Ma culture britano-cinématographique ou cinématographico-britanique est pitoyable, et je n’en suis pas fier. C’est ainsi que je ne sais absolument rien de Mike Hodges qui est, si j’en crois la quatrième de couverture de Quand tout se fait la malle, un réalisateur reconnu, et même internationalement célèbre. Il semblerait que nous ayons là, entre les mains, son premier roman noir. S’il est aussi talentueux comme réalisateur que comme écrivain, il va falloir que je songe sérieusement à chercher ses films …
Mark Miles est un impresario minable. Magiciens ratés, ventriloques ou tentatives de battre le Guiness des cracheurs de noyaux de cerises sont son quotidien … Quand il réussit à obtenir l’organisation du séminaire du Docteur Temple, gourou sensé transformer en un week-end une bande de gogos en leaders invincibles, il pense avoir décroché le gros lot. Bien entendu, tout ce qu’il va gagner, c’est un paquet d’emmerdes qui mériterait, pour le coup, de le faire entrer lui, dans le Guiness …
Amateurs de bon goût, de situations léchées et de tasses de thé tenues, petit doigt en l’air par des ladies anglaises, ce roman n’est pas pour vous. Certes Mike Hodges est anglais. Mais il n’est ni gentleman, ni flegmatique. A ce titre, la quatrième de couverture (encore elle) parle de « farce grinçante cent pour cent british » ; je trouve pour ma part plus de ressemblances avec les polars déjantés de certains confrère américains comme Carl Hiaasen ou Mark Haskell Smith, sans aller quand même jusqu’à Tim Dorsey.
Ce détail réglé, le roman de Hodges, qu’il soit très british, ou complètement américano-déjanté, est de toute façon cent pour cent excellent.
Il ose tout, même le plus hénaurme, balance de tombereaux de fange sur ses pauvres personnages (et pas seulement au sens figuré) et vous entraîne dans un tourbillon fort drôle au début, puis de plus en plus sombre et sinistre. Parce que si l’on rit au début, sa plume acérée dénonce de façon tellement vraie la crédulité et la bassesse humaines, que peu à peu, le sourire tourne au rictus.
On commence par sourire des gesticulations de Mark Miles, personnage assez typé du polar, escroc minable, arnaqueur looser comme on les aime. Puis on se moque de la langue de bois du gourou docteur, de toute cette dialectique ridicule de « vainqueurs » qu’on nous a servi encore et encore. Mais quand le séminaire débute, on commence à la trouver saumâtre.
Le sourire disparaît, la nausée monte, et on est confronté au plus bas de l’instinct humain, ce qui le rend si lâche et si veule dès qu’il est en bande, et qu’on lui montre une proie, un faible. D’autant plus lâche et veule qu’il a été lui-même en position de victime, ou qu’il craint d’y passer. Et on trouve au récit, en apparence outrancier, d’étranges et dérangeantes résonances très actuelles.
Tout cela, sans perdre de vue l’humanité des personnages. Ce qui met d’autant plus mal à l’aise. A la fin, on ne rit plus du tout. Un auteur à découvrir, assurément, qui sait parfaitement jongler avec les émotions, et qui a parfaitement disséqué ce que notre époque a de plus … pitoyable. Sans jamais tomber dans le larmoyant, mais avec une force et une énergie étonnantes.
Mike Hodges / Quand tout se fait la malle, (Watching the weels come off, 2007) Rivages Noir (2009), traduit de l’anglais par Alexis G. Nolent.