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13 août 2009 4 13 /08 /août /2009 00:30

C’était inévitable. Le choc de La religion m’a donné envie de découvrir les polars de Tim Willocks. Je me suis un peu emmêlé les pinceaux, et j’ai commencé par la fin, tant pis, c’est pas grave, on peut parfaitement lire Les rois écarlates sans avoir lu Bad city blues, même s’il reprend certains personnages.

 

Lenna Parillaud, richissime propriétaire de Louisiane, ne vit que par la haine et la vengeance depuis près de vingt ans, depuis que sa fille lui a été enlevée à la naissance. Le psychiatre Cicero Grimes quant à lui se vautre dans une dépression profonde depuis six mois. Les deux reçoivent une lettre de Clarence Jefferson, qui fut leur tortionnaire, et qui va, une fois de plus, changer leur vie et déclencher un ouragan de violence.

 

Fan de chichourle, voilà un polar qui déménage ! Du violent et sombre comme on n’en lit quand même pas tous les jours. Et pas du préfabriqué, avec serial killer, scènes bien gores pour voyeurisme pépère et flic torturé et borderline monté en kit. Non du qui prend aux tripes et qui dérange. Du qui vous fait regarder la Bête dans les yeux, qui vous plonge dans la Bête que vous avez au fond de vous. Du qui vous fait vous demander si vous aussi, parfois … Avec de vrais personnages, des fous furieux qui font vraiment peur, une bien belle écriture, et une construction en crescendo impeccable.

 

Et ce n’est pas tout, même si c’est déjà beaucoup. On y trouve aussi, au détour d’une page, quelques interrogations sur ce qu’est l’engagement et le sens de la responsabilité aujourd’hui, par rapport à ce qu’ont vécu des générations antérieures. On y trouve déjà une réflexion sur la pulsion de violence que nous avons tous en nous, une réflexion très présente dans La religion, mais qui est déjà là, en germe. Une réflexion qui nous touche tous.

 

Qui n’a jamais eu envie de prendre une barrouille (barrouille : gros morceau de bois, fer ou n’importe quoi de dur qu’on a très bien en main et qui fait, toujours, de très gros dégâts) et d’éclater la tronche de … l’Ennemi, quel qu’il soit ? Des millénaires d’éducation et de civilisation font que, habituellement, on ne cède pas, et on se dit que c’est mal. Mais cela n’enlève pas l’envie, et les millénaires ne sont parfois qu’un verni bien fin, si l’on en croit ce qu’on lit et ce qu’on voit autour de nous … C’est aussi cette envie là que Tim Willocks interroge.

 

Bref, je vais de ce pas acheter Bad city blues.

 

Tim Willocks / Les rois écarlates, (Bloodstained kings, 1995) Seuil/Points (2009), traduit de l’anglais par Elisabeth Peellaert.

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28 juillet 2009 2 28 /07 /juillet /2009 23:39

On peut lire, ici ou là, sur les blogs ou les forums, cette exhortation incantatoire : Lisez La religion de Tim Willocks : IL FAUT LIRE La religion de Tim Willocks. Ils ont raison sur les blogs et les forums, et je vais ajouter ma voix à celles, nombreuses, des nouveaux adorateurs de ce roman monstrueux, par sa taille (plus de 800 pages), par son talent, par son écriture, par sa force, par la puissance de son évocation … Mais commençons par le commencement :

 

1565. Soliman le Magnifique, sultan des Turcs, a décidé d'éradiquer un de ses plus féroces ennemis : l'Ordre de Malte, aussi nommé La Religion. Il envoie des dizaines de milliers d'hommes assiéger ces moines soldats fanatiques dans leur propre forteresse. Dans le même temps, un Inquisiteur débarque sur l'île pour tenter de permettre au Pape de reprendre le contrôle de cet ordre, extrêmement riche, et de plus en plus indépendant de Rome. C'est dans ce contexte pour le moins trouble que Matthias Tanhauser, aventurier d'origine hongroise, ayant servi pendant des années dans les troupes d'élite turques avant de s'installer comme trafiquant d'armes en Sicile se laisse convaincre par une belle comtesse de l'aider à récupérer son fils à Malte. Il ne se doute pas qu'il va ainsi mettre les pieds en enfer.

 

« James Ellroy a transfiguré le thriller, Stephen King a réinventé le roman d'horreur. Avec la religion, Tim Willocks renouvelle le roman historique. » Peut-on lire en quatrième de couverture. En général ce genre de jugement à l'emporte-pièce m'énerve. Force est de constater qu'ici, il est parfaitement justifié.

 

Magistral, époustouflant, impitoyable, bouleversant … Les adjectifs manquent pour décrire le monstre. Plus de 800 pages de folie, de fureur, de sang, de merde, d'exploits, d'amour, de haine brûlante, de fanatisme et de raison, de courage insensé, de mépris, de poésie, de … Que l'on prend en pleine poire, incapable d'arrêter ne serait-ce qu'un instant pour souffler. Et au milieu des pires horreurs, des pages d'une tendresse inimaginables.

 

Du grands spectacle total, jamais vu, jamais lu, mais aussi des scènes intimistes bouleversantes de bonheur ou encore plus effrayantes que les batailles les plus atroces. Une ampleur, une puissance ébouriffantes, et des dialogues parfaits.

 

Des personnages inoubliables, complexes, capables de nous étonner après plus de 800 pages passées en leur compagnie, d’affreux salopars absolument infects (ce qui est quand même la clé de tout bon roman noir), des héros ambigus mais flamboyants, des fanatiques que l’ont devrait haïr mais dont on ne peut s’empêcher, par moment, d’admirer le courage et la force …

 

Une capacité à faire ressentir la trouille, l’odeur de merde et de putréfaction, mais aussi l’exaltation, l’appel de l’héroïsme, la sensation purement divine de disposer de la vie des autres, d’être plus forts qu’eux … Tout ce qui fait qu’hier, aujourd’hui, et n’en doutons pas demain, les hommes ont aimé, aiment, et aimeront toujours, d’une façon ou d’une autre, faire la guerre.

 

Du suspense, un souffle au service d'un message qui ne saurait être plus d'actualité : les fanatiques et les puissants s'en tirent toujours, c'est le "petit peuple" qui trinque, et qui trinque lourdement.

 

Des changement de rythme, de ton, de perspective, de camp, qui toujours relancent l’intérêt du lecteur, au service d’un message martelé sans lourdeur : qu’importe le Dieu invoqué, qu’importe les raisons données par les Grands, tout n’est que prétexte à envoyer la plèbe au casse-pipe et celui d’en face est, bien entendu, un envoyé du Diable (tient, on n’a pas entendu ça récemment ?)

 

Et une fin absolument admirable, qui permet, enfin de retrouver un semblant de paix et de sérénité.

Enfin bref, pour résumer en cinq mots : IL FAUT LIRE LA RELIGION. C’est clair ?

 

Tim Willocks / La religion, (The religion, 2006) Sonatine (2009), traduit de l’anglais par Benjamin Legrand.

 

PS. Difficile de classer le monstre dans mes petites catégories, il faudrait inventer une catégorie pour lui tout seul. Bof, je le mettrais dans les polars grands bretons, avec ses purs polars que je vais maintenant m’empresser de lire.

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29 mai 2009 5 29 /05 /mai /2009 22:31

Ma culture britano-cinématographique ou cinématographico-britanique est pitoyable, et je n’en suis pas fier. C’est ainsi que je ne sais absolument rien de Mike Hodges qui est, si j’en crois la quatrième de couverture de Quand tout se fait la malle, un réalisateur reconnu, et même internationalement célèbre. Il semblerait que nous ayons là, entre les mains, son premier roman noir. S’il est aussi talentueux comme réalisateur que comme écrivain, il va falloir que je songe sérieusement à chercher ses films …

 

Mark Miles est un impresario minable. Magiciens ratés, ventriloques ou tentatives de battre le Guiness des cracheurs de noyaux de cerises sont son quotidien … Quand il réussit à obtenir l’organisation du séminaire du Docteur Temple, gourou sensé transformer en un week-end une bande de gogos en leaders invincibles, il pense avoir décroché le gros lot. Bien entendu, tout ce qu’il va gagner, c’est un paquet d’emmerdes qui mériterait, pour le coup, de le faire entrer lui, dans le Guiness …

 

Amateurs de bon goût, de situations léchées et de tasses de thé tenues, petit doigt en l’air par des ladies anglaises, ce roman n’est pas pour vous. Certes Mike Hodges est anglais. Mais il n’est ni gentleman, ni flegmatique. A ce titre, la quatrième de couverture (encore elle) parle de « farce grinçante cent pour cent british » ; je trouve pour ma part plus de ressemblances avec les polars déjantés de certains confrère américains comme Carl Hiaasen ou Mark Haskell Smith, sans aller quand même jusqu’à Tim Dorsey.

 

Ce détail réglé, le roman de Hodges, qu’il soit très british, ou complètement américano-déjanté, est de toute façon cent pour cent excellent.

 

Il ose tout, même le plus hénaurme, balance de tombereaux de fange sur ses pauvres personnages (et pas seulement au sens figuré) et vous entraîne dans un tourbillon fort drôle au début, puis de plus en plus sombre et sinistre. Parce que si l’on rit au début, sa plume acérée dénonce de façon tellement vraie la crédulité et la bassesse humaines, que peu à peu, le sourire tourne au rictus.

 

On commence par sourire des gesticulations de Mark Miles, personnage assez typé du polar, escroc minable, arnaqueur looser comme on les aime. Puis on se moque de la langue de bois du gourou docteur, de toute cette dialectique ridicule de « vainqueurs » qu’on nous a servi encore et encore. Mais quand le séminaire débute, on commence à la trouver saumâtre.

 

Le sourire disparaît, la nausée monte, et on est confronté au plus bas de l’instinct humain, ce qui le rend si lâche et si veule dès qu’il est en bande, et qu’on lui montre une proie, un faible. D’autant plus lâche et veule qu’il a été lui-même en position de victime, ou qu’il craint d’y passer. Et on trouve au récit, en apparence outrancier, d’étranges et dérangeantes résonances très actuelles.

 

Tout cela, sans perdre de vue l’humanité des personnages. Ce qui met d’autant plus mal à l’aise. A la fin, on ne rit plus du tout. Un auteur à découvrir, assurément, qui sait parfaitement jongler avec les émotions, et qui a parfaitement disséqué ce que notre époque a de plus … pitoyable. Sans jamais tomber dans le larmoyant, mais avec une force et une énergie étonnantes.

 

Mike Hodges / Quand tout se fait la malle, (Watching the weels come off, 2007) Rivages Noir (2009), traduit de l’anglais par Alexis G. Nolent.
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21 mai 2009 4 21 /05 /mai /2009 22:56

Comme le récent billet sur Traquer les ombres de John Harvey a semblé susciter une certaine curiosité pour Charlie Resnick, je vais vous resservir ici même un article écrit à l’origine pour le Dictionnaire des Littératures Policières de Claude Mesplède. La deuxième édition étant déjà fort copieuse, il n’avait pas été retenu. C’est vous qui en profitez, veinards que vous êtes.

Au début de sa saga, Charlie Resnick est inspecteur au CID (Criminal Investigation Department, équivalent de la PJ française) dans la ville de Nottingham. La quarantaine, toujours mal habillé (cravate tachée, chemise qui dépasse du pantalon …), ce grand bonhomme aux yeux sombres, un peu lourd pour sa taille, pas très sportif et souvent fatigué plait pourtant à bon nombre de femmes qui se savent jamais dire d’où vient son charme.

 

De son origine polonaise, il n’a gardé que le nom, le souvenir de parents et surtout de grands-parents parlant polonais, et ses entrées dans le club polonais de la ville, où il va se réfugier, pour boire quelques vodkas quand son moral est vraiment trop bas. Grand amateur de jazz, il soigne ses plaies en écoutant Billy Holliday, Lester Young, ou Thelonious Monk pendant qu’il nourrit les quatre chats trouvés, Miles, Bud, Dizzy et Pepper, qui partagent sa maison et sa vie, depuis son divorce après cinq ans de mariage sans enfants.

 

En bon célibataire, il se nourrit de sandwichs, qu’il aime compliqués, élaborés, et difficiles à manger, ce qui n’arrange pas l’état d’une garde robe déjà bien malmenée. C’est aussi un grand amateur de cafés serrés, qu’il aime prendre au comptoir d’une brûlerie italienne dans le marché couvert de sa ville.

 

Flic intuitif, sensible et humaniste, il ne se fait aucune illusion sur son rôle dans le société : il arrête les voleurs, violeurs, tueurs, bourreaux d’enfants, et excités d’extrême droite racistes et homophobes, mais sait parfaitement qu’il ne résout rien, et que le racisme, la misère, le chômage, la perte de valeurs et de repères de jeunes sans le moindre avenir sont une réalité forgée par des années du gouvernement Thatcher, et jamais démentie par la suite. Il ne peut que constater, désemparé, qu’il ne comprend plus rien aux gens avec qui il vit, même s’il sait bien quelle est la cause première des bouleversements de la société anglaise.

 

Pour compléter le tableau, cet humaniste, sauveur de chats perdus, pousse la bonté et le masochisme jusqu’à être le supporter de Nottingham County, la pire équipe de foot d’Angleterre.

 

Derniers sacrements (Last Rites, 1998) est sa dernière enquête, celle à l’issue de laquelle il finit par accepter de passer Inspecteur Divisionnaire et quitte la PJ pour un poste de coordination à la tête de la section des Crimes Majeurs.

 

 Now’s the time (Now’s the time, 1999), recueil de douze nouvelles, permet de retrouver quelques uns des personnages croisés au cours des dix romans de la série, et ajoute une touche finale à ce superbe tableau de la société anglaise des années 90.

 

L’interview publié sur bibliosurf, et référencé deux billets plus bas (j’ai la flemme de re-saisir le lien), laisse entendre que l’on va bientôt revoir Charlie. Dire que cette nouvelle me comble de joie est un dous euphémisme.

 

Voici maintenant la série complète. C’est mieux, si possible, de la lire dans l’ordre. Tous les titres sont chez Rivages Noir. Les amateurs de jazz reconnaîtront quelques titres …

 

Romans :

Cœurs solitaires (Lonely hearts, 1989) Riv/N n°144. (1993) 

Les Etrangers dans la maison (Rough Treatment, 1990) Riv/N n°201. (1995) 

Scalpel (Cutting Edge, 1991) Riv/N n°228. (1995) 

Off Minor (Off Minor, 1992) Riv/N n°261. (1997) 

Les années perdues (Wasted Years, 1993) Riv/N n°299. (1998) 

Lumière froide (Cold Light, 1994) Riv/N n°337. (1999) 

Preuve vivante (Living proof, 1995) Riv/N n°360. (2000) 

Proie facile (Easy Meat, 1996) Riv/N n°409. (2001) 

Eau dormante (Still Water, 1997) Riv/N n°479. (2003) 

Derniers sacrements (Last Rites, 1998) Riv/N n°527. (2004)

Nouvelles :

Billie Blues ( Billie Blues, 2002) Riv/N Hors commerce (2002) 

Now’s the time (Now’s the time, 1999) Riv/N n°526. (2004) . 
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19 mai 2009 2 19 /05 /mai /2009 22:51

Après Charlie Resnick et Frank Elder, John Harvey crée deux nouveaux personnages qu’il met en scène dans le premier roman de ce qui devrait devenir une nouvelle série : Traquer les ombres.

 

Cambridge. Stephen Bryan, jeune professeur homosexuel est retrouvé mort, sauvagement tabassé dans sa salle de bain. Les deux enquêteurs, Will Grayson et Helen Walker, suivent deux pistes : Soit un cambriolage qui a mal tourné, soit un ex amant qui n’a pas accepté la rupture imposée par Stephen. Sur l’insistance de Lesley, la sœur du défunt, il sont également amenés à se poser des questions sur le livre qu’il écrivait avant sa mort : Il s’agissait de la biographie d’une obscure actrice anglaise morte tragiquement bien des années plus tôt. Rien de dérangeant a priori, même si elle était apparentée à un des industriels les plus puissants de la région. A moins que Stephen n’ait découvert de vilains secrets …

 

« Et à chaque fois, je suis épaté par la finesse de son propos, la fluidité de la narration, l'élégance simple de sa prose. Voilà du John Harvey pur jus, du "classique" sans le convenu. » écrit l’ami Jeanjean dans son billet sur Moisson Noire. Pareil pour moi.

 

John Harvey, c’est la Rolls du polar anglais. Intrigue impeccable, sans effets mais sans la moindre faille ; attention portée à tous les personnages ; description de la société anglaise ; écriture limpide … C’est tellement évident qu’on oublie complètement que c’est écrit. Un peu comme Elmore Leonard, mais dans un autre genre. Ah, s’il était à la portée du premier venu d’être aussi classique sans être cliché, aussi apparemment simple sans être ennuyeux …

Pour en revenir à Traquer les ombres et à Will Grayson et Helen Walker, on est ici davantage dans la lignée Resnick que Elder. On retrouve le regard posé sur les dérèglements de la société anglaise, et en particulier sur la violence imbécile d’une partie de la classe ouvrière, paupérisée, déboussolée, à laquelle on a enlevé tout espoir et en même temps tout repère ; un regard qui explique, mais qui n’excuse pas la bêtise, la recherche d’un bouc émissaire facile, étranger, homosexuel, supporter de l’autre club. Une violence qui a son pendant, et son explication dans l’arrogance de la classe dominante, à l’abri de tout, y compris de la justice …

 

On retrouve également sa façon de mêler les enquêtes et les intrigues, quitte à les détricoter ensuite. On retrouve enfin et surtout son art de s’intéresser et de nous intéresser à la vie de tous les personnages.

John Harvey adresse en prime un clin d’œil à ses fans : au détour d’une visite à Nottingham, Will rencontre une certaine Lynn Kellogg, bien connue des lecteurs de la série Charlie Resnick.

 

Si le cœur vous en dit, vous pouvez poursuivre avec cette interview sur bibliosurf où l’on apprend que l’on retrouvera Will et Helen.

 

John Harvey / Traquer les ombres, (Gone to ground, 2007) Rivages/thriller (2009), traduit de l’anglais par Mathilde Martin.

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27 mars 2009 5 27 /03 /mars /2009 21:06

Cela faisait un moment que j’avais abandonné mes oubliés du TOP 100. En voici un de plus. Je n’ai pas grand-chose sur Henry Porter qui est apparu, assez récemment, sur la scène des grands écrivains d’espionnage. Pour dire, il n’est pas dans le DILIPO ! On peut aller sur son site, mais on n’y trouve que peu de renseignements biographiques (il vit à Londres, est écrivain et journaliste, il écrit dans l’observer).

Je n’ai même pas lu tous ses romans traduits, seulement deux, mais ils m’ont marqué, par leur construction, leur intelligence et leur suspense. Tout pour faire d’Henry Porter le digne héritier du grand Le Carré.

Nom de code : Axiom day commence à Londres, à 19h30. Stan Lindow, irlandais, récemment revenu pour prendre un poste à l'Imperial College après une brillante carrière au MIT attend son frère Eammon dans Clarence Street quand le bus qui approchait explose. Aussitôt c'est l'enfer. Stan est blessé et amené à l'hôpital. Au moment de sortir, il est embarqué par deux policiers, et apprend avec stupéfaction qu'il est considéré comme suspect. Interrogé sans relâche, il ne craque pas, mais apprend qu'Eammon qui était dans le bus est très grièvement blessé, et est soupçonné d'être son complice. Le commissaire Foyle, en charge de l'enquête, est presque sûr que les deux frères sont innocents, et après la garde à vue réglementaire, fait libérer Stan. Mais Foyle est aussitôt désavoué par sa hiérarchie, et les services secrets font pression pour le faire évincer. Pourquoi ? Qu'est-ce qui pousse tous ces hauts personnages à insister sur la culpabilité d'un innocent ? Qui protège t'ils ainsi ? Quel secret inavouable ?

Tout est réussit dans ce pavé qui se lit d'une traite, de préférence pendant les vacances pour ne pas devoir perdre du temps au travail : Les personnages sont très convaincants, bien construits, complexes, humains, avec leurs forces, leurs faiblesses, leurs ambitions, leur noblesse mais aussi leurs côtés moins ragoûtants. Le contexte est bien rendu, autour de la question irlandaise, et des difficultés qu'il y a à construire la paix, après tant d'années de guerre, et d'enchaînement aveugle attentat / répression. Pour finir, la construction prend son temps, met bien les choses en place, accroche le lecteur, pour accélérer et finir en apothéose dans un suspense parfait qui empêche de lâcher le bouquin une fois entré dans la dernière ligne droite.

Empire state, pour sa part, traite du terrorisme islamiste. Malgré la vigilance des services secrets anglais, un conseiller spécial du président des Etats-Unis est assassiné lors de son arrivée à Londres où il devait rencontrer le premier ministre. Au même moment, à l’aéroport d’Heathrow, Isis Herrick, chargée de la filature d’un libraire musulman, remarque un étrange manège parfaitement coordonné, qui conduit à un échange d’identité entre une douzaine de passagers. Immédiatement, une cellule de crise se met en place, craignant que quelque chose de très gros ne se prépare …

Henry Porter confirme ici qu’il est bien un des très grands du roman d’espionnage, dans la lignée de l’incontournable John Le Carré. En plus de cinq cent pages, il réussit à passionner le lecteur pris dans un suspense implacable, à décortiquer le fonctionnement des services secrets occidentaux, noyés dans la technologie et les quantités inextricables de données qu’ils recueillent, gangrenés par les rivalités internes, et à décrire de façon extrêmement documentée et crédible la nébuleuse du terrorisme islamiste, ses méthodes, ses réseaux financiers, ses façons de préparer ses gros coups … Il se montre aussi à l’aise dans les scènes d’actions spectaculaires, que dans la description du travail routinier d’espion, et donne à ses personnages une vraie épaisseur. Ils sont humains, complexes, parfois tenaillés par le doute, non exempts de faiblesses et de failles, bref extrêmement attachants. Un autre réussite éclatante.

Il y a deux autres romans d’Henry Porter traduits en français (Une vie d’espion et Brandebourg).

Nom de code : Axiom Day  (Remembrance Day, 1999) Folio policier (2005). Traduit de l’anglais par Jean-François Chaix. Empire state (Empire state, 2003) Folio policier (2007). Traduit de l’anglais par Jean-François Chaix.

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9 février 2009 1 09 /02 /février /2009 22:27

Campagne anglaise, 1997. Gottfleish, un marchand d'art sans scrupule (redondance ?) est persuadé que Sidonie Keene, vieille dame très digne de 85 ans, est en possession de quelques aquarelles de sa sœur Naomi dont la côte est en train de grimper. Un petit groupe de collectionneurs s'intéressent aux portraits de dignitaires nazis que la jeune peintre avait réalisés entre 36 et 40. A l'époque, elles étaient avec sa sœur très proches du parti d'extrême droite anglais, et avaient voyagé en Allemagne où elles avaient fait connaissance de tout le gratin nazi.


Peu de temps après la guerre Naomi rentrée très discrètement en Angleterre mourrait dans un accident de la route. Et depuis quelques années, des collectionneurs recherchent ses portraits. Comme Sidonie prétend n'avoir aucune toile, Gottfleish envoie Ticky, un petit truand qui travaille parfois pour lui, visiter la maison. Une visite qui tourne mal et va faire remonter des souvenirs pas très jolis.


Comme souvent dans le roman noir, une intrigue actuelle, puisqu’elle se déroule durant les dernières semaines avant l'élection de Tony Blair, sert de prétexte à la revisite d’un passé peu glorieux. Ici les années trente, en Angleterre et en Allemagne.


Si tout le monde a plus ou moins en tête la chronologie de la montée du nazisme en Allemagne, nous sommes nombreux à ne rien savoir de ce qui se passait en Angleterre à ce moment là. Peindre au noir de l’anglais Russell James nous éclaire sur cette période, et plus particulièrement sur la fascination de toute une partie de l'aristocratie anglaise pour les mouvements nationalistes, et pour le nazisme, avec en point d'orgue les jeux de Berlin en 36.


L’auteur à l’intelligence de ne pas se fendre de discours moralisateurs. Bien au contraire, il laisse la parole à une vieille dame, en apparence tout ce qu’il y a de respectable qui, très calmement et très posément, justifie sans passion ce que tout le monde, à part quelques illuminés, considère comme l’un des pires (si ce n’est le pire) moment de l’histoire de l’humanité.


Sa justification du nazisme, présenté comme presque « normal » à cette époque là, est bien entendu choquante. Mais il faut aussi l'entendre pour comprendre pourquoi cela a marché, et donc pourquoi cela pourrait encore marcher. Il faut l'entendre pour comprendre la séduction du Mal. Il faut l'entendre quand elle dit que si on présente les leaders nazis comme des fous, on les exclue du genre humain (ce qui est très rassurant), faisant ainsi une erreur grave car on présente les événements comme une aberration inhumaine, ponctuelle, qui ne peut pas se répéter.


Le lecteur oscille entre dégoût, indignation, et réflexion, parce qu’elle n’a pas tort dans tout ce qu’elle dit. Si elle a tord dans sa justification des actes nazis, et dans la minimisation de leur gravité, elle n’a pas tord quand elle explique qu’il faut absolument comprendre pourquoi tant de gens ont adhéré. Non pas pour les excuser comme elle le fait, mais pour saisir les mécanismes, et empêcher (si possible) que cela se reproduise.


Et ne croyez pas que l’intrigue soit bâclée pour laisser la place à un cours d’histoire. Elle est particulièrement travaillée, portée par des personnages forts, et réserve quelques beaux coups de théâtre. Comme le va et vient entre passé et présent est parfaitement maîtrisé, on a là un gros roman, dense, parfois dur et dérangeant, mais toujours passionnant.


Russell James / Peindre au noir (Painting in the dark, 2000), Fayard noir (2009), traduit de l’anglais par Corinne Julve.

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12 janvier 2009 1 12 /01 /janvier /2009 21:31

Bill James est l’auteur d’une série de polars centrés sur deux flics, Harpur et son chef  Iles. Avec Mal à la tête, il crée deux nouveaux personnages, féminins, mais toujours flics.


L’inspectrice Sally Birthron, et la Commissaire Principale Adjointe Esther Davidson n’ont pas choisi une mission facile : Elles sont envoyées loin de leur brigade habituelle enquêter sur un éventuel cas de corruption chez les flics locaux. Un de leurs meilleurs indics a été torturé et abattu. Le procès a eu lieu, deux petits malfrats ont été condamnés. Mais le ministère de l’intérieur, sous la pression de la presse, envoie Sally et Esther vérifier si l’indic n’a pas été donné par la police parce qu’il gênait certaines accointances louches en haut lieu. Dire que les deux femmes vont être chaleureusement accueillies et généreusement aidées par les flics locaux serait sans doute un peu exagéré.


Comme John Harvey et Graham Hurley, Bill James est britanique (j'avais précédemment écrit qu'il était anglais, l'incollable et encyclopédique Claude Mesplède m'a heureusement corrigé, il est gallois)  et écrit des polars dans le style procédural (c'est-à-dire, pour faire court, des romans qui décrivent, de la façon la plus réaliste possible, le travail d’une équipe de flics). La comparaison s’arrête là.


Si les deux premiers sont au plus près de leurs personnages, ont une approche empathique et  induisent une forte sympathie entre ces personnages et le lecteur, Bill James observe et décrit tout avec une distance ironique. Le roman est articulé autour des pensées des deux femmes, et surtout de dialogues de sourds où chacun met un point d’honneur à ne pas répondre aux questions qu’on lui pose et à parler d’autre chose.


Ces dialogues, véritable marque de fabrique du roman, présentent un exercice de haute voltige d’une précision et d’une finesse ahurissantes. Mais un exercice potentiellement gênant, j’en suis conscient. En gros, soit on reste admiratif, soit ça agace. D’autre part, le risque à force de prendre de la distance, c’est de faire lâcher prise au lecteur. Qui ne doit espérer ici ni une enquête serrée, ni un grand suspense avec résolution spectaculaire à la fin.


Pour ceux qui aiment, cela donne un tableau tout en finesse et en petites touches mais d’une implacable vérité, et d’une cruauté d’autant plus grande qu’elle est subtile. Pour le lecteur qui n’adhère pas, cela risque de rester un exercice de style dont il ne voit pas trop l’intérêt.


Bill James / Mal à la tête (Tip Top, 2005), Rivages/Noir (2008), traduit de l’anglais par Catherine Richard.

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3 janvier 2009 6 03 /01 /janvier /2009 23:35

Il y a en Angleterre deux grands spécialistes du polar procédural. John Harvey, père de Resnick à Nottingham, et Graham Hurley et son inspecteur Faraday de Portsmouth. Les quais de la blanche, réédité en poche chez folio, est un nouvel épisode des enquêtes de ce dernier.


L'inspecteur Faraday n'est pas à la fête. Il semblerait que sa ville de Portsmouth soit le théâtre d'une guerre de gangs pour le contrôle du trafic d'héroïne. Sa compagne et son fils, qui tournent une vidéo sur les ravages de cette drogue, se retrouvent impliqués dans la mort d'un junkie. Un de ses collègues est laissé pour mort par deux dealers. Pour compléter le tableau, il est recruté pour faire partie d'un groupe très restreint qui mène une guerre secrète, même au sein des forces de police, contre le parrain de la ville. Sur le terrain, c'est la blanche qui gagne.


Comme John Harvey, Graham Hurley sait tricoter une intrigue, dépeindre sa ville, s'approcher au plus près de ses personnages avec une empathie et une humanité qui font merveille. Comme lui il sait passer d'un personnage à l'autre, d'un bout d'histoire à l'autre pour rassembler le tout au final. Comme lui, il utilise le polar, dans sa forme procédurale, pour dépeindre une société en perdition et toute une époque (ici les manifestations qui accompagnèrent le début de l’engagement britannique en Irak). Comme lui, surtout, il sait nous intéresser à la vie de ses personnages, à leurs enquêtes bien sûr, mais également à leur vie privée à laquelle il donne une véritable importance et une véritable épaisseur.


La différence entre les deux c'est que là où John Harvey s'attache plus volontiers à des histoires intimes, Graham Hurley est plus "thriller", plus ample. C'est particulièrement le cas ici, où ses personnages sont pris dans une histoire qui les dépasse. On se croirait presque dans un roman d’espionnage.


Cela donne un roman ambitieux, passionnant, mais décourageant, tout au long de ses 600 pages. Au final, la seule lueur d’espoir vient de la « société civile », et pas de forces de police totalement désarmées, incapables d’arrêter un trafic, parce qu’incapables de faire baisser la demande. Décidément Hurley est un grand.


Graham Hurley / Les quais de la blanche (Cut to black, 2004), Folio/Policier (2008), traduit de l’anglais par Philippe Rouard.

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16 décembre 2008 2 16 /12 /décembre /2008 23:06

J’ai découvert Seul le silence de R.J. Ellory grâce à différents avis vus sur les blogs, chez Bastien ou Cuné (entre autres) …


Evacuons tout de suite une question légitime. Non, malgré la grande ressemblance patronymique, R.J. Ellory n’est pas un pseudo de James Ellroy ! Ou si c’est le cas, le canular est énorme. Pour en savoir davantage sur cet auteur anglais (ses romans se déroulent en général aux US mais il est anglais), on peut aller sur son site. Dernier point de détail, les éditions Sonatine qui publient cette première traduction, en annoncent déjà une nouvelle pour août prochain.


Venons-en maintenant au roman.

1939 dans une petite ville de Georgie. Alors que les rumeurs des horreurs en Europe filtrent à peine, la petite ville est secouée par la découverte du cadavre d’une gamine d’une dizaine d’années qui a été violée avant d’être tuée. Joseph Vaughan la connaissait bien, il était en classe avec elle. Quand dans les comtés alentour les viols et les meurtres se multiplient la panique et la colère gagnent. Joseph s’organise avec quatre copains pour patrouiller la nuit, la trouille au ventre. Les adultes eux cherchent un bouc émissaire. Ils finiront bien entendu par le trouver … Quelques années et bien des malheurs plus tard Joseph quittera sa ville pour aller à New York et commencer à écrire. Mais, alors même qu’il pense lui avoir tourné le dos à tout jamais, le passé le rejoindra, de la plus douloureuse façon.


Pour commencer, voilà ce que ce roman n’est pas. Ce n’est pas, en dépit de ce que peut laisser croire le résumé, un polar formaté de plus sur le thème, mainte fois rebattu, du serial killer. Et ce n’est pas, malgré la dédicace à Truman Capote, un nouveau De sang froid.


Si l’on a effectivement un serial killer dans le roman, le sujet est ailleurs. Pas de traque ici, pas, ou peu de suspense à la Michael Connelly (sauf, un peu à la fin). Le propos est autre. Ellory a écrit un roman très noir sur la culpabilité, les traumatismes et l’imaginaire de l’enfance, mais également sur la difficulté d’être différent dans une petite ville, sur le déracinement … De très nombreuses thématiques, traitées avec finesse et beaucoup d’empathie, qui donnent une tonalité à la fois sombre et très émouvante à ce beau roman noir.


Pour ce qui est de Truman CapoteDe sang froid est un roman implacable, d’une noirceur glaçante, sans la trace d’une « prise de position », dans lequel l’auteur ne s’implique jamais en tant que narrateur, observant tout (bourreaux et victimes) d’une position totalement externe. Ellory, au contraire, nous plonge en plein cœur du drame, dans la tête d’un personnage qui lui, se sent, à tord ou à raison, totalement impliqué. Ce qui n’enlève rien, ni à Capote (!) ni à Ellory. Ce sont juste deux grands romans, aussi différents que l’on peut l’être à partir d’un sujet en apparence semblable.


S’il fallait chercher des paternités, je pencherais plutôt du côté de La nuit du chasseur de Davis Grubb, pour le rôle central de l’enfance, pour la description de l’emprise étouffante de la religion et du regard des autres dans une petite ville rurale, pour l’angoisse des scènes de nuit … Une référence tout aussi prestigieuse que celle de Capote, et qui n’écrase jamais le roman d’Ellory. C’est dire.

R.J. Ellory / Seul le silence (A quiet belief in angels, 2007), Sonatine (2008), traduit de l’anglais par Fabrice Pointeau.

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