On a découvert Attica Locke en France avec un premier roman passionnant, Marée noire. Avec Dernière récolte, elle change de lieu et de problématique, et confirme son talent.
La Belle Vie. Une superbe propriété en Louisiane. Elle appartient depuis des générations à la famille Clancy, blanche. Et depuis des générations les Gray, noirs, y travaillent. Caren Gray est la dernière, elle dirige toute la maison qui a été transformée en musée et accueille les touristes, présente un spectacle sur le Sud d’autrefois, organise des mariages … Tout y semble immobile, jusqu’à la découverte, en bordure de la propriété, du corps d’une jeune femme qui a été égorgée. Une latino, clandestine, qui travaillait dans les champs de canne à sucre voisin.
De la belle ouvrage. Rien de révolutionnaire, mais du très beau travail. Voilà l’impression que laisse cette Dernière récolte.
Car si on y regarde de près, rien de nouveau ici dans la forme. Un crime actuel puise ses racines dans les secrets du passé, des puissants qui écrasent les faibles, presque sans s’en rendre compte, une justice à deux vitesses … Une écriture claire et limpide, des personnages solides, émouvants, compliqués, à la fois en rébellion contre leur passé et totalement conditionnés par lui. Et une intrigue bien menée, avec ce qu’il faut de secrets et de coups de théâtre. Bref de la belle ouvrage.
Et quand même un peu plus. Parce que l’atmosphère des grandes familles du sud est très bien rendue. Parce que je ne connaissais pas l’histoire qui se trouve au centre du secret et de l’intrigue (et bien entendu je ne vous en dirai pas plus).
Parce qu’aussi l’auteur campe ce personnage de propriétaire plein de morgue, en apparence très libéral. Un libéral qui dit, convaincu, que sa famille a beaucoup fait pour celle des Gray. Une inversion de valeur et de sens que l’on entend de plus en plus. Aujourd’hui, ce ne sont plus les employés qui permettent, par leur travail, au propriétaire d’une entreprise de gagner de l’argent, c’est le proprio, ce philanthrope, qui se sacrifie pour eux, pour leur « donner » du travail. Inversion, hallucinante et ô combien fréquente, que tous les Clancy du monde pratiquent de nos jours, et de façon si naturelle qu’ils finissent par y croire. C’est parfaitement écrit ici, et cela a le mérite d’être choquant. Au lecteur d’identifier tous les Clancy et Gray autour de lui …
Et puis, en ces temps troublés où les mal lotis cherchent un plus mal loti qu’eux sur qui faire retomber la faute de leur disgrâce, montrer ces noirs du sud, exploités légalement, s’en prendre aux latinos clandestins, encore plus exploités qu’eux, n’est pas inutile. Et c’est transposable ailleurs que dans le sud des US …
Bref, ce serait vraiment dommage de passer à côté de la Dernière récolte. Belle histoire, solide, fort bien racontée, et beaucoup plus politique, actuelle et universelle qu’on pourrait le penser à la première lecture.
Attica Locke / Dernière récolte (The cutting season, 2012), Série Noire (2014), traduit de l’américain par Clément Baude.