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3 août 2014 7 03 /08 /août /2014 23:20

Me rv’là.

Je me réservais le pavé pour les vacances. Avalé en quelques jours ! Quel pavé ? La suite très attendue des aventures de Mattias Tannhauser, Les douze enfants de Paris de grand Tim Willocks.

 

Willocks

Août 1572, Carla, l’épouse de Mattias Tannhauser enceinte jusqu’au yeux est invitée à aller jouer de la viole au mariage de la sœur du roi avec Henri de Navarre. Mattias, rentré trop tard d’Afrique manque son départ et décide de la rejoindre à Paris. Quand il arrive, c’est la Saint Barthélémy, les haines entre catholiques et protestants ont atteint le point d’explosion. Carla, pour une raison qu’il ignore a été prise dans un tourbillon de complots et il a quelques heures pour la retrouver et fuir une capitale qui sombre dans la folie. Une folie meurtrière dans laquelle Mattias, plus que quiconque est dans son élément.


Bien entendu, une question se pose : Les douze enfants de Paris est-il à la hauteur du choc que fut La religion ? De mon point de vue, non pas tout a fait. Reste-il un roman très au dessus de ce qu’on peut lire ici ou là ? Sans aucun doute.


Ceux qui ont été complètement estomaqués par le précédent se doutent bien que Mattias Tannhauser lâché dans une boucherie de l’ampleur du massacre des protestants lors de la Saint Barthélémy, cela ne peut être que sanglant, très sanglant, avec profusion de tripes, de cris et de fureur. Et là, pas de doute, on n’est pas déçu. Tim Willocks sait très bien faire sentir l’horreur physique du massacre, les odeurs, les hurlements, le côté très charnel de la chose.


On lui fait aussi confiance pour décrire les scène de bataille et de baston, pour donner vie et chair à une multitude de personnages, et pour éclairer les raisons du massacre au-delà de la rhétorique religieuse qui n’est jamais là que pour donner du cœur aux ventre à ceux qui vont mourir :


« Des différences dans les exégèses bibliques, si infimes que seuls quelques évêques les comprenaient, étaient la prétendue cause de la violence entre catholiques et protestants, mais pour Tannhauser de telles causes n’étaient rien de plus que les inventions habituelles grâce auxquelles les élites persuadaient les crédules de mourir et de s’avilir en masse, en leur faveur et à leur avantage ».


Voilà c’est dit dès le début.


Alors pourquoi moins puissant que La religion  ? Je sais, plus ou moins, mettre le doigt sur ce qui m’a moins emballé : Dans son déluge de violence La religion a une dimension héroïque et, d’une façon très troublante fait ressentir le « plaisir » que l’on peut ressentir à se camper, dos à dos avec son frère, face à l’assaillant. Très troublante car on y ressent la jouissance de la violence, sa fascination en même temps que son horreur. Ici, rien d’héroïque, comme il le dit lui-même, Mattias ne se bat pas contre des soldats, il égorge des moutons qui se sont pris pour des loups. Pour moi, sans cette fascination trouble, on en arrive à un côté presque répétitif, et c’est moins intéressant car moins ambigu …


Ceci dit, cela reste un grand roman. Avec des scènes et des personnages inoubliables, et que j’ai dévoré en quelques jours, les premiers de tranquillité estivale, avec un immense plaisir. Et au final cette question : reverrons-nous Mattias ?


Tim Willocks / Les douze enfants de Paris (The twelve children of Paris, 2013), Sonatine (2014), traduit de l’anglais par benjamin Legrand.

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28 août 2013 3 28 /08 /août /2013 22:34

Voilà un bouquin que je n’aurais jamais ouvert si on ne me l’avait pas offert. Et j’aurais eu tort. Parce que j’ai passé un bon moment avec Le mec de la tombe d’à côté de Katarina Mazetti.

mazetti

Désirée (Désirée !) est intello, bibliothécaire, amoureuse des livres, de la culture et du bon goût. Elle n’envisage pas une vie sans livre et sans culture. Et malgré son jeune âge (la trentaine) elle est veuve. Benny est paysan, il ne lit que les revues de matériel agricole, et il court toute la journée pour s’occuper de sa ferme. Deux personnages que tout sépare. Sauf la mort. Les deux se côtoient, sans le moindre plaisir au cimetière où les tombes du mari de Désirée et des parents de Benny sont voisines. Et pourtant, ils vont finir par tomber amoureux …


Je ne vais pas prétendre que c’est le roman de la décennie. Ce n’est pas non plus franchement ce que je lis habituellement. Mais justement, de temps en temps, ça fait du bien de quitter un peu les morts, les flics, les tarés, les drogués, les dealers …


Et pour faire une petite pause ce roman est parfait. Léger, fort bien écrit, très souvent drôle, parfois émouvant, un ton juste … On ne s’ennuie pas une seconde, on sourit souvent en visualisant des situations cocasses, on attend avec impatience de voir comment ces deux là vont s’arranger. Bref une parfaite lecture de détente de vacances. Et on ne peut pas dire cela de tout ce qui se publie ...


Le mec de la tombe d’à côté / (Grabben i graven bredvid, 1998), Babel (2011), traduit du suédois par Lena Grumbach et Catherine Marcus.

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2 juin 2013 7 02 /06 /juin /2013 21:28

Bien entendu, malgré les mauvaises nouvelles, la vie et les lectures continuent. J’avais cette chronique sous le coude depuis vendredi soir, et on aura bien besoin de ça pour se remonter le moral.


 

……………………………………………


Après Le bon père, j’avais besoin d’une petite récréation. Et comme je suis prévoyant, j’avais ce qu’il faut sous la main. Un roman historique de l’immense Andrea Camilleri. Le neveu du Négus a parfaitement fait l’affaire.


Camilleri Negus1929. En plein enthousiasme fasciste, alors que l’Italie, sous la direction de son guide éclairé merdouille dans ses relations avec l’Ethiopie et la Somalie, le neveu du Negus en personne débarque à Vigata poursuivre ses études à l’Ecole d’ingénieurs des Mines. Le jeune homme, 19 ans a fort belle prestance et doit être reçu par tous avec les honneurs qui lui sont dus … même s’il est indéniablement noir, ce qui ne va pas sans poser des problèmes aux fascistes les plus convaincus. Problèmes mineurs au regard du chaos que va semer le prince, bien conscient que les autorités locales sont obligées de tout lui passer, et avec le sourire s’il vous plait. Et il faut bien avouer que le bonhomme est un sacré tracassin, et qu’il a un talent indéniable pour foutre le bordel.


Qu’est-ce qu’il a dû s’amuser à écrire ce roman le papa de Montalbano. Je l’imagine, l’œil brillant, le sourire aux lèvres en train d’inventer une de ces missives entre dignitaires de l’Italie fasciste. Lourdes, ridicules, grotesques …


Ceux qui ont assisté à Toulouse polars du sud en octobre dernier se souviennent forcément du show d’Ernesto Mallo expliquant que ce que craignent le plus les dictateurs c’est le rire. Ben là qu’est-ce qu’il prend le Duce, lui et tous ceux qui pourraient avoir des velléités autoritaristes, et se héritiers, sa petite fille et les guignols de la ligue lombarde. Et quel bonheur de lecture !


Une construction virtuose, où le protagoniste principal, le prince donc, n’a jamais la parole, mais où on suit ses frasques au travers des notes de service, échanges de lettres ou conversations de bistro (ou équivalent).


Qu’est-ce qu’ils prennent tous, du plus convaincu, obtus, bas de front, au plus opportuniste et lèche-botte, en passant par tous les intermédiaires. Seul un commissaire, ancêtre de Montalbano, semble garder sa lucidité et sa capacité à raisonner. Ce qui donne lieu, bien évidemment, à quelques sorties réjouissantes.


Pour le plaisir, un brin de rhétorique fasciste à la sauce Camilleri : « Je crois que semblables méfaits sont dignes du pays des Soviets où, comme chacun sait, la misère et la faim contraignent les parents à dévorer leurs nouveau-nés, mais sûrement pas d’une nation comme la nôtre, qui baigne dans la lumière solaire de la civilisation fasciste ! »


Pour ceux qui seraient friands de vérité historique, une petit complément à la fin de l’ouvrage fait la part des choses entre ce que l’auteur a inventé, et ce qui est réel, et se conclut ainsi : « si les faits principaux (….) relèvent de la pure invention, le climat général est authentique – une véritable stupidité collective à mi-chemin entre la farce et la tragédie qui, hélas, marqua toute une époque. »


Andrea Camilleri / Le neveu du Négus (Il nepote del Negus, 2010), Fayard (2013), traduit de l’italien par Dominique Vittoz. 

 

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10 mai 2013 5 10 /05 /mai /2013 14:29

Après Les derniers jours d’un homme, voici le second roman de Pascal Dessaint à paraître en blanche (mais toujours chez Rivages). Maintenant le mal est fait est-il pour autant si différent des autres romans de l’auteur ? Je ne crois pas, voyons ça.

Dessaint

Quelque part en Normandie un groupe d’amis est ébranlé par le suicide de l’un d’eux. Nous apprendrons rapidement que cette mort n’est pas la première qui frappe le groupe. C’est Serge, le spécialiste des insectes qui se jette du haut d’une falaise. Comment vont alors réagir Bernard le bétonneur, Elsa l’artiste, Marc le cynique, George l’amoureux des lettres et les autres ?


S’il y a une vraie différence elle est dans le lieux, Pascal Dessaint semblant s’éloigner un peu plus de Toulouse pour nous amener en Normandie. Sinon, certes il n’y a pas de coupable, les morts de Maintenant le mal est fait sont morts « tout seuls ». Ce détail mis à part, la structure de ce roman choral est très proche de celle de Mourir n’est peut-être pas la pire des choses. Il s’ouvre sur une disparition, puis laisse la parole à ceux qui ont connu le mort, souffrent de sa disparition, cherchent à comprendre, se sentent plus ou moins coupables …


De son « passé » d’auteur de roman noirs, l’auteur garde l’habileté dans la construction qui, enquête ou pas, crée un suspense et donne envie de continuer pour savoir ce qui va (ou c’est) passé. Comme dans ses romans précédents il construit son puzzle, pièce après pièce, voix après voix, ne laissant se dessiner le tableau complet qu’à la fin.


Pour le fond, les thèmes familiers reviennent : le rapport à la nature, le deuil, la fidélité et la trahison en amitié, en amour et envers des idéaux. Ils sont traités avec la sensibilité et le tact habituels. Les amateurs de Pascal retrouveront ici l’auteur qu’ils aiment, et ceux qui ne jurent que par la littérature blanche auront peut-être l’occasion de découvrir un auteur qu’ils ne seraient pas allés chercher en noire.


Pascal Dessaint / Maintenant le mal est fait, Rivages (2013). 

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6 décembre 2012 4 06 /12 /décembre /2012 07:38

Si vous êtes habitué(e) de ce lieu, vous avez déjà entendu parler des Wu Ming. Qu’ils écrivent en groupe comme pour le somptueux Manituana, ou séparément avec New Thing et Mort aux humains, leurs romans sont toujours inattendus et passionnants. Le dernier en date, L’étoile du matin, est signé Wu Ming 4.

 

 

WuMing4

Oxford, 1919. Quatre hommes essaient de se réhabituer à la vie normale après des années de guerre. J.R.R. Tolkien, Robert Graves (grand poète et spécialiste de mythologie) et C.S. Lewis qui n’a pas encore écrit les Chroniques de Narnia, tentent en vain d’oublier les tranchées où ils ont perdu amis et famille. Sur le campus d’Oxford ils vont rencontrer T.E. Lawrence, que la presse américaine est en train de transformer en Lawrence d’Arabie. En quelques mois, Graves, futur spécialiste des mythes antiques, Tolkien et Lewis, futur créateurs d’histoires qui marqueront le siècle, et Lawrence qui préfigure les mythes Hollywoodiens vont se croiser, s’apprécier ou se haïr, et tenter, chacun à sa façon, de soigner les blessures et d’oublier la culpabilité d’avoir survécu quand tant d’autres sont morts.


J’attendais beaucoup de ce roman, trop peut-être. Et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord j’ai été fasciné et passionné par les trois romans du collectif que j’ai pu lire. Ensuite, pour un amateur de littérature et de cinéma, l’idée de faire se rencontrer ces quatre légendes est forcément très excitante. Pour finir, les critiques ici et là sont très élogieuses. Au final, je m’attendais à être plus enthousiaste, même si le roman est très intéressant. Tentative d’explication.


Pour commencer, j’ai trouvé que la narration manquait de tension. Jusqu’à très tard dans le roman on s’intéresse certes aux destins croisés des quatre personnages, mais on voit mal ce qui les rassemble réellement (à part le lieu géographique) et surtout on voit mal comment leurs existences vont se nouer et s’imbriquer. Ce nœud, le mystère des uns que les autres vont tenter d’éclaircir n’apparaît que très tardivement. Du coup pendant presque les trois quarts du roman les quatre récits sont intéressants, très intéressants même, mais on ne voit pas pourquoi l’auteur a voulu les mêler, au risque d’être trop court sur chacun d’eux.


D’où, ensuite, la frustration. Les retours dans le passé, et en particulier sur la guerre de Lawrence sont absolument passionnants … mais il y en a trop peu, on en voudrait beaucoup plus ! De même si on voit très bien l’œuvre de Tolkien en devenir (là aussi c’est passionnant), et le rôle de la littérature et de la création d’univers et de langue dans le processus de retour à une certaine normalité, on ne voit rien de tel pour Lewis …


Frustration donc, parce que c’est bon, mais trop peu. Mais si on avait eu tout ce qu’on attend pour chaque personnage, le roman aurait atteint les 1000 pages … Ceci dit, si on est frustré, c’est que par ailleurs, c’est quand même bon, voire très bon. C’est pour ça que, a posteriori je dis que j’en  attendais peut-être trop.


Certaines scènes sur la passé dans les tranchées ou sur la guerre de Lawrence sont saisissantes. Les pages de réflexion sur la création littéraire en général, et la création d’un univers qui a marqué des générations de lecteurs et a en quelque sorte créé la fantazy (à savoir l’incontournable monde de Tolkien) sont passionnantes. Et le dernier quart est exceptionnel, qui dénoue certains fils, décrits dans des scènes d’anthologie l’origine des blessures de Lawrence ou le vrai début de la création de Tolkien. Des pages magnifiques, et des images inoubliables.


Un roman très intéressant, passionnant même, malgré ses défauts, et malgré le goût de pas assez qu’il laisse au final.


Wu Ming 4 / L’étoile du matin (Stella del matino, 2008), Métailié (2012), traduit de l’italien par Leila Pailhès.

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19 août 2012 7 19 /08 /août /2012 22:43

Premier gros coup de cœur de cette sixième saison d’actu du noir. Un roman qui a déjà été publié il y a quelques années. Car l’été c’est aussi le moment où on écoute les copains. Et là il y en avait un qui me parlait depuis longtemps de ce roman Les voix du Pamano du catalan Jaume Cabré. Mais comme toujours, je n’avais jamais le temps, il y avait toujours une pile en souffrance … Finalement, avant d’attaquer la rentrée, je me suis décidé. Bien m’en a pris. Merci mille fois aux amis têtus et opiniâtres.


cabreTorena, petit village des Pyrénées catalanes. Comme dans le reste de l'Espagne, la guerre civile et les années de franquisme y ont laissé des traces, des haines, des rancœurs. C'est tout cela qui va remonter à la surface quand Tina, jeune institutrice, commence une recherche a priori inoffensive sur l'évolution du matériel scolaire dans ce coin des Pyrénées.


Il se trouve qu'à Torena des ouvriers sont en train de détruire l'école pour en construire une nouvelle. C'est comme ça qu'innocemment Tina va mettre la main sur quatre cahiers cachés derrière le tableau noir. Quatre cahiers qui vont faire revivre l'Histoire et les histoires de ce village.


Celle d'Oriol Fontelles, l'instituteur phalangiste, d'Elisenda Villabrù, maîtresse femme, richissime qui fait la pluie et le beau temps dans la région, de l'ancien maire franquiste, des maquisards … Et de bien d'autres. Des histoires qui montrent que dans ce coin de montagne, comme dans le reste du pays, les plaies du passé sont encore loin d'être guéries.


Magnifique, somptueux, bouleversant, magistral, époustouflant … Les adjectifs manquent pour dire l'impression laissée par ce roman choral mené de main de maître. Après les premières pages un peu rudes à suivre, le lecteur est happé par le procédé narratif qui passe d’une époque à l’autre, d’un point de vue à l’autre sans forcément annoncer la couleur. Il commence aussi à se retrouver dans les multiples personnages.


A partir de là c’est parti, on est pris, de plus en plus pris, par les mystères des personnages de Torena, par la violence de l'Histoire et des histoires, par un superbe mélange d'amours, de haines et de vengeance.


La construction est brillante, la langue superbe, le rendu de l'époque saisissant. On sent le poids de l’église et de l’Opus Dei, la mainmise des puissants, leur façon de toujours s’en sortir et d’être d’aussi bon démocrates qu’ils ont été d’excellents franquistes.


Il y a l’hypocrisie mais aussi le courage, la corruption et la méchanceté, mais aussi l’abnégation et la fidélité à des valeurs … Et puis les non-dits, les silences pesants d’un village de montagne, accentués par la chape franquiste.


Et quels personnages inoubliables. Des portraits d’hommes et de femmes qui ne vous quitteront pas, pour le meilleur et pour le pire. Avec en tête Oriol Fontelles, qui se révèle au cours du roman, et la superbe et effrayante Elisenda … mais aussi tous les autres. Tous ont droit au talent de l’auteur, tous sont décrits dans toute leur complexité et leur humanité.


En résumé, un vrai chef-d’œuvre.


J’ai mis du temps à me décider à le lire, j’espère au moins que j’aurais convaincus quelques-uns d’entre vous de prendre, aussi, le temps d’ouvrir Les voix du Pamano.


Jaume Cabré / Les voix du Pamano (Les veux del Pamano, 2004), Bourgois (2009), traduit du catalan par Bernard Lesfargues.

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25 juin 2012 1 25 /06 /juin /2012 22:35

Si l’on doit absolument faire des classements, je dirais que José Manuel Fajardo est un auteur de littérature dite blanche (comme dans Mon nom est Jamaïca) qui flirte parfois avec le noir (voir Dernières nouvelles de Noela Duarte) et qui a plein de copains dans la bande de la Semana Negra de Gijon des auteurs de polar hispanophones. Le dernier roman publié chez Métailié n’est pas tout récent (il date de 1996). Un récit historique court mais d’une très grande efficacité, sous forme de Lettre du bout du monde.


FajardoDomingo Pérez est tonnelier. Il fait partie des quelques hommes laissés sur l’île d’Hispaniola par Christophe Colomb qui a promis de revenir, le temps de faire un aller retour jusqu’en Espagne. Laissé dans ce monde inconnu entouré de compagnons pris de la fièvre de l’or, il écrit à son frère. Des lettres qui seront retrouvée au second voyage de Cristobal, alors que tous les premiers colons ont péri …


Moins de 150 pages qui démarrent comme un récit de voyage classique, vire à « Aguirre ou la colère de Dieu », avec forêt angoissante, attente moite et peur des indiens avant de … mais je n’en dirai pas plus pour préserver la fin.


Fort bien construit, très bien écrit dans une langue qui sonne « d’époque », sachant malgré un faux rythme lent préserver coups de théâtres et surprises jusqu’au final, Lettre du bout du monde se révèle un petit roman historique érudit, un conte philosophique, un balade poétique et légèrement érotique, une belle déconstruction de l’histoire avec de jolies surprises …


Bref une véritable friandise avec de vrais morceaux consistants fort agréable à déguster.


José Manuel Fajardo / Lettre du bout du monde (Carta del fin del mundo, 1996), Métailié (2012), traduit de l’espagnol par Claude Bleton.

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26 avril 2012 4 26 /04 /avril /2012 20:17

Revenons à la littérature …

 

SalaméBarouk Salamé était jusqu’à il y a peu l’auteur mystère de deux thrillers mêlant de façon intelligente (et non putassière comme certains autres) histoire des religions, monde moderne et suspense policier. Il se livre aujourd’hui dans un roman qui, s’il a pour narrateur Serjoun Sarfaty personnage des deux premiers romans, semble tout de même fortement autobiographique. Et pas du tout policier même s’il paraît chez Rivages thriller. Un roman qui raconte l’enfance de Serjoun pendant la guerre d’Algérie : Une guerre de génies, de héros et de lâches.

 

La famille du narrateur est en Algérie depuis des générations quand Serjoun décide d’écrire ses mémoires, en cet été 1962. Ils sont juifs, très à gauche et engagés dans la lutte pour l’indépendance. Les parents de Serjoun ne sont d’ailleurs jamais là, à fond dans la lutte aux côtés du FLN, et il est élevé par une grand-mère exceptionnelle, partisane de l’indépendance mais dans un pays laïc, de gauche et débarrassé de l’influence des militaires. D’Alger aux hauts-plateaux sahariens, puis à Oran fief de l’OAS, Serjoun va vivre de près tous les événements de la fin de la guerre. Et les raconter avec son point de vue d’enfant prodige.

 

Donc non il ne s’agit pas du tout d’un polar. Pas du tout. Il n’y a pas de tension narrative particulière, aucune trame policière ou enquête. C’est un roman historique construit sur le modèle des mémoires d’enfants (ou d’adolescent). Ce n’est ni mieux ni moins bien, c’est juste différent.

 

Sans crier au génie du point de vue littéraire, le roman est bien écrit, bien construit et se lit donc, indépendamment de son intérêt historique, avec facilité, fluidité et plaisir. Mais il est surtout extrêmement intéressant sur le fond. Surtout pour quelqu’un comme moi qui n’a qu’une connaissance très superficielle de ce qui s’est passé en Algérie pendant cette guerre. Ou qui en connait essentiellement l’histoire officielle et la partie sombre française (grâce entre autres aux polars de gens comme Didier Daeninckx).

 

J’ignorais tout (même si je m’en doutais un peu) des luttes fratricides entre les mouvements d’indépendance algériens. Je ne connaissais pas les différents programmes, les différentes factions, ceux qui voulaient une Algérie laïque et multiculturelle, le rôle des combattants de l’extérieur etc …

 

Donc j’ai eu l’impression d’être un peu moins ignare à la fin du bouquin, et de comprendre un peu ce qui s’est passé par la suite, ou du moins un peu plus. Pourquoi, me direz-vous (ou pas), ne pas lire alors un essai ? Et vous aurez sans doute raison. Mais c’est comme ça, j’aime qu’on me raconte des histories (je dois être un peu feignasse), et j’aime beaucoup qu’en me racontant une histoire on me rende moins couillon. Ce que fait ce roman, que je conseille donc.

 

Barouk Salamé / Une guerre de génies, de héros et de lâches, Rivages/Thriller (2012).

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3 février 2012 5 03 /02 /février /2012 16:54

Me revoilà. Je ne vous avais pas oubliés, je ne m’étais pas perdu dans le boulot, mais dans Les traîtres, pavé passionnant de Giancarlo de Cataldo. L’auteur du monumental Romanzo criminale, son meilleur roman jusque là, quitte (momentanément ?) le polar et revient en fanfare avec ce roman historique incontournable.


De CataldoDe 1844 à 1870 ce qui sera l’Italie est en guerre. Français, patriotes, mafia (qui ne s’appelle pas encore la mafia), camorra, empire austro-hongrois … complotent, trahissent, promettent, tuent, gracient au gré des alliances qui se font et se défont dans le grand bouillonnement que l’on pourra ensuite appeler l’unification de l’Italie. Espions, utopistes, modérés, radicaux, marxistes, paysans, nobles, affairistes, aventuriers, truands … Tous participent, tous ont un but. Dans ce chaos, Giancarlo de Cataldo nous attache plus précisément aux pas de :

 

- Lorenzo Di Vallelaura : patriote originaire de Venise qui, pour sauver sa peau, est contraint de devenir espion pour l’empire austro-hongrois … dans un premier temps.

- Lady Violet : Dame de la noblesse anglaise aux idées progressistes qui va soutenir les mouvements les plus radicaux en faveur de l’unité italienne.

 - Striga : Jeune italienne muette aux talents mathématiques très en avance sur son époque. Génie pour les uns, sorcière pour les autres.

- Terra di Nessuno : guerrier sarde qui passera des cachots les plus sordides à un poste de député sans jamais renier ses engagements premiers.

- Salvo Matranca : jeune membre de la Société (future Mafia).

- Paolo Vittorelli dela Mogière : Chef des services secrets du Piémont … dans un premier temps

Mais également, Giuseppe Garibaldi, Victor Emmanuel II, Napoléon III, Giuseppe Mazzini et bien d’autres personnages, réels ou imaginés par l’auteur.


Une première constatation s’impose : je suis d’une ignorance crasse, vraiment crasse, sur ce pan entier de l’histoire de notre voisin. En gros que savais-je de l’Italie ? Garibaldi et la marche sur Rome, et après on passe directement à Mussolini …


Donc difficile de prétendre que j’ai vraiment tout retenu de la trame fort complexe d’intérêts divers, de magouilles, de jeux d’influences, d’aller-retour … un lecteur plus cultivé sur la question pourra sans aucun doute apprécier cette dimension qui m’a un peu échappée (doux euphémisme !).


Ce qui ne m’a pas échappé par contre c’est le souffle romanesque de cette épopée fascinante. Car au-delà de l’intérêt historique (immense, même pour un ignare), on est en premier lieu happé par les personnages, par les histoires immergées dans l’Histoire. Et c’est bien là la première réussite éclatante du roman, qui confirme le talent de l’auteur, capable de mêler histoires individuelles et histoire collective, capable de nous intéresser à une multitude de personnages, sans en sacrifier aucun. On retrouve ici toute la richesse et la puissance de Romanzo Criminale.


Et pour ceux qui se demanderaient pourquoi écrire aujourd’hui sur cette période, il suffit de lire, et de voir comment,

- mêlés à de vrais idéalistes, ceux qui gagnent à l’arrivée sont les affairistes, ceux qui veulent faire de l’argent, quel que soit le vainqueur,

- les mouvements de truands comme la mafia et la camorra savent, déjà, se mettre du côté du vainqueur,

- cette unité de façade se heurte à des préjugés entre sud et nord

pour se rendre compte que c’est en comprenant cette période de l’histoire italienne qu’on peut commencer à comprendre ce qui se passe aujourd’hui.


Pour résumer, un roman au souffle épique unique, qu’on lit avec un plaisir immense, et qui, en plus, rend un peu plus cultivé, à défaut de rendre plus intelligent.


Giancarlo de Cataldo / Les traîtres (I traditori, 2010), Métailié (2012), traduit de l’italien par Serge Quadruppani.


Je vous laisse pour un moemnt, je viens d’entamer les plus de 700 pages du dernier Deon Meyer

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27 août 2011 6 27 /08 /août /2011 17:22

Cela fait maintenant quelques années que je connais Joseph Bialot, grâce à quelques échanges mail et téléphoniques, sans avoir encore eu l’occasion de le rencontrer « en vrai ». Et depuis que j’ai entendu parler de lui grâce à Mauvaisgenre, je sais qu’il faut que je lise C’est en hiver que les jours rallongent, récit de son expérience des camps. Et je ne l’avais jamais fait … L’occasion m’en est offerte avec cette réédition augmentée de quelques chapitres, publiée cette année sous le titre de Votre fumée montera vers le ciel.


Bialot-Fumée

Le 27 janvier 1945 le camp d'Auschwitz est libéré par l'armée rouge. Déporté en juillet 1944 Joseph Bialot fait partie des survivants qui ont vécu ce moment. Durant son périple compliqué pour rentrer en France (il n'arrivera chez lui à Paris qu'au mois de mai) alors qu'il se demande s'il va pouvoir réapprendre à vivre, il se souvient.


Pas le livre le plus amusant de l'été … Mais certainement un des plus émouvant et des plus indispensable. Même s'il clame que c'est impossible, que certaines expériences sont indicibles et impossibles à partager, Joseph Bialot arrive, autant que faire se peut, à nous faire partager l'horreur, l'arbitraire, la rage, la bêtise et la haine portées à leur paroxysme.


Le paradoxe est que, grâce à son style très imagé, à son humour noir, à son humanité, à son absence de langue de bois … le livre est « plaisant » à lire. On s'en veut presque d'éprouver parfois un plaisir littéraire là où on se dit qu'on ne devrait ressentir que de l'horreur. Mais l'auteur a tous les droits, et quand il a tous les talents voilà ce qu'il arrive à faire.


Difficile d’en dire plus sur ce témoignage tant tout commentaire se révèle forcément réducteur et fade. Ce n’est pas de la fainéantise, c’est que je ne trouve qu’une chose à écrire : Lisez-le si ce n’est déjà fait.


Pour ceux qui voudraient en savoir plus, vous pouvez aller lire cet entretien publié sur bibliosurf.


Joseph Bialot / Votre fumée montera vers le ciel, L’archipel (2011).

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  • : Il sera essentiellement question de polars, mais pas seulement. Cinéma, BD, musique et coups de gueule pourront s'inviter. Jean-Marc Laherrère
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