Une curiosité chez Asphalte : la traduction d’un roman de 1965 qui, si l’on en croit la quatrième de couverture, est devenu un classique des classiques dans son pays d’origine, l’Australie. La préface, fort intéressante, le replace dans son contexte : premier roman écrit par un aborigène, à une époque où ils n’étaient pas considérés comme des citoyens à part entière, et n’avaient pas, entre autres, le droit de vote. Mais vous allez le voir, Chat sauvage en chute libre de Mudrooroo n’est pas seulement un document historique, c’est une œuvre littéraire, un roman noir qui a sa place dans la bibliothèque de tout amateur du genre.
Le narrateur est métis, moitié aborigène, il a à peine 18 ans, et sort de prison sans la moindre illusion sur ce qui l'attend au dehors. Au mieux quelques jours de liberté, sans but, sans possibilité, sans avenir, avant de retourner derrière les barreaux. Nous le suivons dans son errance, vers un final inéluctable.
Court roman, sec, presque décharné, sans plus d'effets de style que le narrateur n'a d'avenir. A l'image de la situation des aborigènes dans cette Australie des années 60 qui ne leur donne comme possibilité que de crever à petit feu dans les réserves, ou d'oublier leur culture et de tenter d'assimiler celle des blancs. Des blancs qui ne les acceptent de toute façon pas, quels que soient leurs efforts.
Certes, on peut lui trouver un goût de déjà lu, ce récit d’une chute annoncé, avec les stations obligatoires d’un chemin de croix. On l’a lu par ailleurs, sous la plume d’auteurs décrivant les marges de l’Amérique. Mais il faut se souvenir que ce texte date de 1965 et qu’il est de ce fait, non pas le nième rejeton d’une école littéraire, mais un de ses précurseurs. Précurseur d’autant plus intéressant qu’il nous vient d’un pays dont on connaît peu, ici, la littérature.
A lire donc, pour ses qualités, par curiosité, pour l’amour du noir, et aussi, paradoxalement, pour un final qui a une arrière goût de rédemption.
Mudrooroo / Chat sauvage en chute libre (Wild cat falling, 1965), Asphalte (2010), Traduit de l’australien par Christian Séruzier.