Si vous êtes habitué(e) de ce lieu, vous avez déjà entendu parler des Wu Ming. Qu’ils écrivent en groupe comme pour le somptueux Manituana, ou séparément avec New Thing et Mort aux humains, leurs romans sont toujours inattendus et passionnants. Le dernier en date, L’étoile du matin, est signé Wu Ming 4.
Oxford, 1919. Quatre hommes essaient de se réhabituer à la vie normale après des années de guerre. J.R.R. Tolkien, Robert Graves (grand poète et spécialiste de mythologie) et C.S. Lewis qui n’a pas encore écrit les Chroniques de Narnia, tentent en vain d’oublier les tranchées où ils ont perdu amis et famille. Sur le campus d’Oxford ils vont rencontrer T.E. Lawrence, que la presse américaine est en train de transformer en Lawrence d’Arabie. En quelques mois, Graves, futur spécialiste des mythes antiques, Tolkien et Lewis, futur créateurs d’histoires qui marqueront le siècle, et Lawrence qui préfigure les mythes Hollywoodiens vont se croiser, s’apprécier ou se haïr, et tenter, chacun à sa façon, de soigner les blessures et d’oublier la culpabilité d’avoir survécu quand tant d’autres sont morts.
J’attendais beaucoup de ce roman, trop peut-être. Et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord j’ai été fasciné et passionné par les trois romans du collectif que j’ai pu lire. Ensuite, pour un amateur de littérature et de cinéma, l’idée de faire se rencontrer ces quatre légendes est forcément très excitante. Pour finir, les critiques ici et là sont très élogieuses. Au final, je m’attendais à être plus enthousiaste, même si le roman est très intéressant. Tentative d’explication.
Pour commencer, j’ai trouvé que la narration manquait de tension. Jusqu’à très tard dans le roman on s’intéresse certes aux destins croisés des quatre personnages, mais on voit mal ce qui les rassemble réellement (à part le lieu géographique) et surtout on voit mal comment leurs existences vont se nouer et s’imbriquer. Ce nœud, le mystère des uns que les autres vont tenter d’éclaircir n’apparaît que très tardivement. Du coup pendant presque les trois quarts du roman les quatre récits sont intéressants, très intéressants même, mais on ne voit pas pourquoi l’auteur a voulu les mêler, au risque d’être trop court sur chacun d’eux.
D’où, ensuite, la frustration. Les retours dans le passé, et en particulier sur la guerre de Lawrence sont absolument passionnants … mais il y en a trop peu, on en voudrait beaucoup plus ! De même si on voit très bien l’œuvre de Tolkien en devenir (là aussi c’est passionnant), et le rôle de la littérature et de la création d’univers et de langue dans le processus de retour à une certaine normalité, on ne voit rien de tel pour Lewis …
Frustration donc, parce que c’est bon, mais trop peu. Mais si on avait eu tout ce qu’on attend pour chaque personnage, le roman aurait atteint les 1000 pages … Ceci dit, si on est frustré, c’est que par ailleurs, c’est quand même bon, voire très bon. C’est pour ça que, a posteriori je dis que j’en attendais peut-être trop.
Certaines scènes sur la passé dans les tranchées ou sur la guerre de Lawrence sont saisissantes. Les pages de réflexion sur la création littéraire en général, et la création d’un univers qui a marqué des générations de lecteurs et a en quelque sorte créé la fantazy (à savoir l’incontournable monde de Tolkien) sont passionnantes. Et le dernier quart est exceptionnel, qui dénoue certains fils, décrits dans des scènes d’anthologie l’origine des blessures de Lawrence ou le vrai début de la création de Tolkien. Des pages magnifiques, et des images inoubliables.
Un roman très intéressant, passionnant même, malgré ses défauts, et malgré le goût de pas assez qu’il laisse au final.
Wu Ming 4 / L’étoile du matin (Stella del matino, 2008), Métailié (2012), traduit de l’italien par Leila Pailhès.