Voilà un OLNI, comme moisson rouge sait en publier. Un peu comme Suburbio du brésilien Fernando Bonassi. Dans un genre différent, mais le fond l’est-il tellement ? Cette fois nous sommes en Russie, ou plus précisément en URSS, avec Racailles de Vladimir Kozlov.
URSS au temps de Gorbatchev. Une petite ville industrielle. Une cité, des usines chimiques. Ils sont jeunes, ils vivent dans le quartier des Travailleurs. Rien ne les intéresse, surtout pas l’école. Seuls loisirs : picoler, baiser (avec ou sans le consentement de la demoiselle), se battre. Contre ceux d’autres quartiers, contre ceux qui sont un peu différents, contre les flics, entre eux. Avenir : aucun, espoirs : pas davantage.
S’il fait penser à Suburbio, c’est que, comme lui, ce roman est une chronique du vide. Même pas du désespoir qui est déjà une émotion, mais du vide complet. Et comme lui il raconte ce vide en utilisant une écriture sans concession, allant au bout de la logique du propos. Là s’arrête l’analogie.
Car là où, sur la fin, Suburbio révèle au final une structure et une montée dramatique, Racailles reste jusqu’à la fin un roman sans structure ni fil narratif. Comme la vie désespérante de ces jeunes souvent aussi méchants que bêtes. Ce sont eux qui racontent, l’un après l’autre. Ils racontent l’obsession du sexe (t’as déjà baisé ? qui baise ici ?), l’ennui, le vide comblé avec force vin rouge, vodka, ou tout autre alcool plus ou moins frelaté. Aucun plaisir. Jamais. Les cuites sont tristes, le sexe est morne (ils sont souvent trop bourrés pour s’en souvenir), les adultes au mieux absents, souvent violents, les niveaux d’analyse et de discussion au raz du bitume.
La prose aussi est morne, à leur image : peu de vocabulaire, répétitive, brutale, simpliste. Là encore, comme pour le manque de structure, l’auteur ose aller jusqu’au bout et ne triche pas. L’impact n’en est que plus fort. On peut juste se demander pourquoi et comment il a choisi les différents « épisodes », où commencer, où finir dans chronique désespérante.
Le résultat est étonnant et effarant. Il décrit avec précision ce qu’il reste d’humanité quand on enlève toute valeur, toute curiosité, toute trace de culture. En ce sens, même s’il est profondément russe, il se révèle universel. Désespérément universel.