Il m’est difficile de dire exactement ce que j’ai ressenti à la lecture de La guerre des vanités de Marin Ledun sans en dévoiler, en grande partie, l’intrigue. Je vais donc user d’un artifice assez peu esthétique, mais efficace. Au moment critique, j’ai laissé un grand espace. Ceux qui veulent garder le mystère pourront s’arrêter là.
Tournon au bord du Rhône, régulièrement balayée par le mistral. En vingt-quatre heures, cinq adolescents se suicident, et dans certains cas, filment la scène. Difficile pour les flics locaux d’enquêter, tout le monde se connaît dans cette ville repliée sur elle-même. C’est ainsi qu’Alexandre Korvine, lieutenant de police de Valence débarque avec ses gros sabots. En trois jours, à un rythme d’enfer, sans quasiment dormir, il mène une enquête qui va faire exploser la quiétude de la ville endormie et mettre à jour les vilains secrets que tout le monde a intérêt à garder bien cachés.
Un défaut et beaucoup de très bon dans ce premier roman de Marin Ledun publié à la série noire. Le défaut est d’ailleurs lié aux bons points. Que voici.
Pour commencer, le rythme est impressionnant, servi par une écriture parfaitement en phase qui plonge le lecteur dans l’état de stupeur, d’épuisement et d’apnée de l’enquêteur. On halète à la lecture, on sent la fatigue, le stress, l’urgence. Un rythme qui, dans un crescendo parfaitement maîtrisé qui ne cède jamais au grand guignol ni à la facilité et fait monter le suspense.
Et en toile de fond la radiographie au scalpel d’une petite ville de province, avec ses non-dits, ses lâchetés, son conformisme … Et conséquence, son vide, et l’ennui, terrible.
Au centre, l’incompréhension totale entre des ados perdus, sans réels centre d’intérêt, sans vraies envies, et on pourrait presque dire sans valeurs, alors même qu’ils ont dans les mains des moyens d’expression quasi illimités, et leurs parents qui ne semblent guère exister autrement que par leur travail, pas franchement passionnant.
Et pourtant, reste quand même une sensation d’inachevé, et c’est là que s’arrêtent ceux qui ne veulent pas en savoir trop ….
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Inachevé donc. L’auteur fait si bien monter la sauce, qu’on se demande bien comment il va s’en sortir sans sombrer dans le ridicule ou le fantastique. Et au final, on a un peu l’impression d’être devant un soufflet qui retombe en sortant du four. Parce que, et c’est tout à son honneur, Marin Ledun ne sort aucun lapin du chapeau. Pas de grand coupable, pas de complot, pas de révélation magistrale. Juste l’ennui, l’incompréhension, la peur de faire parler, la peur du regard des autres. Rien que de la mesquinerie, de la petitesse.
Tout autre conclusion aurait parue ridicule. Alors pourquoi ce « manque ». C’est qu’à la vue de l’explication, j’ai un peu de mal à comprendre l’ampleur des dégâts. Les réactions dramatiques, le nombre de morts me semble disproportionnés. Marin Ledun n’a pas totalement réussi à me convaincre que de si petites causes puissent entraîner de si grosses catastrophes.
Mais je suis peut-être passé à côté, et cela n’enlève rien aux réelles qualités de ce roman. Juste l’impression d’être passé à côté de quelque chose de beaucoup plus fort.
Marin Ledun / La guerre des vanités, Série Noire (2010).