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19 juin 2009 5 19 /06 /juin /2009 10:23

« J’ai d’abord entendu Personville prononcé Poisonville au bar du Big Ship à Butte. » C’est ainsi que commence l’un des romans fondateurs (si ce n’est Le roman fondateur) du roman noir. Il s’agit, bien entendu, de la première phrase de Moisson rouge, de Dashiell Hammett.

 

Le narrateur n’a pas de nom, juste une fonction : détective privé à la Continental Detective Agency de San Francisco. Il est à Poisonville pour rencontrer Donald Willsson qui est abattu avant d’avoir pu lui parler. Il décide alors d’aller voir son père, le vieux Elihu Willsson, maître de la ville. Quelques années auparavant, ce dernier avait fait appel à la pègre pour casser les grèves qui agitaient cette ville minière. Une fois le mouvement réprimé, les truands sont restés et se sont emparés de la ville. Elihu a alors tenté de se servir de son fils, bombardé patron de la presse locale, pour les déloger, avec le résultat que l’on sait. Le privé décide alors de nettoyer Poisonville, par tous les moyens.

 

Le lecteur de 2009 qui lit ce roman qui a tout juste 80 ans peut, dans un tout premier temps, se dire qu’il y a là un petit air de déjà vu (ou déjà lu). Il n’a d’ailleurs pas tord. Si Moisson Rouge ressemble, par un aspect ou un autre, à tel ou tel autre roman qui l’a marqué, c’est qu’il en est le modèle !

 

Description sans fard des liens entre le pouvoir économique, le pouvoir politique et le crime organisé. Héros totalement neutre, pour qui la fin justifie les moyens, et qui, à aucun moment, ne fait appel à une quelconque justification morale. Ecriture sèche, sans un mot de trop, uniquement centrée sur les faits … On a bien sûr revu tout ça par la suite. Mais le modèle est là.

 

Je n’ai plus de souvenirs de ma première lecture, bien vieille. Je serais bien incapable de juger de l’apport de cette nouvelle traduction. Mais si j’en crois Claude Mesplède, elle était plus qu’indispensable !

 

Toujours est-il que le texte que publie aujourd’hui la série noire est impeccable, et implacable. Impossible de ne pas être admiratif devant cette écriture « à plat », neutre (si cet adjectif a un sens) au plus près. Impossible d’en retirer un mot sans en changer le sens. Impossible de ne pas rester admiratif devant la limpidité de l’analyse des rapports entre le pouvoir politique et économique (entre les mains des même personnes), et de la pègre ; les deux associés pour casser le mouvement social, dans une guerre sans pitié, illustration parfaite de … la guerre des classes (ben oui, il faut bien appeler les choses par leur nom). Limpidité et lucidité, également, de l’analyse du pouvoir de la presse, mais aussi de sa manipulation par … le pouvoir en place. Et on pourrait continuer comme ça longtemps.

 

Le tout, sans un seul jugement de valeur, sans une ligne d’exposé économico-sociologique. Par la seule force du récit, et su style.

 

Donc, lecture obligatoire cet été, interro écrite à la rentrée.

 

Dashiell Hammett / Moisson rouge, (Red harvest, 1929) Série Noire (2009), traduit de l’américain par Nathalie Beunat et Pierre Bondil.

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commentaires

N
<br /> Je me suis procuré récemment le volume Quarto de Gallimard rassemblant les nouvelles traductions (signées Pierre Bondil) de Moisson rouge, La Clé de verre, Le Faucon maltais, Sang maudit et<br /> L'Introuvable. Très beau bouquin, format idéal, à la fois solide et souple (on peut l'ouvrir au milieu des 500 pages sans en casser le dos par exemple) et léger. Bref, impeccable, rien à redire.<br /> En plus des 5 romans, il y a en guise d'intro l'extrait d'un texte de Chandler ("Le crime est un art simple") et "Dashiell Hammett" par Jacques Cabau.<br /> <br /> <br /> Ensuite, cerise sur le gâteau, on a droit à la "Vie et OEuvre de Dashiell Hammett (1894-11961)" : 50 pages de bio détaillée chronologiquement et abondamment illustrée d'une multitude de photos,<br /> reproductions de documents, de lettres, des couvertures des éditions originales américaines, etc etc, au total 45 documents pas moins, et c'est absolument passionnant !  1064 pages au total<br /> (mais sur du papier fin, donc ça reste léger, facile à manier et pas encombrant) pour 27,50 euros... soit moins cher que si l'on achetait les 5 romans en poche chez Folio !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Voilà, un vrai bijou dans ma bibliothèque, à lire et à relire, et une excellente initiative de Gallimard qui j'espère ne s'arrêtera pas en si bon chemin et fera de même pour Chandler, Charles<br /> Williams, Lary Brown, Goodis, Chase et d'autres, ce qui leur permettrait aussi et surtout de retraduire enfin tous leurs livres.<br /> <br /> <br /> Car voir qu'ils continuent à vendre en Folio Policier des traductions datant de 50 ans et qui sont pour la plupart douteuses à cause de la manie qu'avait à l'époque la SN de tronquer les textes<br /> pour ne pas dépasser 250 pages, de couper les passages "psychologiques", de rajouter de l'argot parisien de l'époque, sans oublier les innombrables contre-sens, coquilles et autres erreurs qui<br /> n'ont jamais été corrigées, ça fout les nerfs !!<br /> <br /> <br /> A ce propos, sur le forum de Pol'Art Noir, il y a un fil qui parle (notamment) de ça, intitulé "Pierrot et Paulo parlent de trado" et où Pierre Bondil et Jean-Paul Gratias, célèbres et talentueux<br /> traducteurs ben connus des amateurs de polars, ont échangé leurs expériences de traduction et autres anecdotes enrichissantes ou croustillantes, pendant la période où chacun d'eux retraduisait<br /> intégralement un Jim Thompson pour le compte de Rivages qui, heureusement, a réussi à racheter les droits de ses romans pour les rééditer enfin avec une traduction digne de ce nom.<br /> <br /> <br /> Je mets le lien vers cette passionnante cyber-discussion : http://www.forum.polarnoir.fr/viewtopic.php?f=24&t=1993<br />
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J
<br /> <br /> Merci pour le lien, je vais aller voir. Comme il s'agit de deux grands traducteurs, ça ne peut être qu'intéressant.<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> Je l'ai enfin lu. J'ai été assez déçu. Il n'y a pas de doute le roman était novateur il y a 80 ans. Je trouve qu'il n'a pas tellement bien vieilli. Peut-être cette impression vient du fait que<br /> Moisson rouge a inspiré tant de romans et a été maintes fois copié. L'intrigue me semble un peu mince. le rythme par contre est assez soutenu et la lecture reste agréable<br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Il ne faut pas oublier qu'en caricaturant à peine,  avant moisson rouge, le polar c'était des dames qui prenaient le thé et rassemblaient les suspects à la fin du bouquin pour désigner le<br /> coupable ...<br /> <br /> <br /> <br />
Y
Pour citer Ellroy, Jean-Marc Laherrère est un "rouge souterain" ;)
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M
Je lisais ce matin l'extrait de moisson rouge dans le numéro spécial polar de Lire et je me disais "il faut quand même que je le lise". Comme quoi tout n'était pas mauvais dans ce numéro.<br /> Alors si maintenant le grand gourou du blog recommande aussi "moisson rouge", je pense que je vais l'acheter et l'amener en vacances.
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J
<br /> Le Khan Gourou recommande chaudement. A emporter dans sa poche ventrale pour les vacances.<br /> <br /> <br />
D
il est sur la pile pour les vacances et je me régale par avance
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J
<br /> Les vacances seront donc bonnes.<br /> <br /> <br />

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  • : Le blog de Jean-Marc Laherrère
  • : Il sera essentiellement question de polars, mais pas seulement. Cinéma, BD, musique et coups de gueule pourront s'inviter. Jean-Marc Laherrère
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