Depuis que sa série culte est devenue une série télé, George R. R. Martin est une sorte de star. Et c’est tant mieux. Pour une fois que le succès frappe à la porte d’un grand auteur … Je n’ai pas vu la série Game of Thrones, il parait qu’elle est excellente. Je ne sais pas si elle est à la hauteur de la série d’origine, Le trône de fer, sans aucun doute l’une des œuvres majeures de la fantazy. Tout ça pour dire qu’avant d’entamer cette saga, George R. R. Martin avait écrit ce polar à la coloration fantastique, avec une touche d’hommage à Tolkien : Armageddon Rag. Que Denoël a eu la bonne idée de faire retraduire et republier.
20 avril 1971, à West Mesa près d'Albuquerque lors d'un gigantesque concert en plein air Hobbins, le chanteur du groupe rock le plus subversif du moment, les Nazgûl, est abattu d'une balle dans la tête en plein concert. Treize ans plus tard, à la même date, Jamie Lynch, qui fut leur manager est assassiné chez lui. Son cœur a été arraché.
Sandy Blair est écrivain, il a été le créateur d'une revue culturelle très engagée dans les années 70 mais c'est fait évincer quand elle a pris un tournant plus conformiste. Son ancien associé l'appelle quand même pour écrire un papier sur la mort de Lynch. Sandy accepte à condition de pouvoir enquêter sérieusement. Une enquête qui va le plonger dans le passé, les années hippies, gauchistes et rock. Une enquête qui va faire surgir des fantômes pas tous sympathiques. Car la grande bataille approche et les Nazgûl pourraient bien reprendre leur envol …
Une enquête policière pimentée d'un poil de fantastique pour une formidable plongée dans les années 60-70, avec tout ce que cela comporte de mouvement contestataires, de musique, de libération, de bruit et de fureur.
On pourra reprocher à l'auteur un procédé qui lui fait rencontrer un à un tous les archétypes des anciens de 68. Ceux qui ont sombré dans la déprime, ceux qui ont tourné casaque, ceux qui sont dans des communautés … Mais est-ce grave ? Pour celui qui recherche uniquement énigme et suspense peut-être. Pour celui qui s'intéresse à cette période, à ses illusions, ses combats, puis ses désillusions, ses compromissions, ses rêves brisés, sa musique, sa politique … C'est superbe.
Les pages sur la musique sont inoubliables, certains personnages également. La peinture de toute cette génération, de ceux qui sont restés fidèles, de ceux qui se sont reniés, de ceux qui ont sombré … Tout cela est parfaitement rendu au travers du personnage de Sandy, rongé par ses doutes mais ne renonçant jamais complètement.
Dans le même temps, même si la tension dramatique n’est pas toujours présente, surtout dans la première partie, le dernier tiers est construit en crescendo impeccable qui culmine de façon magistrale au moment du concert fatidique.
George R. R. Martin existait donc avant le Trône de fer et il avait écrit un superbe roman hommage à toute une période et toute une génération.
George R. R. Martin / Armageddon Rag (the Armageddon Rag, 1983), Denoël (2012), traduit de l’américain par Jean-Pierre Pugi.