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13 novembre 2007 2 13 /11 /novembre /2007 18:27

Ouvrier. Ouvrier ? Mais il n’y en a plus mon bon monsieur. Ils ont disparu, en même temps que le Capitalisme et la lutte des classes. C’est du moins ce que nous disent les média et la quasi-totalité de la littérature française. Il semblerait qu’il en reste quelques-uns de l’autre côté de l’Atlantique. Thomas Kelly fut l’un d’eux. Cet américain d’origine irlandaise a grandi dans le Bronx, et payé ses études en travaillant comme ouvrier dans le bâtiment, manœuvre avec ceux qui creusent les tunnels, employé d’usine de conditionnement, chauffeur de taxi …

 

Tout cela se retrouve dans ses deux premiers romans : Le ventre de New York, qui se déroule dans le milieu des hommes qui risquent leur vie tous les jours pour creuser les milliers de tunnels qui courent sous la ville ; et Rackets qui conte l’histoire de trois jeunes issus d’un quartier ouvrier et se trouvent pris dans une bataille pour le contrôle du syndicat des camionneurs de New York.

 

Kelly.jpgLes bâtisseurs de l’Empire se situe à une époque antérieure : Michael Briody est irlandais. Il a vécu les luttes sanglantes contre l’occupant anglais, puis entre factions irlandaises. Il est maintenant à New York et, en cette année 1930, alors que la misère sévit dans les rues, il a trouvé un travail dans le chantier le plus gigantesque de la ville : la construction de l’Empire State Building. Il continue a servir la cause irlandaise, en recueillant des fonds et des armes pour les envoyer à Dublin. Grace est peintre, elle vit sur un bateau et est la maîtresse de Johnny Farrell, l’homme de l’ombre du maire de New York. C’est lui qui graisse les rouages, distribue les pots de vin, fait la liaison entre le monde politique, le monde des affaires et les différents groupes mafieux, très puissants en cette période de Prohibition. Michael se rend rapidement compte que le chantier qui compte tant pour lui repose sur de biens sales fondations de corruption et de magouilles. Mais c’est quand il tombe amoureux de Grace qu’il met vraiment le pied dans l’immense machine à broyer.

 

Ce troisième roman gagne encore en souffle grâce au choix d’une époque et d’un décor particulièrement spectaculaires : La crise de 29, avec son cortège de misère et de détresse, les répercutions américaines de la guerre qui fait rage en Irlande, et, comme en écho, la lutte sans merci des mafias irlandaises et italiennes pour le contrôle du trafic de l’alcool (nous sommes en pleine Prohibition), et plus largement pour mettre la main sur la ville. Dans ce monde de corruption et de violence, l’entreprise insensée et titanesque que fut le construction de ce qui était, à l’époque, le plus grand édifice du monde permet, sans jeu de mot, de prendre de la hauteur et d’insuffler un peu d’air pur.

 

Dans ce contexte exceptionnel on retrouve toutes les qualités des précédents romans : Une superbe description du milieu ouvrier, avec ses contraintes, sa terrible violence, mais également la fierté de construire, de faire partie de ceux qui bâtissent une légende ; une intrigue soignée, complexe, qui met en lumière les connections entre les mondes de la politique, de la pègre et des affaires, avec le poids très lourds des syndicats gangrenés par les mafias ; et des personnages de chair et de sang, palpitants, humains, magnifiques … romanesques en un mot. Un magnifique chant d’amour à une ville, et un superbe hommage à ceux qui l’ont construite, souvent au péril de leur vie.

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25 octobre 2007 4 25 /10 /octobre /2007 21:05

Revenons sur le prix 813 du roman étranger. Dans la liste des cinq présélectionnés figurait également le dernier Daniel Woodrell. Cet auteur, né en 1953 dans le Missouri a eu la trajectoire assez classique pour un écrivain américain : une scolarité chaotique, un engagement à l’armée à dix-sept ans, un passage chez les Marines, puis une série de petits boulots qui l’ont amené à voyager dans tout le pays avant de commencer à vivre de l’écriture.

 

Ses romans traduits sont tous publiés chez Rivages, et n’ont malheureusement pas encore trouvé le public qu’ils méritent.

 

Les trois premiers, policiers relativement classiques, se passent dans une petite ville de Louisiane et mettent en scène un flic, René Shade, et toute sa famille. Si Sous la lumière cruelle, et Battement d’aile sont « juste » de bons polars, bien construits, autour d’une ambiance géographique et humaine bien rendue, le troisième Les ombres du passé, a déjà les qualités et le ton des romans à venir : Le vieux John X. Shade, disparu depuis longtemps, revient en ville, traqué par un tueur qu’il a arnaqué. Le récit, simple et dépouillé, laisse une large part à l'émotion et aux personnages, superbes et attachants. Le vieux Shade, cabot pathétique, est magnifique, et l’émouvant récit de son retour vers sa première famille est en permanence pimenté par la tension créée par la description de l'itinéraire du tueur qui se rapproche inexorablement.

Chevauchée avec le diable est une oeuvre à part dans sa bibliographie, et peut-être le plus connu grâce au film qu’Ang Lee en a tiré. Se déroulant pendant la guerre de sécession, c’est un roman d'une noirceur éprouvante, mais aussi d'une grande humanité, que devraient lire tous ceux qui osent encore parler de "guerre propre". Un roman où la mort est une compagne de toutes les pages, où les hommes sombrent dans la folie, et où seuls quelques uns réussissent à garder une étincelle d'humanité qui leur permet de refuser de franchir certaines limites. Un roman sur la souffrance, la perte de toutes les illusions, mais aussi sur l'amitié et la loyauté.

 

Faites-nous la bise est également à part : il est plutôt drôle ! A la frontière entre le Missouri et l'Arkansas, les Ozarks. Un lieu rude, paumé, peuplé de gens rugueux. Parmi eux les Redmon, en délicatesse avec la loi, par tradition, à moins que ce ne soit génétique. Doyle croyait avoir échappé à ça : écrivain, professeur à la fac, marié, il vivait en Californie. Quand  sa femme le plaque il prend sa voiture pour revenir à la maison. Il y retrouve son frère Smoke, qui, avec sa copine Big Annie, et la fille de celle-ci, l'ébouriffante Niagra, fait pousser quelques pieds de canabis. Tout irait bien s’il n’y avait les vieilles rancœurs, les haines tenaces, et une bande d'affreux, qui sévissent dans la région. Les quatre personnages principaux, passablement allumés débordent d'énergie, vivent à fond, rêvent, se démènent, et on ne peut s'empêcher de les aimer. Dans un décor qui peut faire penser à ceux de Chris Offut, Woodrell installe ses quatre énergumènes, qui picolent, fument, baisent, rigolent … et jouent au golf au milieu de bouses de vaches. Comme les méchants sont particulièrement réussis, le lecteur se régale.

Les trois romans suivant de Woodrell sont de nouveau beaucoup plus sombres. La fille aux cheveux rouge tomate met en scène deux adolescents paumés dont la recherche d’un tout petit peu de bonheur est inévitablement vouée à l’échec, et dont la vie ne peut que finir dans la tragédie.

 

La mort du petit cœur est encore plus poignant : Shuggie 13 ans, gros lard ou gros cul pour son père, petit cœur pour sa mère. Un père violent et voleur, qui les bat et oblige Shuggie à aller voler des médicaments dans les maisons. Une mère alcoolique, mais encore très belle, qui allume son fils en permanence, tout en faisant semblant de ne pas s'en rendre compte. Quand apparaît Jimmy Vin au volant de sa superbe voiture qui semble flotter plus que rouler, le drame éclate. Woodrell décrit la vie des laissés pour compte du rêve américain. Pas vraiment des épaves, pas des gens totalement désespérés, juste ceux qui savent que le luxe, le beau, l'agréable, tout ce que la télé leur vante à longueur d'antenne n'est pas pour eux, et ne le sera jamais. Qu'ils mèneront toute leur vie une existence minable, sans joie ni couleur. Le tout dans le cadre atroce d'ennuie d'une petite ville. Les personnages sont décrits avec une grande tendresse, une grande humanité, même si on sent dès le départ que tout ça ne peut que mal finir. Ca fait penser à Thomson en plus tendre, ou à Goodis. C'est sombre et émouvant, c'est à lire.

 

Et voici enfin le dernier, celui qui a failli avoir le prix 813 ! (je sais, je traîne, je traîne).

 

Un hiver de glace se déroule dans les Ozarks, comme Faites-nous la bise. Ree Dolly a seize ans et se retrouve responsable de la survie de sa famille depuis que son père Jessup a disparu au volant de sa voiture. Ses deux petits frères et sa mère qui a sombré dans la folie dépendent d’elle. La situation déjà précaire dans ces vallées perdues, empire quand la justice vient lui dire que son père ne s’est pas présenté au tribunal après avoir été libéré sous caution. Elle a un mois pour le retrouver, ou leur maison sera saisie. En quelques chapitres, Woodrell campe des personnages étonnamment attachants, dans un environnement que l’on a du mal à rattacher à la première puissance mondiale ! S’ils semblent vivre dans un autre pays et même une autre époque, Ree Dolly et ses voisins n’en provoquent pas pour autant la pitié. Durs au mal, d’une combativité incroyable, ils se battent avec une grande violence pour leur survie, contre une nature austère et souvent hostile (magnifiquement rendue par Woodrell), mais également entre eux, victimes de querelles de familles vieilles comme leur installation dans la région. Et gare à qui voudrait venir y mettre son nez. Dans cet univers très dur, les femmes sont loin d’être réduites au rôle de victimes consentantes : comme Ree elles font preuve d’encore plus de résistance, de courage, et parfois de cruauté que les hommes. Mais ce sont également elles qui apportent au roman ses rares rayons de soleil. Ree Dolly et sa copine Gail sont des personnages que l’on n’est pas prêt d’oublier.

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22 octobre 2007 1 22 /10 /octobre /2007 20:27

L’automne est là, les journées raccourcissent, on allume les premiers feus de cheminées, l’affreux mois de novembre se profile à l’horizon … D’ici peu ce sera tout le monde dedans, sous la couette ou dans le fauteuil à côté du feu. Le grand air va commencer à manquer. Pas de panique, il suffit d’ouvrir un roman de chez Gallmeister pour que le vent des grands espaces américains vienne souffler dans votre petit intérieur douillet !

 

Un simple tour sur leur site web, magnifique, permet de prendre une grande bouffée d’air pur. Et pour mon plus grand bonheur, et le vôtre, à côté d’écrits écologistes, ils publient une collection Noire.

 

Il y a la Rivière de sang du Montana de Jim Tenuto, et son ex footballeur pro, ex marine. Il est devenu guide de pêche pour un riche excentrique qui a réussi à sa mettre à dos tout ce que le Montana compte d’excités : les autres éleveurs parce qu’il n’est pas du coin et s’est mis en tête d’élever des bisons, les chasseurs et pêcheurs à qui il interdit l’accès à ses terres, les protecteurs des animaux et une milice d’extrême droite parce qu’il ne veut pas leur céder des terres qu’ils convoitent. L’intrigue est assez classique mais c’est bien fait, bien écrit, avec du rythme et de l’humour. Le décor est somptueux, les pages sur la pêche superbes, et le tout est pimenté par la description grinçante et plutôt drôle que quelques allumés pas piqués des vers, qui ne dépareraient pas chez le grand Carl Hiaasen.

 

Edward Abbey et son Gang de la clef à molette sont nettement plus originaux. Ecrit en 1975, ce roman met en scène quatre allumés : un mormon qui travaille comme guide dans la région des grands canyons, un ancien du Vietnam désoeuvré et surarmé, un chirurgien cinquantenaire d’Albuquerque, et sa flamboyante maîtresse. Ne supportant plus ce que l’homme, et ses compagnies pétrolières, gazières et électriques font subir à leur cher Ouest désertique ils décident que quelqu’un doit faire quelque chose. Ils initient alors une série de sabotages, de plus en plus ambitieux, qui va en faire la bande la plus recherchée de la région. En 1975, il fallait être un visionnaire. Et même s’il souffre de quelques, très rares, longueurs, c’est aussi et surtout un roman plein de souffle, d’humour, de fureur, de tendresse … Tout ce qu’on aime dans les grands romans noirs. Les personnages sont incroyablement attachants, les paysages extraordinaires de l’ouest américains sont magnifiquement décrits, et le lecteur suit avec amusement, passion, puis inquiétude et angoisse le périple des quatre pieds nickelés écolos, dans leur cavale pleine de panache, mais vouée, dès le départ, à un certain échec.

 

Vingt ans plus tard, Edward Abbey persiste et signe avec … Le retour du Gang de la clef à molette tout aussi allumé, rigolard et jouissif que le premier, avec des vrais récits de sabotages qui font chaud au cœur et donnent envie de partir dans l’Ouest avec une sacoche pleine de dynamite.

 

Ma dernière découverte dans cette belle maison : Dérive Sanglante de William G. Tapply. Stoney Calhoun est sorti de l’hôpital il y a cinq ans. De sa vie antérieure, il n’a gardé que des flashes. Il sait seulement que quelqu’un verse tout les mois une somme conséquente sur son compte, et qu’un monsieur très prudent en costume gris vient régulièrement vérifier s’il se souvient de quelque chose. Il s’est installé dans une maison au bord d’une rivière, dans le Maine, et exerce comme guide de pêche. Une vie tranquille jusqu’au jour où son meilleur ami est tué en accompagnant un client. En enquêtant sur sa mort, Stoney s’aperçoit qu’il a des ressources qu’il ne soupçonnait pas …

 

Nous avons là le début d’une série. Quoi de mieux qu’un amnésique au passé mystérieux et sans doute violent pour accrocher le lecteur et lui donner envie d’y revenir ? Rappelez-vous les premiers XIII, avant que la série ne tire un peu trop sur la corde. Après les canyons de l’Ouest meurtri et les rivières du Montana, voici, avec Stoney Calhoun, la pêche dans le Maine. Comme celui de Tenuto, ce polar ne révolutionne pas le genre, mais il est bien écrit, l’intrigue se tient parfaitement, son personnage principal est attachant et promet des rebondissements excitants, et la nature omniprésente est fort bien décrite. Alors si vous voulez changer d’air, ouvrez les pages et écoutez couler la rivière.

 

Prochain dans ma pile : La sanction de Trevanian qui pour changer se déroule dans les Alpes, sur la face nord de l’Eiger plus précisément.

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11 octobre 2007 4 11 /10 /octobre /2007 21:10

Après une série consacrée au détective privé noir Lew Griffin de la Nouvelle-Orléans, (publiés dans la défunte collection La Noire), James Sallis a débuté avec Bois Mort une nouvelle série ayant pour personnage central Turner, ex flic de Memphis venu s’installer dans une petite ville du Mississipi. C’est un homme marqué, qui a fait quelques années de prison pour avoir tué son partenaire lors d’une mission. Par hasard, et presque contre son gré, il est devenu adjoint du shérif.

 

Cripple Creek commence la nuit où son boss arrête pour conduite dangereuse un homme en possession de 200 000 dollars. Le lendemain matin, quand il arrive au bureau, Turner trouve le shérif et sa secrétaire gravement blessés. L’homme s’est envolé, délivré par des complices. Turner suit leur piste qui le conduit à Memphis, où il n’est guère le bienvenu. Son intrusion dans le monde de la pègre locale va déclencher une nouvelle vague de violence.

 

Ce deuxième roman de la série Turner me laisse perplexe. Turner est un personnage très attachant, les personnages secondaires sont superbes ; les descriptions de la nature sont magnifiques, il se dégage de certaines scènes un paix et une émotion très prenantes. Pourtant, il manque du lien entre ces moments forts. James Sallis pousse son utilisation de l’ellipse à un niveau tel que j’ai parfois décroché. L’intrigue en devient si ténue qu’on se demande parfois si on n’a pas sauté un passage par inadvertance. Et les digressions, fort bien amenées dans les romans précédents, viennent encore diluer le propos, sans que l’on comprenne toujours leur lien avec le fil du récit. Venant d’un écrivain aussi talentueux et expérimenté que James Sallis, on peut supposer que c’est un effet voulu. Mais j’avoue qu’il m’a désorienté.

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3 octobre 2007 3 03 /10 /octobre /2007 22:03

Mark Haskell Smith est encore très peu connu en France. Pourtant A bras raccourci le premier roman traduit de ce scénariste, était un vrai régal. Je me demandais à l’époque : « La côte ouest aurait-elle trouvé son Carl Hiaasen ? ».  Parce que cette histoire de bras perdu, après lequel courent toute une ribambelle de cinglés n’était pas sans rappeler les meilleurs romans de l’immanquable chroniqueur de la vie en Floride.

 

Je me trompais. Non que Mark Haskell Smith se soit assagi (quoique), ou qu’il déçoive dans ce second roman. Non, c’est juste qu’il n’a visiblement pas l’intention de se limiter à la Californie.

 

Delicious se déroule à Hawaï. Joseph, son oncle Sid et son cousin Wilson y gèrent une petite entreprise qui fournit les cantines des équipes de tournage qui viennent sur l’île. Tout se passe bien jusqu’à ce que Big Jack Lucey, gros fournisseur d’Hollywood basé à Las Vegas décide de venir prendre le marché, et se débarrasser de la concurrence. Le problème est que Big Jack est un peu moins intimidant depuis qu’il a été victime d’une attaque cérébrale qui l’a laissé à moitié paralysé ; d’autant moins intimidant qu’une opération hasardeuse l’a affligé d’une érection permanente. Alors Big Jack, comme d’habitude, va faire appel à ses copains du syndicat des camionneurs de Las Vegas, qui eux-mêmes sont en contact avec quelques pros assez convaincants. Tout ce beau monde fait une grosse erreur : sous-estimer les réactions des hawaïens, qui restent adeptes du lua, technique de combat ancestrale où il faut briser les os de l’adversaire …

 

Avant de se lancer dans ce roman, les lecteurs doivent savoir une chose : La plupart des personnages de Delicious ne pensent qu’à une chose : baiser. Et ils pratiquent. Souvent. Alors ceux que les scènes de cul (il faut bien appeler les choses par leur nom) choquent peuvent tout de suite passer leur chemin.

 

Pour les autres, c’est un régal sensuel. Mark Haskell Smith est visiblement tombé sous le charme d’Hawaï, ses odeurs, sa cuisine, ses fruits, sa lumière, et bien entendu l’océan, la fureur des rouleaux, la beauté des dauphins … Le roman est une ode à Hawaï.

 

 « L’océan s’était calmé. Les petits rouleaux claquaient paisiblement contre Keith, son cerveau roulait au rythme des vagues. L’eau était chaude et l’air, parfumé par mille plantes tropicales, commençait juste à se rafraîchir avec le crépuscule. L’univers tout entier était soudain devenu incroyablement délicieux. »

 

Mais que les fans ne s’inquiètent pas, notre ami ne s’est pas limité à cela, et il est resté passablement allumé. Comme dans son premier roman, il offre une intrigue échevelée et une sacré galerie de cinglés, drogués, obsédés, abrutis, alcolos … qui se télescopent en une série de scènes et de dialogues plus réjouissants les uns que les autres.

 

Cerise sur le gâteau, en négatif du portrait lumineux de l’île, le roman propose, sans avoir l’air d’y toucher, une critique cinglante de l’American way of life, et des pratiques dérivées du Tout Puissant Marché et sa compagne, la Loi du Plus Fort :

 

« Balancer ce putain de sumo dans un volcan serait une bonne idée, aucun doute. Y aurait pas meilleure entrée en matière pour faire son trou et annoncer son plan d’activité. […] La mort est un outil commercial très efficace. Dictateurs, tyrans, despotes et P-DG de grosses entreprises l’ont maintes et maintes fois prouvé. Des gens se dressent sur votre chemin, vous les faites disparaître. Pour l’exemple. Et hop, il n’y a plus de concurrence et tout le monde devient très coopératif. »

 

Pour finir, l’ultime réplique est absolument … délicieuse !

 

Confirmation donc du grand talent démontré dans l’excellent A bras raccourcis. Vivement le suivant.

 

Pour ceux qui causent english, vous pouvez aller sur son site pour en savoir un peu plus sur cet énergumène.

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18 septembre 2007 2 18 /09 /septembre /2007 22:06

Difficile de ne pas passer à côté d’un auteur dont les copains vous ont pourtant beaucoup parlé ; il y en a tant. Tim Dorsey faisait partie de ceux que j’avais ratés, je me suis rattrapé avec Florida Roadkill, paru en 2000 chez Rivages.

 

Nous sommes en Floride. Serge et Coleman forment, à eux seuls, un sujet d’études pour des congrès entiers de spécialistes en psychopathes. Quand ils rencontrent Sharon, vamp sculpturale sous cocaïne, qui épouse les hommes pour les tuer de façon fort imaginative et récupérer leur assurance vie, le duo infernal se transforme en véritable bombe ambulante. Veale, orthodontiste sans scrupule qui gagne des fortunes à arnaquer les mamans richissimes de Floride en fera les frais. Serge décide de toucher la prime de 5 millions de dollars pour laquelle il a assuré ses mains. Il lui coupe donc deux doigts avant de l’amener aux urgences. Quand Veale s’échappe avec la prime, la compagnie d’assurance coule ; or elle servait à blanchir l’argent d’un cartel de la drogue … La course au magot va mettre toute la Floride à feu et à sang.

 

On ne peut reprocher à Tim Dorsey de manquer d’énergie, d’humour ou d’imagination ! Le récit, totalement éclaté, fuse à toutes les lignes. Les péripéties s’accumulent, les morts plus ou moins atroces, plus ou moins drôles, plus ou moins gores se succèdent. Ca pète, ça hurle, ça tire, ça claque … dans tous les sens et sans une seconde de répit. L’ouragan Tim Dorsey emporte tout sur son passage, et c’est vraiment impressionnant. J’avoue cependant, que sur la longueur, c’est aussi un peu fatigant. On ne sait pas trop où on va, on a l’impression que l’auteur non plus, et on finit avec une vague nausée, comme quand on voit un film sans aucune pause, où les personnages courent tout le temps, et ne savent parler qu’en hurlant. Personnellement, tant qu’à visiter les allumés de Floride, je préfère très nettement Carl Hiaasen, mais Dorsey a aussi ses fans. Des goûts et des couleurs …

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6 septembre 2007 4 06 /09 /septembre /2007 21:47

Voici donc, comme annoncé, le nouveau roman de Jake Lamar. Un roman moins politique que Le caméléon noir et Nous avions un rêve, un roman que l’on sent beaucoup plus autobiographique (mais je peux me tromper).

 

Le Jake Lamar du roman s’appelle Ricky Jenks et comme tous les personnages de l’auteur est noir américain. Il vit insouciant et très heureux à Paris. Il n’a pas fuit le racisme ou la discrimination. Il a juste cherché à mettre le plus de distance possible entre lui et sa famille modèle, archétype des noirs qui ont réussi, et qui ne peuvent pas admettre un instant qu’il n’ait pas l’intention d’être le meilleur dans sa branche. Car, Ricky a un défaut rédhibitoire aux USA, et encore plus dans sa famille : il n’a d’autre ambition que celle de profiter de la vie. Pianiste de bon niveau, il joue le soir dans une crêperie de Montmartre, va acheter sa baguette le matin, passe de temps en temps chez sa compatriote et amie Marva qui a ouvert un restaurant à succès, et profite d’une ville qui continue à le fasciner. Il serait totalement heureux s’il n’était amoureux de Fatima qui, elle, est très ambitieuse. Tout se gâte quand son cousin Cassius débarque sans prévenir. Grand médecin, plein de fric et de succès, très médiatisé, Cassius lui avait fait la crasse qui avait hâté son départ des USA. Cassius qui va l’embarquer dans une nouvelle galère …

 

Certes, ce nouveau roman n’a pas la puissance et l’impact du précédent, qui laissait le lecteur groggy. L’intrigue est bien parfois un rien tirée par les cheveux, mais on s’en fiche. Elle est là pour servir de liant entre des personnages extraordinaires, des scènes de réunions et de discussion rendues avec une vérité qui donne envie de s’y trouver, les descriptions superbes, et de fort belles pages sur la musique. L’essentiel est là. Dans l’amour du personnage (et de l’auteur ?) pour Paris, dans son émerveillement permanent devant les beautés de la ville ; ses réflexions sur la vie d’un expatrié, même volontaire ; le regard décalé qu’il porte sur la France et les français ; son rapport complexe avec les US et les Américains … Tout cela est passionnant, fort bien écrit, et nous apprend beaucoup de chose sur notre pays, et le sien.

 

Jake Lamar vit à Paris depuis 1993, et a un site web, en français et en anglais.

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5 septembre 2007 3 05 /09 /septembre /2007 13:43

Né en 1954, Norman Green avait près de cinquante ans quand il a écrit son premier roman Shooting Dr Jack, traduit et publié en France à la série noire en 2005 sous le titre de Dr Jack. Dans la plus pure tradition des écrivains américains rugueux, il avait travaillé comme conducteur de camions, ouvrier dans le bâtiment, représentant de commerce, chef de travaux … avant de se lancer dans l’écriture. Heureusement qu’il s’y est mis. Il a déjà publié quatre romans aux USA.

 

Dès le coup d’essai, ce fut un coup de maître. Passé relativement inaperçu en France, Dr Jack était une magnifique découverte. Le cadre, morceau d’Enfer à deux rues des quartiers huppés de Brooklyn, était superbement rendu. Le talent de Green éclatait dans la construction des personnages : Fat Tommy, souriant, habillé classe, est le cerveau, grand spécialiste en relations humaines et commerciales ; Stoney, toujours de mauvais poil, à cran, alcoolique, vraie pile de nerfs qui règle les problèmes qui nécessitent un dur ; tous les deux au bord du gouffre, prêts à basculer à tout moment vers la générosité ou la cruauté. Le roman noir est un roman de la rupture, ici tout était au point de rupture, le quartier, les bâtiments, les gens.

 



On retrouve ces qualités dans L’ange de Montague Street. Nous sommes à Brooklyn au début des années soixante-dix. A 17 ans, Silvano Iurata a fuit le quartier et sa famille mafieuse. Il est parti après un grave conflit avec une partie de la Famille. Après quelques années passées à l’armée et dans les opérations spéciales de la CIA au Vietnam, il revient pour trouver ce qui est arrivé à son frère Noonie qui a disparu depuis quelques mois. Noonie aimé de tous, ami des marginaux, des cassés, des fous, était lui-même un jeune homme un peu simple, toujours heureux, sans la moindre once de méchanceté. Silvano revient avec sa hargne et sa rage, mais il sait qu’il devra faire très attention car ceux qui lui en voulaient quand il est parti sont toujours là, et sont devenus très puissants.

 

Même qualité dans la description du quartier, des rues, avec leur ambiance, leurs habitués, leurs odeurs, leur vie. Les personnages, marqués, tendus à la limite de la rupture, quand ils ne sont pas déjà totalement passé de l’autre côté de la folie, sont tous magnifiques, émouvants ou inquiétants, pathétiques ou effrayants. Le plus beau étant peut-être celui qu’on ne voit jamais, Noonie, mort avant le début du roman, dont on découvre un portrait lumineux au travers des témoignages de ceux qui l’ont côtoyé. Puis il y a Silvano, sorte de boule de rage en permanence au bord de l’explosion, qui voudrait bien savoir d’où lui vient sa colère.

 

L’intrigue est construite autour d’une double interrogation : Pourquoi Silvano est-il parti à dix-sept ans ? Qu’est-il arrivé à Noonie ? En passant de l’un à l’autre avec un sens du rythme impeccable, Norman Green construit un roman sur le fil du rasoir habité par des personnages inoubliables.

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5 septembre 2007 3 05 /09 /septembre /2007 13:38

Et merde !

 

J’apprends par la liste de diffusion de l’association 813 que Marc Behm est mort cet été. Mauvaise nouvelle. Parmi les inclassables, il tenait une place à part. Il osait tout, du noir le plus sombre, à l’érotique, de l’humour macabre au thriller tout en ambiance. Il avait osé des polars complètement déjantés, ayant pour personnage principal une superbe Mort, sensuelle à mourir, qui venait récupérer les récalcitrants entre ses cuisses gainées de noir. De quoi partir heureux.

 

Comme ça, quelques souvenirs intacts. Mortelle randonnée, bien entendu, superbe polar envoûtant, entre rêve et réalité, magnifiquement adapté à l’écran par Claude Miller, avec Michel Serrault (encore un qui c’est barré cet été), et Isabelle Adjani.

 

Puis la Vierge de glace, polar jeté et fort drôle, où une bande de vampires se retrouvent réduits à faire un casse pour pouvoir louer, enfin, une baraque gothique dans Manhattan.

 

L’angoissante Reine de la nuit. Noire, éprouvante mise en scène d’une jeune femme sans morale devenant la reine des nuits nazies, sans être jamais effleurée par le moindre doute, le moindre questionnement sur les horreurs qu’elle voit.

 

Et puis Lucy, la belle, la superbe, toute de cuir vêtue, qui dans Crabe, Ne cherche pas à savoir, et Trouille, vient hanter les nuits de ceux qui ne veulent pas payer leur dette …

 

Et merde donc.

 

Restent les bouquins, et la certitude qu’il est quelque part, en train de faire une bringue d’Enfer avec Lucy. Elle lui doit bien ça.

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3 septembre 2007 1 03 /09 /septembre /2007 09:54

Il y a quelques années, quand la Californie avait pondu une loi sur la récidive, un dangereux malfaiteur qui en était à son troisième crime avait enfin été mis à l’ombre pour 15 ans. Ouf, la société était à l’abri d’un dangereux voleur de pizzas. En France tout le monde s’était moqué de ces abrutis d’amerlocs qui mettaient 15 ans en taule un pauvre type pour vol de pizza (je ne suis même pas sûr qu’il avait volé un pizza entière).

 

Aujourd’hui grâce à notre dynamique ministre de la justice, un pauvre gars vient de prendre quatre ans pour le vol d’un téléphone portable et de quelques dizaines d’euros.

 

Encore un effort et grâce à notre nouvelle équipe gouvernementale nous allons faire un grand pas en avant, vers le … XIX° siècle. Au fait, ça ne vous dit rien, dans les classiques que l’on a tous lu et vu au cinéma un homme envoyé au bagne pour le vol d’un morceau de pain ?

Plus près de nous, la nomination et l’action de Rachida Dati me renvoient aussi et encore vers la littérature, récente cette fois, et, américaine. On se croirait dans l’avant dernier roman de Jake Lamar, Nous avions un rêve, publié chez Rivages.

Melvin Hutchinson est noir. Il a été avocat des droits civiques dans les années soixante, puis associé d'un un grand cabinet d’affaires de Wall Street. Il vient de faire une entrée remarquée en politique comme ministre de la justice de l’équipe du très charismatique président Troy McCracken, très charismatique, très médiatique, et très agité (comme chez nous ?). Il déclare lors de sa première conférence de presse que les parasites (toxicomanes, dealers, et autres voleurs ou assassins) doivent être, internés pour les moins dangereux, pendus pour les autres. Il devient donc Melvin la corde. Et sa carrière ne fait que commencer. Mais le passé le rejoindra et il finira par s’apercevoir qu’il n’a été, tout du long, qu’un alibi, une marionnette dans les mains de ceux qui ont le réel pouvoir.


Le roman est impressionnant, par sa richesse, sa puissance, et sa qualité d’écriture. Sur la forme, l’intrigue est superbement construite, avec ses multiples allers-retours entre les quelques jours du présent, et le passé des différents protagonistes qui viennent, au compte-gouttes, préparer la chute. Sur le fond, il est effrayant : Dans sa façon de rendre, en l’exagérant si peu, la mise en spectacle de toute la vie américaine, que ce soit la politique ou la justice (comme chez nous ?) ; dans son anticipation du grand virage sécuritaire, annoncé par la politique tolérance zéro du maire de New-York, et renforcée par les attentats de septembre 2001 (comme chez nous ?) ; dans sa description des effets du communautarisme poussé à outrance (comme chez nous ?).

Il met en scène, ce que nous vivons aujourd’hui avec la récupération de personnalités alibi qui, pour justifier leur poste, sont plus royalistes que le roi. Espérons seulement que notre ministre ne finira pas aussi mal que Melvin. Heureusement, parfois les artistes vont un tout peu plus loin que la réalité, mais si peu.

 

Très bientôt, je vous parlerai du nouveau roman de Jake Lamar, Rendez-vous dans le 18°.

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