« Quand j'ai finalement rattrapé Abraham Trahearne il était en train de boire des bières avec un bouledogue
alcoolique nommé Fireball Roberts dans une taverne mal en point juste à la sortie de Sonoma, en Californie du Nord ; en train de vider le coeur d'une superbe journée de printemps. » James
Crumley (Le dernier baiser)
Je sais cela ne va pas changer la face du monde, ni même la politique française. Je sais on fait nettement plus à gauche qu’un sénateur PS. Je sais ça ne dit pas que les prochaines élections seront gagnées (gagnées par qui d’ailleurs ?). Je sais, la France n’est pas passée à gauche, la casse de l’éducation, de la santé, de la culture, des services publics continue …
Mais je ne vois pas pourquoi on devrait se refuser un petit plaisir quand il se présente. Et tout ce qui fait mal à l’infâme clique au pouvoir est bon à prendre.
Donc rien que d’imaginer la mauvaise nuit de l’abominable avocat d’affaire qui détruit le pays (au passage, quand je serai au pouvoir, les avocats d’affaire seront avec les traders et autres vautours les premiers à partir travailler dans des centres d’appel …), rien que de penser aux ulcères en formation des Balkany, Boutefeux, Sarko et autres … Ben je commence la semaine de bonne humeur !
Il faudra quand même reconnaître une vertu à notre bon président. Celle d’avoir réussit deux miracles que même Lourdes et le Vatican vont devoir reconnaître : Faire passer le sénat, génétiquement fabriqué pour être de droite à gauche, et déclencher la première grève de l’histoire de la République à laquelle vont participer l’enseignement public ET l’enseignement privé !!
Barcelone en six nouvelles sous la plume de Francisco Gonzalez Ledesma. Ca s’appelle La vie de nos morts, et cela résume assez bien toute l’œuvre de cet immense auteur.
Une fois de plus, même si Mendez apparaît dans les deux derniers textes, ce sont des femmes qui sont au centre de ces récits.
Des femmes qui souffrent et meurent comme dans Moi aussi, je m’appelle Julia, et La Mercedes, de femmes qui sauvent comme dans Le pavé bleu, des femmes qui se vengent comme dans La douce mademoiselle Cobos, des mères, des épouses, des amantes de La colère du Père éternel et Le cœur de la mère éternelle.
Les trois premières tournent autour de la guerre d’Espagne et en particulier de la résistance de Barcelone. Elles ont la très forte charge émotionnelle caractéristique des romans noirs historiques de l’auteur, à la hauteur de Los Simbolos ou Los Napoleones. On y retrouve toute la force de son écriture, sa proximité avec les gens qui souffrent mais se battent, toute son empathie pour le peuple anonyme mais héroïque. On est pris aux tripes. Le pavé bleu, magnifique histoire d’un rescapé de la guerre qui recherchera toute sa vie la femme qui l’a caché et sauvé est particulièrement poignante.
Les trois dernières qui se déroulent de nos jours, sans autre lien avec le passé que la nostalgie des protagonistes sont davantage dans la veine Mendez. Plus féroces, plus drôles, la vengeance y est douce, le vieux serpent est égal à lui-même, plein de tendresse et d’indulgence pour les petits voleurs, les petits truands et les vieilles prostituées, implacable avec ceux qui s’en prennent aux plus faibles. Un vrai chevalier blanc, même si son armure est quelque peu défraîchie.
En bref, un bon aperçu des deux facettes du talent de Francisco Gonzalez Ledesma en six nouvelles.
Francisco Gonzalez Ledesma / La vie de nos morts (2011), Rivages/Noir (2011), traduit de l’espagnol par Jean-Jacques et Marie-Neige Fleury.
C’est la semaine SergeQuadruppani sur actu du noir. Il est le traducteur du précédent roman chroniqué, le voici en tant qu’auteur avec La disparition soudaine des ouvrières où il reprend ses personnages de Saturne.
Revoici donc Simona Tavianello, commissaire romaine à la cinquantaine épanouie, en vacances dans les Alpes italiennes avec son mari. Des vacances qui tournent mal quand ils trouvent un cadavre chez l’apiculteur auquel ils rendaient visite. D’autant plus mal que l’arme du crime est … celle de Simona, qu’on lui a volé le matin même sans qu’elle s’en rende compte. Il n’en fallait pas plus pour qu’elle décide de mettre son nez dans cette affaire, au grand dam des carabiniers.
Une affaire dans laquelle certains semblent avoir intérêt à faire porter le chapeau aux écologistes qui défendent la vallée contre les vues d’un labo très secret travaillant dans les nanotechnologies et les OGM. Et comme toujours quand il s’agit de secret, les barbouzes ne sont pas loin.
On retrouve avec beaucoup de plaisir Simona la grande gueule aussi efficace et râleuse que sensuelle. On retrouve avec le même plaisir Serge Quadruppani auteur, son français parsemé d’expressions italiennes, son écriture charnelle qui fait si bien sentir les parfums des alpages, la chaleur écrasante d’une place italienne, la fraicheur de l’eau d’une fontaine ou la saveur d’une tarte à la rhubarbe. Une écriture qui sait si bien se moquer des imbéciles, s’enrager contre les salauds et s’émouvoir du vol d’une abeille au soleil.
Il semble que le chroniqueur du Monde ait apprécié mais trouvé la vision de l’auteur trop manichéenne, il lui reproche, gentiment, de planter des défenseurs de la nature (trop) visionnaires et des gens des labos comme des salauds mercantiles.
Pas d’accord. Premièrement, les écolos du romans ne sont pas tous visionnaires, il y en a même de sacrément allumés à leur façon. Et surtout quelqu’un qui travaille dans un labo dont le but est le suivant : « Toujours le même processus […] On détruit un processus naturel gratuit et on le remplace par une prothèse artificielle payante. », ou pour le dire autrement, de privatiser le vivant, tout le vivant, jusqu’à nos cellule et l’air qu’on respire, alors oui, mille fois oui, celui-là, tous ceux là sont au mieux de dangereux inconscients qui ne se posent jamais la question de la finalité de leur travail, plus vraisemblablement des salauds mercantiles. Et leurs patrons (et ce sont eux qui sont dépeints dans le roman) sont de vraies pourritures mercantiles.
Donc Quadruppani n’est pas manichéen, il est lucide. Donc la lecture de son roman est non seulement extrêmement plaisante, mais également extrêmement utile.
Pour couronner l’ensemble, il nous offre, au détour d’une page, une petite douceur acidulée en forme de clin d’œil avec, si je ne m’abuse, l’apparition en vedette sicilienne d’un certain légiste mal embouché qui, habituellement, s’engueule avec Montalbano. Un coup de chapeau au « Maître de Vigata » présent en chair et en os dans le précédent roman.
Serge Quadruppani / La disparition soudaine des ouvrières, Le Masque (2011).
Encore un beau roman atypique chez Métailié, il nous vient d’Italie cette fois. Vous connaissez la camorra façon documentaire de Gomorra de Roberto Saviano? Découvrez-la romancée dans L’offense de Francesco De Filippo.
Il ne voulait pas être camorriste Gennaro, jeune homme d’un quartier populaire de Naples. Mais dans ce quartier, quand on a 21 ans, on ne dit pas non à Don Rafele. Et Don Rafele n’est pas seulement le parrain du quartier, c’est un boss, un vrai, une pieuvre avec des tentacules dans le monde entier. Pourtant il est simple Gennaro, il ne se pose pas trop de questions, mais il n’a pas non plus de grandes ambitions : « Moi, je voulais pas tuer, je voulais pas tirer et je voulais casser la gueule à personne, je voulais … je l’ai dit mille fois, je voulais seulement gagner ma vie. »
Alors quand peu à peu il prend conscience du regard des autres, il s’en étonne : « J’étais personne avant, j’étais personne en ce moment et surtout je serai personne à l’avenir. Qu’est-ce que je devais faire ? ». Et puis s’est l’engrenage, inévitable, pour un Gennaro qui, comme il le dit souvent, ne comprends pas grand-chose à ce qu’on lui fait vraiment faire …
Bienvenue dans la tête d’un camorriste malgré lui. Car c’est bien ce qu’est Gennaro, bourreau mais également (et surtout ?) victime d’une organisation criminelle qui noyaute toute la ville. Victime inconsciente parfois, consentante aussi, victime et bénéficiaire.
Un roman tout en contrastes, véritable et permanente douche écossaise. Contraste entre cette langue (superbement rendue par Serge Quadruppani) chaude et la réalité glaçante qu’elle décrit. Contraste entre le côté frustre et simpliste des réflexions du narrateur et la complexité et les ramifications de l’organisation qu’il sert. Contraste entre la fraicheur et l’humanité de ce garçon (malgré ce qu’il voit, subit et inflige) et la cruauté, la violence qui l’entoure. Contraste entre ses aspirations, ses envies qui le rendent très attachant, et le costume de bourreau qu’il endosse.
C’est toute cette complexité que rend ce roman étonnant écrit pourtant dans une langue très parlée, a priori « simple » parce que le narrateur fait avec les mots et les images qui sont à sa disposition.
Un roman qui fait peur, tant l’emprise de la camorra sur Naples y semble définitive, tant elle semble ancrée dans la vie de tous les jours, dans l’ADN de toute une ville serais-je tenté de dire. Certes l’auteur tente un happy end qui est peut-être la seule faiblesse du roman, pour essayer, au moins, d’en sauver un. Mais les autres ?
Un nouveau roman de cette très riche et très belle rentrée. Un roman inclassable, impossible à ranger dans une petite case. Thriller ? Roman Noir ? Politique fiction ? Roman d’apprentissage ? Roman onirique ? Métaphorique ? Scintillation de l’écossais John Burnside est tout cela, et bien plus …
Quelque part au bord de la mer l’Intraville, quartier laissé pour compte, au bord des bois empoisonnés par l’Usine Chimique aujourd’hui abandonnée. Y vivent d’anciens ouvriers qui meurent d’avoir travaillé, et des gamins qui n’auront jamais de boulot dont pas grand monde ne s’occupe. Livrés à eux-mêmes, ils sont plus souvent sur le site industriel condamné qu’à l’école.
Alors quand des garçons commencent à disparaître, personne ne s’inquiète, pas même leurs parents. Seuls les copains ont peur et cherchent à savoir. Particulièrement Leonard, adolescent atypique, grand lecteur et amateur de vieux films. Mais que peut-il faire tout seul ?
Attention, Scintillation demande un petit effort. Ce n’est pas un livre qui se dévore, mais qui se déguste, page après page. Parce que l’abord est dense et déroutant, et parce qu’il ne propose aucune solution, aucune résolution. Comme le dit un des narrateurs, à quelques pages de la fin : « Il ne m’a pas fait assoir pour m’exposer l’intrigue, en comblant tous les blancs, tel Hercule Poirot ou Sherlock Holmes une fois que le mystère a été résolu et les criminels appréhendés. »
Et puis l’auteur prend en permanence le lecteur à contrepied. Quand on commence à croire que l’Intraville, les Bois empoisonnés et l’Usine Chimique sont des lieux rêvés, métaphoriques, sans lien avec notre réel, il les ancre soudainement dans notre monde et notre époque au détour d’une phrase ou d’une référence précise. Pour nous replonger aussitôt dans une sorte de décalage et de flou propres au rêve.
Le récit oscille ainsi entre un monde onirique et une réalité sordide. Les valeurs, les frontières s’estompent, la mort et la laideur recèlent une étrange beauté, une mise à mort peut être un acte de miséricorde … Il faut accepter de se laisser emporter, bercer par ce rythme, par la beauté des phrases et des images, accepter l’irrationnel, le non dit. Il faut accepter de prendre en pleine figure une mort poignante, de ne pas tout comprendre, de faire confiance à ses émotions, et de fermer le roman sur une fin ouverte à toutes les interprétations.
En échange, quel bonheur de lecture … Un bonheur qui se prolonge tant Intraville, l’usine Chimique et Leonard vont vous hanter longtemps après avoir lu le dernier mot.
John Burnside / Scintillation (Glister, 2008), Métailié (2011), traduit de l’écossais par Catherine Richard.
Notre société est de moins en moins sure, de plus en plus dangereuse. C’est pas moi qui le dis c’est une ministre. Donc c’est forcément vrai et intelligent :
« Le vol de portables à l’arrachée est un phénomène récent qui n’existait pas avant les téléphones mobiles. » Nadine Morano.
J’ai fait une autre constatation inquiétante. Nos politiques sont de plus en plus cons, la preuve :
« Avant 1945 on ne voyait jamais de politique dire des conneries à la télévision ». Jean-Marc Laherrère.
Après deux romans bien noirs et éprouvants, le lecteur a droit à une petite récréation. Comme la vie, et le monde de l’édition, sont parfois bien faits, parait ce mois-ci à la série noire un nouvel opus de la série R&B (pour Roberts et Brant) de Ken Bruen. Comme toujours sur les derniers titres, celui-ci est court et efficace : Calibre.
Londres. Dans le fief de Brant, le flic le plus dangereux de Londres, un illuminé a décidé de faire respecter la politesse. Sa méthode ? Simple. Il tue ceux qu’il surprend en flagrant délit de grossièreté. Puis il s’en vante auprès de la police et de la presse.
Erreur. Car si Brant ne tient pas particulièrement à sauver les cons et autres malpolis autour de lui, il est bien décidé à être le seul à choisir qui il faut éliminer ...
Ken Bruen prouve, une fois de plus, que le thème le plus rabattu (ici le serial killer), donnant lieu aux pires soupes commerciales, peut aussi, dans les pattes d’un auteur de talent (et il en a le bougre !), donner un petit bijou, tout noir.
Nous avons donc ici un R&B classique et donc jubilatoire. Brant au mieux de sa forme, des flics méchants comme des teignes, des délinquants plus bêtes que la moyenne mais presque aussi mauvais que les flics, un hommage aux grands du noir, et une écriture au scalpel. Cela donne des scènes d’anthologie, des dialogues à apprendre par cœur et une méchanceté assumée réjouissante. Du pur bonheur. Dommage que ce soit si court, mais peut-être est-ce une nécessité pour atteindre une telle efficacité et un tel tranchant …
Vivement le prochain.
Ken Bruen / Calibre (Calibre, 2006), Série Noire (2011), traduit de l’irlandais par Daniel Lemoine.
On vient d’entrer dans la dernière ligne droite. Certes il restera quelques changements, quelques désistements de dernière minute, mais le programme du troisième festival de TPS est maintenant bien bouclé.
Vous trouverez tous les détails sur le blog. Pour ceux qui auraient la flemme, voici quelques jalons et en particulier (on n’est jamais mieux servi que par soi-même) les machins où je suis aux manettes.
Jeudi 6 octobre je serai à la médiathèque de Pins-Justaret à 20h30 avec Valerio Evangelisti. On causera SF, roman noir, roman de pirates, mouvement ouvrier américain etc …
Le même jour, ailleurs … Paco Ignacio Taibo II sera à Mirande, Tanh-Van Tran-Nuth dans l’Aveyron, Guillermo Orsi à Tournefeuille …
Vendredi 7 octobre avec Claude Mesplède himself, nous animerons une demi-journée destinée surtout aux bibliothécaires sur le polar latino–américain, de 9h00 à 12h00 à la libraire de la Renaissance. Puis direction le CE d’Air France en compagnie de Paco Ignacio Taibo II. Ailleurs Marcus Malte sera à la bibliothèque de la côte pavée, Jean-Hugues Oppel à Fronton, Nadine Monfils à la bibliothèque d’Ancely, Patrick Bard à Foix etc …
Et à 16h00, première table ronde à la librairie de la Renaissance : Le polar latino-américain avec PIT II, Raul Argemi, Carlos Salem et Guillermo Orsi, animée et traduite par Sébastien Rutés et ma pomme (on verra qui fait quoi sur le moment).
Et après il y aura peut-être une petite surprise …
Samedi 8 octobre c’est parti !
10h30, Secrets de famille, avec Thomas Cook, Gunnar Staalesen et Sophie Loubière, animée par Corinne de la Noirode.
11h30 : Inauguration et remise des différents prix dont le prix Violeta Negra dont je vous ai déjà causé.
15h00 Autour de l’œuvre de Manchette avec Max Cabannes et Doug Headline, animée par Alain Bévérini
16h00 : Faire exploser le genre, avec Brigitte Aubert, Nadine Monfils et Serguei Dounovetz animée par ma pomme
17h00 : La frontière avec Patrick Bard, Marc Fernandez et PIT II animée et traduite par Sébastien Rutés et ma pomme.
En parallèle pour ceux qui préfèrent déambuler, sous le chapiteau et au bar il y aura des rencontres informelles et discussions avec des auteurs comme Tran-Nuth, Granotier, Gouiran etc …
Et à la fermeture des ventes, au bar, un peu de musique histoire de prolonger le plaisir d’être avec les auteurs en buvant un verre …
Dimanche 9 octobre
Le matin je serai au cinéma Utopia de Tournefeuille avec Patrick Bard, Marc Fernandez, le dessinateur Troub’s et … PIT II pour animer un débat autour du film de Marc Fernandez sur les meurtres de Ciudad Juarez.
Dans le même temps à la librairie :
10 h00 : Voyages dans le noir européen, avec José Luiz Muñoz, Dominique Sylvain et Mine Kirikkanat animée par Corinne de la Noirode.
11h00 : Ecrire du polar pour la jeunesse avec Stéphanie Benson, Julien Guérif et Benoit Séverac, animée par Nathalie Beunat.
14h30 : Dans la peau d’un salaud avec Valerio Evangelisti, Nick Stone et Ignacio del Valle animée par ma pomme.
16h00 : Présentation de la collection Polars en Nord, avec Gilles Guillon, Maxime Gillio et Elena Piacentini animée par Claude Mesplède.
En parallèle, comme la veille, pour ceux qui préfèrent déambuler, sous le chapiteau et au bar il y aura des rencontres informelles et discussions avec des auteurs comme Halphen, Baru, Rutés etc …
« … personnellement, je crois que de littérature parfaite, on en a déjà bien assez.
Ce dont on a besoin, c’est d’une littérature imparfaite, d’une littérature qui ne tente pas de donner de l’ordre au chaos, mais qui au lieu de cela, essaie de représenter ce chaos en se servant du chaos, une littérature qui hurle à l’anarchie, apporte de l’anarchie, qui encourage, nourrit et révèle la folie qu’est véritablement l’existence quand nos parents ne nous ont pas légué de compte épargne, quand on n’a pas d’assurance retraite […] une littérature qui dévoile la vie de ceux qui se font écrabouiller et détruire, ceux qui sont vraiment désespérés et, par conséquent, vraiment vivants, en harmonie avec le monde, les nerfs à vif et à deux doigts de péter un câble. »
Eric Miles Williamson,Bienvenue àOakland.Que dire de plus quand tout est déjà dit dans le roman ?
L’histoire ? Il n’y en a pas, ou presque. Ce sont plutôt des histoires. T-Bird Murphy, déjà narrateur de l’extraordinaire et trop méconnu Gris Oakland se terre quelque part dans un box dans le Missouri. Pourquoi ? On ne sait pas, et on ne le saura pas. De là il écrit sa vision du quart monde américain, le côté caché du rêve, celui de ceux qui n’ont rien ou presque alors qu’ils travaillent et travaillent même très dur.
Au cœur de cette description quelques histoires. Celle de la première fois où, gamin, il s’est fait tromper par un employeur, et la vengeance de son quartier ; celle d’un pote qui a pété les plombs ; celle d’un étrange architecte de décharges à ordures ; celle du mariage de son père … on y croise des gens qui bossent à ramasser les poubelles, à construire des routes, ceux qui sont dans des garages, ceux qui sont dans le gunite (comme dans Noir Béton) … et bien entendu, comme toujours, ceux qui jouent de la musique.
Alors, comme promis, c’est chaotique, c’est un long cri de rage, de haine mais aussi de solidarité. Il ne faut pas y chercher de progression narrative, ni d’intrigue. Il y a des histoires entremêlées, et cette colère immense, lancinante.
Certes il y a quelques longueurs, quelques redites, mais il y a surtout des pépites, des pages entières d’une beauté fulgurante, d’une énergie qui emporte tout. Certes ce n’est ni joli, ni aimable, pas toujours agréable, mais ça secoue.
Si tous les travailleurs, tous les ouvriers (ben oui, je sais ce sont de vilains mots, mais c’est bien de cela qu’il s’agit) avaient la même rage, la même analyse de ce (et ceux) qui est responsable de leur aliénation, au lieu de vouloir le dernier portable ou le dernier mp3 … les cliques obscènes qui nous gouvernent auraient du souci à se faire.
Alors acceptez le chaos, acceptez les quelques longueurs, acceptez de prendre quelques gifles, et laissez-vous submerger. Sachez seulement qu’en ouvrant le livre vous ne trouverez pas le mitigeur, pas d’eau tiède ici, que du brûlant et du glacé.
Eric Miles Williamson / Bienvenue à Oakland (Welcome to Oakland, 2009), Fayard (2011), traduit de l’américain par Alexandre Thiltges.