Les éditions Moisson Rouge se sont fait une spécialité de faire découvrir de jeunes auteurs latinos. En voici un nouveau, l’argentin Kike Ferrari qui déboule en France avec De loin on dirait des mouches. Un roman prometteur sur lequel je n’ai qu’une réserve. Petite la réserve.
El señor Machi est un gros sale con, ou un sale gros con. Il n’y a pas d’autre terme. Pendant la dictature il n’a pas hésité un instant à collaborer avec la junte. Il méprise, exploite et maltraite ses employés et les femmes (en commençant par la sienne). Il est fier de sa BMW, de ses cravates, de sa montre … Le parvenu, « medio pelo » comme disent les argentins dans toute sa splendeur.
Alors quand en sortant de la boite qu’il possède et où il arrose politiciens et personnalités en vue il trouve un cadavre défiguré attaché à la voiture par les menottes en fourrure rose dont il se sert avec ses putes … Ben on va pas le plaindre. Et on va même se délecter de le voir merdouiller, paniquer, se demander qui lui en veut et comment il va se débarrasser de ce colis bien embarrassant.
Tout de suite la réserve … la trame narrative multiplie les questions et les mystères et donne peu, voire pas de réponse. Le lecteur reste donc sur sa faim. On pourrait penser que c’est par paresse, mais la fin prouve que c’est totalement voulu et maîtrisé (je ne vous en dit pas plus). C’est donc un parti pris assumé, en cohérence avec tout le roman … Ce qui ne m’a pas empêché d’être un peu frustré.
Ceci étant dit, je me suis beaucoup amusé quand même. Le procédé choisi n’est pas forcément nouveau : Comment un innocent (nous reviendrons sur l’innocence de Machi) qui se retrouve avec un cadavre inconnu sur les bras peut-il s’en débarrasser ?
L’originalité du propos est de faire du narrateur une authentique pourriture. Habituellement l’innocent l’est vraiment et le lecteur compatit, tremble, espère qu’il va s’en tirer. Ici l’innocent est une vraie merde (je sais mais les mots me manquent pour qualifier Machi), digne des meilleures créations de Carlotto et Evangelisti, c’est dire. Donc au lieu de compatir le lecteur jubile chaque fois que le narrateur s’enfonce. Jubile avant de s’horrifier, a posteriori, devant l’arrogance et l’impunité du personnage, et à travers lui de toute une bourgeoisie de parvenus qui n’ont reculé devant aucune saloperie pour bâtir leur fortune. Une seule valeur morale : le compte en banque.
Tout cela sans jamais prêcher ou démontrer, sans jamais dénoncer, juste en nous mettant dans la tête de cet enfoiré de Machi (beurk !). Réjouissant et grinçant donc, malgré ma frustration.
Kike Ferrari / De loin on dirait des mouches (Que de lejos parecen moscas, 2011), Moisson Rouge (2012), traduit de l’argentin par Tania Campos.