (secteur Sensibilité du Pied Droit), nous débattrons des enjeux politiques, financiers et éthiques de cette nouvelle forme de divertissement qui a, en quelques années, révolutionné l’industrie des loisirs. France Internet, et le monde bouge encore. Mention Légale : France Internet est un groupe de mission de service public obligatoire. »
Et donc le lecteur jubile de la première à la dernière ligne. Un très grand poulpe, et un excellent Chainas.
Depuis que je vous fait languir … Voici donc le dernier David Peace, second roman consacré à la ville de Tokyo au lendemain de la fin de la guerre. Tokyo ville occupée.
Une petite note qui mérite une introduction. Ceux qui me connaissent, où qui ont lu certains commentaires ici même savent que je ne fais pas partie des admirateurs inconditionnels de David Peace. Ses romans, me semble-t-il, suscitent trois types de réactions :
Ceux qui adorent et le considèrent comme un des très grands noms du polar actuel.
Ceux qui détestent et ne comprennent pas qu’on puisse lui trouver le moindre talent.
Ceux qui lui reconnaissent un talent immense, sans toutefois arriver à rentrer dans son univers, et qui donc évitent ses livres.
Jusque là, je faisais partie de la troisième catégorie. La lecture de 1974 m’avait secoué, dérangé, mis mal à l’aise, et ne m’avait donné aucune envie de poursuivre la découverte de son univers. Récemment l’atypique 44 jours m’avait un peu réconcilié avec ses romans. Sa venue à Toulouse et la possibilité de le rencontrer m’ont servi de motivation pour lire son dernier ouvrage.
Fin de la longue introduction.
Tokyo, ville occupée, 26 janvier 1948. Un homme entre dans une agence de la banque impériale juste après sa fermeture au public. Il se prétend médecin et demande à rassembler tous les employés, y compris le concierge et sa famille. Prétextant une épidémie de typhus, il convainc les 16 personnes d’avaler un médicament. Les 16 s’écroulent, 12 meurent empoisonnés, seuls 4 survivront. L’homme qui a pris tout l’argent disponible disparaît. Malgré une énorme mobilisation de la police de la ville, l’assassin n’est pas identifié. Des années plus tard un écrivain tente de rétablir l’innocence de celui qui sera condamné, malgré la faiblesse des preuves recueillies contre lui. Douze récits de personnes, vivantes ou mortes, touchées de près ou de loin par cette affaire tenteront de l’aider …
Voilà donc le roman qui m’a réconcilié avec David Peace. Et pourtant j’ai du mal à trouver les mots pour vous convaincre de le lire. Car c’est un roman difficile, un roman qui se mérite, qui se gagne, qui semble parfois vouloir se débarrasser de son lecteur … Mais roman qui donne beaucoup.
J’ai été happé, dès le prologue par le rythme hypnotique de la langue. J’ai même été à deux doigt de le relire à haute voix. C’est sans doute cet élan initial qui m’a permis de passer les obstacles que l’auteur met ensuite dans les pattes du lecteur.
Le récit est éclaté, scandé, lancinant, chaotique, répétitif ou d’une sécheresse totale au gré de la personne qui a la parole. Si l’auteur repose parfois le lecteur, et lui propose un chapitre à la narration relativement classique, c’est pour ensuite le submerger sous le flot décousu des pensées d’un homme complètement perdu … A l’image de cette ville qui oscille entre haine et admiration des vainqueurs.
Le tout forme peu à peu un tableau abstrait d’où émerge l’image d’une société en ruine, occupée, aliénée, ayant perdu tous ses repères … Un océan bouillonnant où nagent, décidés, quelques prédateurs prêts à la curée. Personne n’est épargné, ni vainqueurs américains ou russes, ni les japonais coupables des pires atrocités durant la guerre en Chine.
L’ensemble n’est pas aimable, pas agréable, mais sacrément impressionnant. On aime ou pas, on rentre dans le rythme ou pas, mais il est difficile de ne pas reconnaître la virtuosité de style, de langue, de construction, l’ampleur du propos, l’ambition du projet et la maîtrise de sa réalisation.
J’ai terminé le livre impressionné, admiratif et secoué. Et pour me remettre je crois que je vais passer à quelque chose de plus léger …
David Peace / Tokyo ville occupée(Occupied city, 2009), Rivages/Thriller (2010), traduit de l’anglais par Jean-Paul Gratias.
Rivages et Casterman continuent leur collaboration fructueuse, avec un autre géant du polar américain (après des nains comme Thompson, Lehane ou Westlake …) à savoir Elmore Leonard. C’est son Kid de l’Oklahoma qui est cette fois mis en cases et en bulles par Olivier Berlion.
Je ne reviendrai pas sur l’histoire originale, j’ai dit ici même, tout le bien que j’en pensais.
Que dire de l’adaptation … Elle ravira les amateurs de BD. L’histoire est bien adaptée, les dessins superbes, la mise en case très réussie. La couleur me va très bien d’autant plus que j’écrivais ceci dans ma chronique sur le roman :
« Il se situe à une époque intermédiaire, dans les années 20-30, où les figures mythiques du crime sont des gangsters en voiture mais avec une légende, et une histoire proche de celles de frères James où d’un Sundance Kid. Bonnie et Clyde, Dillinger, autant de noms qui évoquent des images sépia »
Il semble qu’OlivierBerlion en ait eu la même perception, qui concentre sa palette de couleur sur les bruns, orangers, beiges … pas loin du sépia donc.
Reste que l’exercice est extrêmement difficile. Les amateurs d’ElmoreLeonard savent à quel point son écriture est fluide, « évidente », et sans un seul mot superflu. Difficile de couper pour passer au format BD. Quasi impossible de couper dans les dialogues. Il y a donc par moment beaucoup de texte. Ce sont des moments du roman/BD où on se demande ce qu’apporte vraiment cette adaptation.
La question devient caduque dès qu’on aborde les scènes d’action, superbement découpées et dessinées. La confrontation finale en particulier est un petit chef-d’œuvre du genre. Qui termine d’emporter l’adhésion.
Une des belles réussites de cette collection donc, malgré la difficulté de l’exercice. Et peut-être une occasion de découvrir, d’une autre façon, l’immense auteur qu’est Elmore Leonard pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore.
Pour ma part, j’ai découvert à l’occasion les superbes dessins d’Olivier Berlion … Chacun ses lacunes !
Elmore Leonard, Olivier Berlion (adaptation et dessin) / Le kid de l’oklahoma, Rivages/Casterman/Noir (2010).
Il ne vous aura pas échappé que Tokyo ville occupée de David Peace est sorti le premier septembre. L’auteur est en France pour quelques autour de la mi-septembre.
Entre les deux, il sera à Toulouse à la librairie Ombres Blanches, mercredi 15 à partir de 18h00 également. Et c’est ma pomme qui animera le débat. On en reparlera dans d’ici le début de la semaine prochaine, quand j’aurai terminé d’avaler le monstre …
C’est Sébastien Rutés qui a communiqué la triste nouvelle sur la liste 813. L’écrivain mexicain Juan Hernandez Luna est mort cet été à l’âge de 47 ans, au moment où débutait la semana negra à Gijon.
Peu connu (pas assez) du public français, Juan Hernandez Luna était le « dauphin » de Paco Ignacio Taibo II.
Ses deux premiers romans traduits en France, Du tabac pour le puma et Le corbeau, la blonde et les méchants, publiés à l’Atalante étaient très taiboesques. Totalement échevelés, mélangeant allègrement les personnages, les points de vues et les péripéties, pleins de vie et de générosité, ils mettaient en scène le Mexique que nous avait fait découvrir Taibo.
Voilà ce que j’avais envoyé, sur feu mauvaisgenres, et que l’on retrouve sur bibliosurf à propos de Du tabac pour le puma.
Puebla au Mexique, ville fondée, dit-on, par les anges. Pourtant... Ezequiel Aguirre, magicien sur la touche, s’abreuve d’émotions fortes ; il cherche à oublier le départ de sa femme. Liliana, sa fille, risque gros à filmer un trafic d’immigrés clandestins originaires d’Amérique centrale. Un quidam qui revendique le sobriquet de « Main furtive » s’emploie à tripoter en douce d’honorables citoyennes de la ville. Le gouverneur de l’état exproprie des paysans afin de céder leurs terres à une multinationale. Un vieux pompier relate ses exploits d’agitateur dans les années trente …
Difficile de ne pas penser à Taibo II, en lisant le dernier roman de Luna, d’autant plus qu’il lui est dédié, et que Taibo et Ombre de l’Ombre sont cités dans le texte. Même construction, à partir de d’une multitude d’histoires, a priori sans aucun rapport les unes avec les autres, qui finissent par se rencontrer, même retour vers un passé mexicain fait de grèves et d’insurrections, même amour du journalisme, même référence au jeu de dominos, jusqu’au personnage principal, un magicien, spécialiste de l’évasion, qui renvoie à Houdini présent dans A quatre mains. La galerie de personnages est étonnante, du magicien au serveur de bar qui se ballade en habits de pompier, de l’espion haut en couleurs au tigre à qui il faut parler en langage codé ... Le lecteur, est pris dans ce tourbillon, jubile de voir les pièces du puzzle se mettre en place petit à petit.
Son dernier roman traduit, Iode (paru chez Latinoir) était aussi glaçant et dérangeant que ses premiers romans étaient chaleureux.
En plus de ses livres, et des souvenirs de ses amis, Juan Hernandez Luna sera toujours vivant dans La bicyclette de Leonard de Paco Taibo :
« Juan Hernandez Luna arrivera chez moi avec deux kilos de jambon serrano et deux melons achetés à Puebla, sans garantie. Il aura à la main son nouveau livre "Du tabac pour le puma", tout neuf. [] Juan Hernandez Luna a beau écrire d’excellents romans d’aventures et être un excellent ami, il n’aura pas l’habitude des basketteuses américaines. Trop de centimètres de jambes qui se promènent dans la pièce pour lui. »
C’est une voix atypique qui se tait, trop tôt, beaucoup trop tôt.
Quelques messages pour les hispanophones sur le site Diez Negritos.
J’ai encore pris quelques vacances pour lire un peu plus de SF, Le sens du vent de l’écossais Iain Banks. Qui mérite une petite présentation avant d’entrer dans le vif du sujet.
Il y a bien longtemps, lors d’une rencontre, j’ai entendu Francis Mizio, qui en général n’est pas en manque d’idées, dire que si les auteurs de polar sont les sprinters ou coureurs de demi-fond de l’imagination, les auteurs de SF en sont les marathoniens. Dans ce cas, Iain Banks est le champion incontesté des 100 km de Millau ! Et chaque nouveau volume de sa série consacrée à la Culture en est une nouvelle et éclatante confirmation.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas cette série, un petit résumé. L’auteur a créé, dans un futur extrêmement lointain, une société, connue sous le nom de La Culture, humaine à la base, qui maîtrise le voyage dans l’espace inter-galactique (en gros ils savent voyager plus vite que la lumière), et a créé des Intelligences Artificielles (IA) qui peu à peu ont pris en charge tout le boulot. Ces IA dirigent les vaisseaux monumentaux qui voyagent d’une étoile à l’autre (ou d’une galaxie à l’autre), les planètes (de mois en moins) et les orbitales (systèmes habités créés de toutes pièces). Quasi omnipotentes ces IA ont un sens de l’humour assez particulier. Les humains peuvent se consacrer à ce qui fait le sel de la vie : l’art, le jeu, le plaisir …
La Culture est très permissive, très tolérante, plutôt cynique, essentiellement hédoniste et se mêle assez rarement des affaires des autres. Car bien entendu, maintenant que le voyage dans l’univers existe, il y a des foules d’autres. Attention, si les IA semblent uniquement préoccupées par le bonheur des habitants de La Culture, si les citoyens de la Culture paraissent de gentils écervelés peu préoccupés par ce qui se passe autour, La Culture n’est pas non plus naïve, ni sans défense. Certains (hommes, autres espèces, drones et IA etc …) appartiennent à Circonstances Spéciales (CS), entité fantôme, légende pour la plupart des citoyens, mais bien réelle qui s’occupe d’espionnage et contre-espionnage. Car, dans l’univers exploré, il est bien connu que si La Culture est tolérante, tout le monde sait aussi que ceux qui la cherchent sont punis de façon fort peu enviable. Voilà pour le contexte. Venons en au Sens du vent.
Quilan est chelgrien. Une société qui sort à peine d'une guerre civile atroce entre tenants et opposants d’un très traditionnel et très rigide système de caste. Ziller aussi est chelgrien. Mais il a quitté son monde, et est devenu citoyen de la Culture. Il est, accessoirement, le plus grand compositeur de l'orbitale Masaq'. Quilan, ancien soldat, est envoyé sur Masaq' pour essayer de convaincre Ziller de revenir sur sa planète … Du moins c'est sa mission officielle. Mais il y en a une officieuse. Les chelgriens viennent de s'apercevoir que c'est la Culture qui a poussé aux changements qui ont abouti à la guerre civile. Et certains veulent à tout prix venger leurs morts.
Un volume de plus de la série de la Culture, une pierre de plus dans cette saga unique, un roman encore absolument époustouflant. Richesse ahurissante des mondes, puissance de l'imagination de l'auteur, ampleur du propos, profondeur des personnages … Toutes les caractéristiques de la série une fois de plus au rendez-vous.
Iain Banks, opposant farouche de la première heure à la participation britannique à la guerre de Bush fils, dédie son roman aux anciens combattants de la guerre du Golfe. Voilà ce que dit un de ses personnages (une IA ancien vaisseau de guerre) :
« C’était quelque chose que je me suis senti obligé de faire. La guerre peut altérer vos perceptions, modifier votre sens des valeurs. Je ne voulais pas avoir l’impression que ce que je faisais était autre chose qu’un monument d’atrocité, et même, on peut le dire, de barbarie. […]
- Et qu’avez-vous ressenti ?
- La consternation. La compassion. Le désespoir. Le détachement. L’allégresse. L’impression d’être Dieu. La culpabilité. L’horreur. La détresse. La satisfaction. Le sentiment de puissance. La responsabilité. La souillure. Le chagrin.
- L’allégresse ? La satisfaction ?
- Ce sont les termes les plus proches. Il y a une indéniable allégresse à causer un massacre, à déchaîner une destruction massive. Quant à la satisfaction, j’ai constaté avec plaisir que certains sont morts parce qu’ils étaient assez bêtes pour croire à des dieux ou à des au-delà qui n’existent pas, bien que j’ai éprouvé pour eux une immense tristesse, car ils sont morts dans leur ignorance et grâce à leur folie. J’ai constaté avec plaisir que mes armes et mes systèmes sensoriels fonctionnaient comme prévu. J’ai constaté avec plaisir que, malgré mes doutes, j’ai pu faire mon devoir et agir comme aurait dû, selon moi, agir un agent moralement responsable jusqu’au bout, vu les circonstances.»
Iain Banks revient donc, à sa façon, sur le traumatisme de la guerre, les horreurs infligées et subies, les blessures qui ne se referment jamais, les conséquences désastreuses pour tous les combattants, vaincus ou vainqueurs. Servi par une intrigue complexe mais parfaitement maîtrisée, le propos n'en a que plus d'impact. Et montre, à ceux qui en douteraient encore, qu’en parlant d’un futur hypothétique, les écrivains de SF (et encore plus les GRANDS écrivains de SF) parlent de notre temps.
Encore une réussite totale.
Iain Banks / Le sens du vent(Look to windward, 2000), Le livre de poche/SF N°7283 (2006), Traduit de l’anglais (Ecosse) par Bernard Sigaud.
La seconde édition du festival Toulouse Polars du Sud approche. Petite à petit, vous pouvez découvrir les invités et le programme sur le blog de l’association.
Mais pour ceux qui ne seraient pas libres ce week-end là (à savoir les 8, 9 et 10 octobre), ou qui ne pourraient pas venir jusqu’à la Librairie de la Renaissance où se tiendra le plus gros des festivités, voici le programme des rencontres dans toute la région, les jours qui précèdent le grand week-end :
Mercredi 6 octobre : Benoit Séverac à la bibliothèque de Lagardelle à 20H00.
Jeudi 7 octobre :
Jeronimo Tristante à la bibliothèque de Pins Justaret en fin d’après-midi
Romain Slocombe à la bibliothèque de l’INSA à 18h00
James Sallis et moi c’est un coup oui, un coup non. Et souvent, ce sont les mêmes raisons qui me font aimer un roman, qui vont me déconcerter dans le suivant. Pourquoi ? Mystère. Mais j’y reviens un peu plus loin. J’avais beaucoup aimé Bois mort, étais resté complètement en dehors de Cripple Creek, j’ai adoré le dernier Salt River.
John Turner est toujours shérif de cette petite ville du Tenessee qui se meurt lentement. Il ne s'y passe habituellement pas grand-chose. Sauf ces jours-ci. Où le fils de l'ancien shérif, parti depuis longtemps, enfonce l'entrée de l'hôtel de ville avec une voiture qui n'est pas à lui. Où Eldon, un vieil ami de John réapparaît et lui dit être recherché pour un meurtre qu'il n'est pas absolument certain de n'avoir pas commis. Où un infirmier qui était attendu dans une communauté près de la ville est retrouvé mort dans les rues de Memphis. Où … John, petit à petit, va détricoter les fils de ces différentes histoires, en essayant « de voir ce qu'on peut faire comme musique avec ce qu'il nous reste. »
Donc ce troisième volume de la série John Turner, m'a envouté. J’ai été pris par l’écriture magnifique, par le calme et la sérénité qui émanent du personnage, par l’atmosphère de deuil, la tristesse, la saudade diraient les lusophones, qui émane du roman.
Je serais pourtant bien en peine de dire ce qui le différencie vraiment du précédent qui m’avait laissé perplexe. Les ellipses sont là, bien là. Le roman vaut essentiellement pour se personnages, ses à côtés, ses digressions, bien plus que pour une intrigue qui avance de façon … très elliptique. Et pourtant j’ai marché à fond.
Peut-être James Sallis a-t-il mieux réussi ici son exercice de funambule ? Il faut dire qu’il pratique dans ses romans une écriture au fil du rasoir qui risque à tout instant de perdre le lecteur. La lecture ne peut donc être, de façon encore plus marquée que chez d’autres auteurs, qu’une fragile et mystérieuse alchimie entre l’auteur et le lecteur, entre l’écriture et la façon dont on la reçoit. Alors peut-être étais-je mieux disposé ?
Toujours est-il que cette fois, pour moi, ça a marché. Limpide et magnifique.
James Sallis / Salt River(Salt River, 2007), Série Noire (2010), traduit de l’américain par Isabelle Maillet.
Comme je l’écrivais dans le billet précédent, les vacances ne sont pas encore complètement terminées … Une petite récréation avant la reprise, avec ces Petits arrangements avec l’éternité d’EricHolstein.
Eugène était un malfrat parisien, un as de la cambriole, un magicien des serrures. Jusqu'à un beau soir de 1919. Où il a été réveillé. Et est devenu, en plus de tout cela, un vampire. Ce qui ne l'empêche pas de continuer à profiter de ses talents. Et il va en avoir salement besoin. Parce que Grace, vampire fort gironde mais véritable paratonnerre à emmerdes a réussi l'exploit de révéler sa vraie nature à un play-boy richissime qui veut, lui aussi, en être. Et qui refuse d'entendre que ce n'est pas donné à tout le monde. Il réveille donc une vieille secte d'hindous vicelards qui sont en guerre contre les vampire depuis des siècles. Du coup ça va chauffer à Paname, méchamment chauffer. Les anciens rappliquent, les rancunes pluri centenaires se rallument, et c'est parti pour un sacré chambard.
Je ne crois pas trop m'avancer en affirmant que l'auteur n'a pas prétendu au chef-d'œuvre ; ni en imaginant qu'il a dû bien se marrer. Alors c'est vrai, cela ne va pas révolutionner le monde littéraire, ni même la littérature de vampires, mais si vous acceptez de laisser de côté toute prétention à un minimum de vraisemblance, vous avez toutes les chances de passer un excellent moment.
La langue, très datée et marquée marlou de vieux films français est savoureuse, et, comme dans ces séries B pas toujours léchées mais jamais prétentieuses, ça castagne dans tous les sens. Les grincheux et les palais délicats trouveront, et avec raison, de nombreux défauts à ces petits arrangements, mais personne ne peut leur reprocher d’être avares en péripéties ou de manquer de générosité.
Fin de la récréation !
Eric Holstein / Petits arrangements avec l’éternité, Mnémos (2009).