Un sacré grand écart. Je suis passé de l’hiver tranquille d’une petite ville du nord-ouest de l’Islande à l’agitation frénétique de Libreville avec La bouche qui mange ne parle pas de Janis Otsiemi. Voyage sans escale et sans une seule journée de repos pour me remettre du décalage horaire et du décalage culturel.
Libreville, Gabon. Solo sort de prison, sans un rond et n’a d’autre solution que de replonger dans différents trafics avec son cousin Tito ou son pote de toujours Kenzo. Arnaques, deal, chantages, braquages … Mais cette fois, ce que propose Tito est vraiment trop moche. « En face », côté police, c’est aussi magouilles, corruption, chantage, torture …Quand en plus on approche du pouvoir politique, les petits truands et les petits flics ne pèsent pas lourd et leur vie ne tient plus qu’à un fil.
J’ai eu un peu de mal à rentrer dans ce roman, un ou deux chapitres avant de me faire à la frénésie, et surtout à la langue, très imagée, très parlée, et donc émaillée d’expressions souvent facilement compréhensibles … mais pas toujours.
Puis, une fois acclimaté, je me suis immergé complètement dans cette chronique (car c’est plus un chronique qu’un polar au sens strict du terme). Des vies qui se croisent plus qu’une intrigue léchée, fragments d’existences qui se percutent, souvent pour le pire, pas vraiment d’enquête, pas de police scientifique, pas de brillantes déductions ... Juste des indics, et des mandales bien appliquées. Il faut se laisser emporter par le tourbillon.
Le tableau qui ressort de tout ça est sombre, très sombre : corruption à tous les étages, impunités des riches, tortures systématiques comme moyen d’investigation, mépris de la vie humaine … On meurt pour pas cher à Libreville. En même temps, et malgré la noirceur du propos et du constat, il se dégage de ces pages une telle vitalité qu’on ne sombre pas dans le désespoir ou la dépression. Sans pour autant laisser le moindre espoir que la situation s’améliore … Juste pour vous faire une idée, voici la conclusion :
« Un os jeté au peuple pour préparer les élections législatives en perspective. Comme quoi, la politique est l’art de couper le sifflet aux grognons. »
Une conclusion, bien évidemment gabonaise, qui ne pourrait en aucun cas s’appliquer à une démocratie modèle comme la nôtre …
Janis Otsiemi / La bouche qui mange ne parle pas, Jigal (2010).