Marin Ledun a décidément tous les talents. Ca finit même par être agaçant ! Un des rares auteurs français qui se soucie du monde du travail, et ça donne le magnifique Les visages écrasés ; capable de nous plonger dans un inquiétant futur proche (trop proche) comme Dans le ventre des mères, voilà qu’il s’attaque à la question du Pays Basque avec L’homme qui a vu l’homme (et là aussi, il est un des rares sinon le seul en France) … détail qui a son importance, il traite tous ces sujets avec le même talent d’écrivain.
Janvier 2009, Iban Urtiz, jeune journaliste, vient travailler à Bayonne, dans ce Pays Basque où il est né mais qu’il ne connaît pas. Il est immédiatement happé par une affaire de disparition : Jokin Sasco, ancien militant d’ETA rangé depuis sa sortie de prison, a disparu depuis plusieurs jours. Sa famille inquiète convoque une conférence de presse et ranime les fantômes de la guerre sale, celle du GAL, groupe paramilitaire d’extrême droite qui a, quelques années auparavant, traqué les militants basques des deux côtés de la frontière, avec la bénédiction, quand ce n’est pas l’aide, des polices françaises et espagnoles. Iban se heurte à deux obstacles : la police, la justice et le monde politique ne veulent pas entendre parler de cette affaire ; et les militants basques, pour qui il est un étranger qui ne connaît pas leur lutte, et donc par définition un ennemi. Malgré les difficultés, les menaces et la peur, Iban est décidé à aller au bout de son enquête.
L’homme qui a vu l’homme est un thriller politique impeccable, dans la lignée et le style des romans de Dominique Manotti, et croyez-moi, de ma part, c’est un compliment. A partir d’une documentation et d’une étude du sujet que l’on devine fort approfondie, Marin Ledun livre un polar sec comme un coup de trique, parfaitement construit, alternant les points de vue et les lieux, sans une phrase de trop. Ca claque, ça pète, ça bastonne … un vrai plaisir de lecture.
Un plaisir pas complètement gratuit. Car il y a un fond, et même un fond solide. Compromission des polices espagnoles et françaises, manipulation des media et violence gratuite sur les militants, chape de plomb mise sur des actes impardonnables, impunité des puissants et de la classe politique qui les protège … Tout cela au service de la répression d’un mouvement qui, en 2009, ne représente plus aucun danger politique.
Mais Marin Ledun n’est pas aveugle, et si la jeunesse basque militante est présentée comme la victime qu’elle est, la responsabilité dans cet engrenage imbécile des mouvements indépendantistes n’est pas occultée. Et là aussi, l’auteur est très habile.
En nous mettant dans la peau d’un « étranger » qui ne connaît pas la situation, le manque de clarté des revendications, le sacrifice des individus à des causes pas franchement compréhensibles, voire tout simplement à des positions de pouvoir, les côtés très limites du nationalisme exacerbé (qui est aussi con quand il est basque que quand il est français, russe ou sénégalais), le rejet hystérique de l’autre qu’il entraîne … apparaissent de façon très claire.
Pour résumer, Marin Ledun n’est absolument pas manichéen et montre bien que les victimes sont, parfois, des salauds comme les autres et ont vite fait de se transformer en bourreaux … Cela va sans dire, mais cela va mieux en le disant. Bref, un excellent polar, passionnant à lire à tous les points de vue.
Marin Ledun / L’homme qui a vu l’homme, Ombres Noires (2014).