« J’ai d’abord entendu Personville prononcé Poisonville au bar du Big Ship à Butte. » C’est ainsi que commence l’un des romans fondateurs (si ce n’est Le roman fondateur) du roman noir. Il s’agit, bien entendu, de la première phrase de Moisson rouge, de Dashiell Hammett.
Le narrateur n’a pas de nom, juste une fonction : détective privé à la Continental Detective Agency de San Francisco. Il est à Poisonville pour rencontrer Donald Willsson qui est abattu avant d’avoir pu lui parler. Il décide alors d’aller voir son père, le vieux Elihu Willsson, maître de la ville. Quelques années auparavant, ce dernier avait fait appel à la pègre pour casser les grèves qui agitaient cette ville minière. Une fois le mouvement réprimé, les truands sont restés et se sont emparés de la ville. Elihu a alors tenté de se servir de son fils, bombardé patron de la presse locale, pour les déloger, avec le résultat que l’on sait. Le privé décide alors de nettoyer Poisonville, par tous les moyens.
Le lecteur de 2009 qui lit ce roman qui a tout juste 80 ans peut, dans un tout premier temps, se dire qu’il y a là un petit air de déjà vu (ou déjà lu). Il n’a d’ailleurs pas tord. Si Moisson Rouge ressemble, par un aspect ou un autre, à tel ou tel autre roman qui l’a marqué, c’est qu’il en est le modèle !
Description sans fard des liens entre le pouvoir économique, le pouvoir politique et le crime organisé. Héros totalement neutre, pour qui la fin justifie les moyens, et qui, à aucun moment, ne fait appel à une quelconque justification morale. Ecriture sèche, sans un mot de trop, uniquement centrée sur les faits … On a bien sûr revu tout ça par la suite. Mais le modèle est là.
Je n’ai plus de souvenirs de ma première lecture, bien vieille. Je serais bien incapable de juger de l’apport de cette nouvelle traduction. Mais si j’en crois Claude Mesplède, elle était plus qu’indispensable !
Toujours est-il que le texte que publie aujourd’hui la série noire est impeccable, et implacable. Impossible de ne pas être admiratif devant cette écriture « à plat », neutre (si cet adjectif a un sens) au plus près. Impossible d’en retirer un mot sans en changer le sens. Impossible de ne pas rester admiratif devant la limpidité de l’analyse des rapports entre le pouvoir politique et économique (entre les mains des même personnes), et de la pègre ; les deux associés pour casser le mouvement social, dans une guerre sans pitié, illustration parfaite de … la guerre des classes (ben oui, il faut bien appeler les choses par leur nom). Limpidité et lucidité, également, de l’analyse du pouvoir de la presse, mais aussi de sa manipulation par … le pouvoir en place. Et on pourrait continuer comme ça longtemps.
Le tout, sans un seul jugement de valeur, sans une ligne d’exposé économico-sociologique. Par la seule force du récit, et su style.
Donc, lecture obligatoire cet été, interro écrite à la rentrée.
Dashiell Hammett / Moisson rouge, (Red harvest, 1929) Série Noire (2009), traduit de l’américain par Nathalie Beunat et Pierre Bondil.