On peut lire, ici ou là, sur les blogs ou les forums, cette exhortation incantatoire : Lisez La religion de Tim Willocks : IL FAUT LIRE La religion de Tim Willocks. Ils ont raison sur les blogs et les forums, et je vais ajouter ma voix à celles, nombreuses, des nouveaux adorateurs de ce roman monstrueux, par sa taille (plus de 800 pages), par son talent, par son écriture, par sa force, par la puissance de son évocation … Mais commençons par le commencement :
1565. Soliman le Magnifique, sultan des Turcs, a décidé d'éradiquer un de ses plus féroces ennemis : l'Ordre de Malte, aussi nommé La Religion. Il envoie des dizaines de milliers d'hommes assiéger ces moines soldats fanatiques dans leur propre forteresse. Dans le même temps, un Inquisiteur débarque sur l'île pour tenter de permettre au Pape de reprendre le contrôle de cet ordre, extrêmement riche, et de plus en plus indépendant de Rome. C'est dans ce contexte pour le moins trouble que Matthias Tanhauser, aventurier d'origine hongroise, ayant servi pendant des années dans les troupes d'élite turques avant de s'installer comme trafiquant d'armes en Sicile se laisse convaincre par une belle comtesse de l'aider à récupérer son fils à Malte. Il ne se doute pas qu'il va ainsi mettre les pieds en enfer.
« James Ellroy a transfiguré le thriller, Stephen King a réinventé le roman d'horreur. Avec la religion, Tim Willocks renouvelle le roman historique. » Peut-on lire en quatrième de couverture. En général ce genre de jugement à l'emporte-pièce m'énerve. Force est de constater qu'ici, il est parfaitement justifié.
Magistral, époustouflant, impitoyable, bouleversant … Les adjectifs manquent pour décrire le monstre. Plus de 800 pages de folie, de fureur, de sang, de merde, d'exploits, d'amour, de haine brûlante, de fanatisme et de raison, de courage insensé, de mépris, de poésie, de … Que l'on prend en pleine poire, incapable d'arrêter ne serait-ce qu'un instant pour souffler. Et au milieu des pires horreurs, des pages d'une tendresse inimaginables.
Du grands spectacle total, jamais vu, jamais lu, mais aussi des scènes intimistes bouleversantes de bonheur ou encore plus effrayantes que les batailles les plus atroces. Une ampleur, une puissance ébouriffantes, et des dialogues parfaits.
Des personnages inoubliables, complexes, capables de nous étonner après plus de 800 pages passées en leur compagnie, d’affreux salopars absolument infects (ce qui est quand même la clé de tout bon roman noir), des héros ambigus mais flamboyants, des fanatiques que l’ont devrait haïr mais dont on ne peut s’empêcher, par moment, d’admirer le courage et la force …
Une capacité à faire ressentir la trouille, l’odeur de merde et de putréfaction, mais aussi l’exaltation, l’appel de l’héroïsme, la sensation purement divine de disposer de la vie des autres, d’être plus forts qu’eux … Tout ce qui fait qu’hier, aujourd’hui, et n’en doutons pas demain, les hommes ont aimé, aiment, et aimeront toujours, d’une façon ou d’une autre, faire la guerre.
Du suspense, un souffle au service d'un message qui ne saurait être plus d'actualité : les fanatiques et les puissants s'en tirent toujours, c'est le "petit peuple" qui trinque, et qui trinque lourdement.
Des changement de rythme, de ton, de perspective, de camp, qui toujours relancent l’intérêt du lecteur, au service d’un message martelé sans lourdeur : qu’importe le Dieu invoqué, qu’importe les raisons données par les Grands, tout n’est que prétexte à envoyer la plèbe au casse-pipe et celui d’en face est, bien entendu, un envoyé du Diable (tient, on n’a pas entendu ça récemment ?)
Et une fin absolument admirable, qui permet, enfin de retrouver un semblant de paix et de sérénité.
Enfin bref, pour résumer en cinq mots : IL FAUT LIRE LA RELIGION. C’est clair ?
Tim Willocks / La religion, (The religion, 2006) Sonatine (2009), traduit de l’anglais par Benjamin Legrand.
PS. Difficile de classer le monstre dans mes petites catégories, il faudrait inventer une catégorie pour lui tout seul. Bof, je le mettrais dans les polars grands bretons, avec ses purs polars que je vais maintenant m’empresser de lire.