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16 octobre 2008 4 16 /10 /octobre /2008 21:08

Pour une fois, Parker n’a pas choisi lui-même ses coéquipiers. Résultat, il se retrouve en taule en attente de jugement. Pressé de sortir de là, il s’associe avec deux codétenus pour s’évader. Mais leur aide, et celle de leurs complices à l’extérieur a un prix : Il doit participer à un coup dans la ville. Un coup qu’il ne sent pas, un coup qu’il n’a pas préparé. Un coup qui, bien entendu, tourne mal …

C’est certain, ce n’est pas le meilleur Parker. Etrangement, on a presque l’impression de voir Parker embarqué dans un scénario Dortmundérien où chaque nouveau mouvement pour se sortir de la mouise ne fait que le précipiter dans une mouise encore plus grande. Du coup le scénario est moins dense que dans ses meilleurs épisodes.

Mais c’est quand même un Parker, dans la narration, et dans le style. Ce qui est synonyme de grand, très grand plaisir de lecture. Car le personnage est immuable, imperturbable, granitique, d’une efficacité totale, économe en mots et en actes … Et Richard Stark (alias Westlake comme tout le monde le sait) a poli son style au fil des épisodes, le rendant aussi tranchant que son personnage. Toutes les scènes dans lesquelles se trouve Parker sont d’une précision et d’une limpidité parfaites. Impossible d’en retirer une phrase, un mot, une ponctuation, sans en amputer le sens.

C’est amusant que ce billet succède à celui sur Gonzalez Ledesma, car les deux romans sont exactement contraires. Là où Francisco Gonzalez Ledesma utilise l’histoire pour faire passer ses sentiments, ses émotions, ses analyses historiques et philosophiques, Richard Stark bannit totalement les émotion, les sentiments, la psychologie. Au lyrisme nostalgique dans les descriptions de l’un répond l’action pure comme le diamant, qui claque sèche comme un coup de trique de l’autre. Deux régals de lecture, aussi différents qu’on puisse l’être.

Bravo à Emmanuel Pailler pour la traduction.

Richard Stark / Breakout (Breakout, 2002), Rivages/Thriller (2008), traduit de l’américain par Emmanuel Pailler.

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15 octobre 2008 3 15 /10 /octobre /2008 00:03

Commençons par un mea culpa … Dans mon TOP 100 j’ai classé George Alec Effinger parmi les anglais, alors qu’il est … américain. Je corrige donc illico.

Venons en aux faits. George Alec Effinger fait partie de ces auteurs qui transcendent les genres, jonglent avec, s’amusent, et finissent par produire une littérature originale, jouissive, agitatrice de neurones. Dans le cas d’Effinger, on a un auteur de SF qui s’est frotté au polar. Essai magnifiquement transformé.

Il est né en 1947 à Cleveland, et a fait ses études à l’Université de Yale et à la New York University. Dès le début des années 70 son premier roman de SF est un succès et lui vaut la reconnaissance de ses pairs. Il gagne en 1988 pour sa nouvelle Schroedinger's Kitten deux des prix de science fiction les plus prestigieux : le Hugo et le Nebula. Grand amateur de culture populaire il aime récupérer les genres et les mythes, et les adapter dans ses romans de science fiction. Il est décédé en 2002.

Avec la trilogie consacrée à Marîd Audran et au Moyen-Orient, Effinger rend un véritable hommage au roman noir et à ses maîtres. Tout y respecte les codes du genre : le narrateur est un privé, habitué des bars de sa ville, plus porté sur l’alcool et la drogue que sur le Coran, ami des prostituées et des loubards, et farouchement indépendant. Ce Marlowe du futur évolue dans une ville du Moyen-Orient non identifiée, et plus précisément dans son vieux quartier, le Boudayin, qui est également le quartier des bars louches, et des touristes en mal d’émotions fortes. Contrairement à une bonne partie de ses amis, il refuse de se faire câbler le cerveau pour pouvoir s’enficher des périphériques qui lui permettraient de revêtir une autre personnalité, réelle ou imaginaire, ou d’acquérir des compétences nouvelles comme le don des langues, ou la possibilité d’annuler momentanément la fatigue ou  la faim.

Jusqu’au jour où, dans Gravité à la manque, un tueur fou et sadique se met à massacrer à tout va dans le Boudayin. Marîd commence à enquêter quand il est convoqué par le parrain local, bien plus puissant que toutes les forces de police, Papa Friedlander Bey. Celui-ci lui suggère d’accepter de se faire câbler, puis d’enquêter pour son compte et d’éliminer le tueur. Comme il est difficile de résister aux suggestions de Papa, Marîd se fait opérer, et c’est avec l’aide de la personnalité de Nero Wolfe qu’il démasque le tueur.

Dans les deux épisodes suivants, Marîd gagne en notoriété, devient riche, mais perd sa liberté, Papa aimant que ses « employés » lui soient dévoués corps et âme. Coupé de ses amis, ayant perdu ses repères dans le Boudayin, il devient le bras droit du parrain, et commence à entrevoir la véritable nature de son employeur. Bien plus que simple parrain d’un quartier de débauche, Friedlander Bey est l’un des conseillers les plus écoutés d’un monde qui est parti à la dérive, éclaté en une multitude de petits états qui se font la guerre, quand ils ne sont pas occupés par des révoltes et coups d’états. Son grand rival est Cheikh Reda, autre véritable autorité de la ville. Marîd prendra une part croissante dans la guerre feutrée mais sans pitié qui oppose les deux hommes.

Dans cette trilogie George Alec Effinger réussit ce qui pourrait être montré dans les écoles comme un exemple parfaitement abouti du mélange des genres. La progression de l’enquête, le style, la voix off du narrateur très hard-boiled, avec ses répliques caractéristiques, en font un hommage au genre superbement réussit.

Dans le même temps le monde futuriste imaginé par Effinger, avec son mélange de palabres, de sourates et de transsexuels connectés, véritables réincarnations des stars du porno est éblouissant et absolument convainquant. C’est peut-être ce mélange étonnant d’une culture millénaire avec des gadgets du futur qui fait que cet univers a réussi à rester à la fois proche du notre, et futuriste, alors qu’il date déjà de vingt ans. On en peut que constater que la recrudescence des fanatismes religieux, le morcellement des pays et régions et l’exacerbation des particularismes semblent même donner raison à ce visionnaire inspiré, grand raconteur d’histoires que les amateurs de privés durs à cuire auront un immense plaisir à découvrir.

Pour résumer, mettez dans un shaker Bogart, la médina de Marrakech, et le courant cyber punk, agitez fort, rajoutez du style, et consommez sans modération.

Gravité à la manque (When Gravity Fails, 1986) Denoël / Présence du futur (1989) traduit de traduit de l’américain par Jean Bonnefoy. / Privé de désert (A Fire In The Sun, 1989) Denoël / Présence du futur (1991) traduit de traduit de l’américain par Jean Bonnefoy / Le Talion du cheikh (The Exile Kiss, 1991) Denoël / Présence du futur (1993) traduit de traduit de l’américain par Jean Bonnefoy.

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6 octobre 2008 1 06 /10 /octobre /2008 21:34

Pour des raisons diverses et variées, je n’avais pas été complètement emballé par mes dernières lectures, il y avait de l’eau dans la gaz et du mou dans les voiles. Dans ces cas-là, comme disait mon entraîneur de rugby, il faut revenir aux fondamentaux. Coup de chance, Rivages publie ces jours-ci un nouveau Robicheaux. Retour aux fondamentaux donc avec Dernier tramway pour les Champs Elysées de James Lee Burke.

Il pleut sur les bayous. Dave Robicheaux est en rogne. Pas à cause du temps, mais parce que son ami, Jimmie Dolan, prêtre grande gueule qui n’hésite jamais à affronter sa hiérarchie et les notables du coin pour défendre les plus démunis a été tabassé quelques semaines auparavant. Avec son ami Clete, colosse souvent imprévisible, il est bien décidé à faire payer l’exécutant et ses commanditaires. Sur son chemin il va croiser un tueur de l’IRA et le fantôme d’un musicien de blues mort depuis 50 ans. Face à lui, rapidement, toute la puissance et la morgue des grandes familles du sud, qui continuent à se comporter en propriétaires de la région et de ses habitants.

Pour les fans de James Lee Burke et de Robicheaux, il suffit de dire que c’est un très bon Robicheaux, presque du niveau de Dans la brume électrique avec les morts confédérés. Pas besoin d’en rajouter.

Pour ceux qui ne connaissent pas, il vaut certainement mieux commencer par les débuts de la série, bien que, comme les autres, cet épisode puissent se lire seul. On y retrouve cette tête de mule de Robicheaux, en proie à ses doutes, ses démons, ses remords. Robicheaux qui semble plus à l’aise en compagnie des morts que des vivants, et qui se sent de plus en plus décalé dans la Louisiane telle qu’elle évolue. Robicheaux qui, malgré ses échecs, les coups qu’il a pris, et la perte progressive de ses illusions ne peut se résoudre à voir que ce sont toujours les mêmes qui s’en sortent, les mêmes qui payent le prix fort.  Dave Robicheaux qui a de plus en plus de mal à exercer son métier de flic, et à se convaincre qu’il est juste de faire respecter la loi :

« La définition de ce qui est légal n’a pas grand-chose à voir avec une conduite vertueuse. Il était légal d’empoisonner systématiquement la terre et de vendre des armes aux fous furieux du tiers-monde. Les hommes politiques qui n’avaient personnellement jamais servi leur pays en service actif, ni entendu les hurlements des victimes d’un lance-flamme sur le terrain ou refermé de sacs à viande sur le visage de leurs meilleurs amis, réclamaient la guerre à cor et à cri et s’affichaient fièrement au garde-à-vous devant le drapeau tout en envoyant d’autres qu’eux se battre pour lui ».

Cet épisode passe du lyrisme pour la description des bayous à l’âpreté et la sécheresse pour celle des conditions de détentions au pénitencier d’Angola, de la « saudade » sépia de Dave qui pleure ses morts, à l’explosion jouissive des coups de folies salutaires de son copain Clete. Une vraie histoire, de beaux personnages, un style, de la force, de l’humanité … un grand bouquin.

Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, qu’apprend-je en lisant la quatrième de couverture ? Que Bertrand Tavernier tourne, ou a tourné Dans la brume électrique avec les morts confédérés, et en plus avec Tommy Lee Jones dans le rôle de Robicheaux ! Autant je n’ai jamais compris que Redford soit un jour choisi pour incarner Dortmunder, autant le choix de Tommy Lee Jones me semble d’une évidence aveuglante, aussi aveuglante que le choix de Lee Marvin pour jouer Parker. Et comme Tavernier avait eu le Coup de génie (et de torchon !) dans son adaptation de 1275 âmes, je suis très impatient de voir ce film.

James Lee Burke / Dernier tramway pour les Champs-Elysées (Last car to Elysian Fields, 2003), Rivages/Thriller (2008), traduit de l’américain par Freddy Michalski.

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30 septembre 2008 2 30 /09 /septembre /2008 23:22

Je vais faire une chose que je ne fais jamais d’habitude, reprendre, intégralement, le résumé de la quatrième de couverture. Parce que c’est ça que vous lirez si vous décidez de vous lancer dans Manhattan Grand-Angle de Shannon Burke et que, bien que tout à fait exact, ce résumé ne prépare absolument pas à ce que vous allez découvrir.

« New York, 1990. Frank Verbeckas travaille comme infirmier de nuit. Son quotidien est une éternelle plongée dans la misère humaine et le chaos urbain d’un Manhattan à bout de souffle où le chômage et le crack se sont taillés la part belle de la Grosse Pomme.

Mais Frank n’est pas qu’un simple infirmier, il est aussi photographe à ses heures. L’œil dans le viseur, il traque l’humanité abîmée qui se dévoile devant lui. Les laissés-pour-compte de tout poil, blessés ou morts, sont ses sujets de prédilection.

Un soir, au détour d’une intervention mouvementée, Frank va croiser la route d’Emily, une jeune escrimeuse séropositive. Malgré les mises en garde de ses proches et de ses collègues, Frank va tomber amoureux. S’opère alors un changement, comme si le prisme sombre de ses clichés peu à peu s’estompait... »

A la lecture de ces quelques lignes, le lecteur potentiel qui ne se sent pas en pleine forme risque de passer son chemin, craignant de plonger dans la déprime la plus noire. Ce faisant, il passe malheureusement à côté d’un chef-d’œuvre qui, paradoxalement, laisse une impression lumineuse.

Shannon Burke sait parfaitement de quoi il parle. Il a travaillé dans les équipes médicales de nuit à Manhattan pendant 5 ans, comme son personnage. Pour en savoir plus sur l’auteur, le plus simple est d’aller sur son site (c’est bien entendu en anglais).

Alors certes, c’est du noir profond. Pas du rose. Cependant, cette balade morbide dans Manhattan, qui fait penser, si on s’en tient au thème, au grand Necropolis de Lieberman, a une toute autre coloration. Passé le premier choc (qui est rude), le lecteur s’attache peu à peu au personnage principal, qui pourtant ne fait rien pour. Cela se fait de façon imperceptible, sans que l’on puisse dire à partir de quand on commence à l’aimer. Mais on finit par le comprendre, par se rendre compte qu’il ne fait pas ses photos pour satisfaire une curiosité et un voyeurisme malsains, mais pour garder à distance ses propres démons.

Puis, il tombe amoureux. Là aussi, ce n’est pas évident immédiatement, cela vient par petites touches, tout en subtilité. Son détachement et son indifférence apparente au monde qui l’entoure se craquellent. Dans le même temps, l’émotion gagne le lecteur, pour culminer à la fin du roman qui, malgré son côté tragique, offre à tous (personnages et lecteurs) une très belle lueur d’espoir. Une lueur d’espoir et même un regain de confiance dans la nature humaine. Et tout cela en évitant complètement tout pathos, tout effet de manche larmoyant ou apitoyé.

Sans réelle intrigue, cet exercice de haute voltige en forme de balade noire laisse des traces, pas aussi traumatisantes que l’on pourrait le craindre, et révèle un auteur qui a un véritable style dès son premier roman. En mai 2008 Shanon Burke a publié aux US un nouveau roman Black Flies. Si l’on en croit les critiques américains, il serait de la même trempe que le premier. Bientôt chez nous ?

Shannon Burke / Manhattan grand-angle (Safelight, 2004), série noire (2007), traduit de l’américain par Francis Lefebvre.

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11 septembre 2008 4 11 /09 /septembre /2008 21:02

L’info est tombée hier soir et a rapidement circulée parmi les amateurs de polars. Elle est aussi présente de l’autre côté de l’Atlantique, entre autres sur le blog de Sarah Weinman. Gregory McDonald est mort dimanche dernier à l’âge de 71 ans.

Aux US, il est surtout connu pour la série consacrée à Fletch, un journaliste enquêteur.

En France c’est son roman The Brave, publié soit sous ce titre, soit sous celui de Raphaël derniers jours qui est devenu un roman culte parmi les amateurs de noir très très noir … c’est certainement le roman qui m’a le plus secoué, le seul qui m’ait réellement fait passer une mauvaise nuit.

Raphaël est américain, jeune, pauvre et alcoolique. Raphaël vit dans un bidonville. Raphaël n’a aucun avenir. Mais ce vendredi Raphaël est heureux, parce qu’il a trouvé un boulot. Un boulot temporaire, un boulot difficile, mais un boulot pour lequel on lui donne une avance qui lui permet de rapporter un peu d’argent chez lui, de payer une robe à sa femme, de la viande à ses enfants, et quelques bières à ses potes. Et lundi, Raphaël ira bosser.

Ce boulot ? Raphaël va se faire torturer, massacrer, puis achever sous l’objectif d’une caméra. Le film sera vendu très cher. Et après sa mort, on lui a promis que sa femme touchera la totalité de son salaire. Et Raphaël qui ne sait pas lire, et fait confiance à ceux qui savent, n’a aucune raison de ne pas le croire …

Rien que de repenser à ce bouquin, d’écrire ce billet, j’ai de nouveau la gorge serrée et la chair de poule. Pas de doute, c’est un roman éprouvant, très éprouvant. Non pas seulement à cause de son chapitre trois, dans lequel l’employeur décrit à l’employé ce qu’on va lui faire, dans le détail. Non, cela c’est dur, mais on a vu l’équivalent, ou pire, dans nombre de polars dont certains sont oubliés à peine refermés. Non ce qui est dur, c’est la suite, le récit des trois jours de bonheur et même de paix qui vont suivre.

Parce que le lecteur sait ce qu’ils coûtent, et parce qu’il est inconcevable, atroce d’accepter que ce jeune homme, que l’on voit si heureux de faire plaisir aux siens, le fasse à ce prix. Parce qu’il est inacceptable qu’il puisse avoir de gens arrivés à une telle extrémité que leur vie, à leur propres yeux, ne vaut pas plus que quelques centaines de dollars, et la possibilité de trois jours de bonheur.

Je sais, c’est une fiction. Mais elle sonne salement vrai. Et, même si la formule est éculée, et souvent putassière, elle trouve ici tout son sens : On ne sort pas indemne de la lecture de ce roman. J’ai eu, tout au long des pages, l’envie, le besoin, réellement physique de rentrer dans les pages, et d’aller secouer Raphaël pour qu’il n’y aille pas, à son boulot. Jamais je n’ai ressenti avec autant d’intensité l’impuissance du lecteur. Elle est parfois jouissive, agréable, excitante. Là, elle est douloureuse.

Voilà, je ne suis pas certain de vous avoir donné envie de lire The Brave, mais la nouvelle m’a frappé ce matin, il fallait que j’en parle …

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8 septembre 2008 1 08 /09 /septembre /2008 22:43

Daedwood, Far West, fin du XIX°. Train, Los Angeles, années 50. Et là Paperboy, Floride, 1965. Les trois romans de Pete Dexter que j’ai lu. Trois lieux, trois époques, trois réussites éclatantes.

1965, Comté de Moat, au nord de la Floride. Une cambrouse moite et glauque bien éloignée de l’image glamour de Miami et de ses plages. Le shérif Thurmond Call n’est pas un exemple de justice et de tolérance. Mais ses électeurs lui pardonnent ses bavures, après tout, ses 16 premières victimes étaient noires. C’est la 17° fait tâche. C’est un blanc, et même s’il appartient à la famille Van Wetter, crapules consanguines qui vivent, craints et isolés de tous, dans les marais, cela ne se fait pas.

Quand le bon shérif se fait ouvrir le ventre de part en part, la police a vite fait d’arrêter Hillary Van Wetter, un des membres les plus violents de la tribu. Il est tout aussi rapidement condamné et parqué dans le couloir de la mort en attente de son exécution. C’est compter sans Charlotte Bless, la quarantaine sexy, qui tombe amoureuse d’Hillary en voyant ses photos, et fait des pieds et des mains pour convaincre deux journalistes du Miami Times d’enquêter.

Quel bouquin ! On transpire avec les personnages, on sent l’odeur de pourriture des eaux stagnantes, on ressent la glace fondue poisser les doigts … La Floride telle que vous voyez rarement, loin des plages ensoleillées de Miami, les deux pieds dans la vase, à se battre contre les moustiques.

Et quels personnages ! Le duo de journalistes, l’un laborieux mais implacable, l’autre arriviste, m’as-tu-vu mais brillant ; Charlotte, l’égérie des tueurs, complètement allumée ; et surtout la terrible famille Van Wetter, sortie tout droit de Delivrance, d’un roman de Caldwell ou d’un recueil de nouvelles d’Offut. Personnages effarants, hors du temps et de la société, comme on n’imagine pas qu’il puisse en exister dans un pays « civilisé », et pourtant, que le roman noir américain nous dépeint, de temps à autre.

Puis il y a l’histoire étouffante comme l’atmosphère de la petite ville renfermée, raciste, intolérante. Mais n’allez pas croire que le brillant journaliste, qui va dénoncer cette atmosphère vaille mieux que ses victimes : superficiel, arrogant, égoïste, il n’est jamais qu’une autre facette de la médiocrité humaine, la facette brillante et citadine.

Et ce n’est pas tout. C’est également la peinture sans concession du milieu de la presse en même temps qu’un hommage vibrant à ceux, parmi les journalistes, qui croient en leur métier. A ce titre le personnage de Ward, mal dans sa peau mais implacable et inébranlable dans sa recherche de la vérité, force le respect, voire l’admiration et vous hantera longtemps.

Tout cela décrit de façon sèche, impeccable, sans un mot de trop, sans un jugement de valeur. Du grand art. Il faut absolument que je trouve le temps de lire les autres romans de Pete Dexter !

Pete Dexter, Paperboy, (The paperboy, 1995) Points/Roman noir (2007). Traduction de l’américain Brice Matthieussent

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6 septembre 2008 6 06 /09 /septembre /2008 14:55

De Thomas H. Cook, je n’avais lu que Les rues de feu, magnifique évocation, au travers du polar, d’un moment historique primordial de l’histoire américaine : la lutte des noirs pour leurs droits, et la résistance acharnée des blancs. Son nouveau roman traduit, Les feuilles mortes, est d’un tout autre genre.

Eric, Meredith et leur fils Keith, quinze ans, mènent une vie sans histoires dans une petite ville américaine sans histoires. Jusqu’au soir où Keith va garder Amy, huit ans. Le lendemain matin, Amy a disparu. Rapidement Keith est interrogé. Et comme cet adolescent mal dans sa peau se défend mal, il devient suspect. Eric se met à douter, de son fils, de son couple, mais également de lui-même et de son histoire familiale. La rumeur et la pression de toute une ville vont rapidement avoir raison d’une famille en apparence unie …

Un point de départ ultra classique : la disparition d’une enfant. La suite l’est moins. Thomas H. Cook ne se place pas du point de vue de l’enquêteur (parent, proche, flic, privé …) chargé de retrouver la petite (morte ou vive), et le coupable. Il ne se place même pas du point de vue de la personne accusée, qu’elle soit coupable ou innocente. Non, son narrateur est le père de l’accusé, et le roman est la description du processus de destruction de la cellule familiale et de la plongée en enfer de ses membres.

Dès l’entrée en matière, il ne laisse aucun espoir, la famille a explosé. L’intérêt est, peu à peu, de voir comment, pourquoi, et jusqu’à quel point. Le suspense est double, car l’auteur nous fait complètement partager le point de vue du narrateur : Son fils est-il ou non coupable ? Quand et comment la destruction annoncée de la famille va-t-elle se produire ?

Le récit est mené de main de maître. Le lecteur fait corps avec le narrateur, partage ses doutes,  ses révoltes, et surtout son angoisse, montante, débordante, affolante. C’est toute la force de ce roman poignant, qui, avec des personnages ordinaires, et un fin annoncée, arrive encore à passionner et même à surprendre. Et bien entendu à interroger. Car le lecteur ne peut s’empêcher de se demander comment il réagirait à la place de ce personnage qui nous ressemble tant : un père ordinaire qui se lève tout les jours pour faire un boulot ordinaire, qui est en conflit assez classique avec un fils de 15 ans qui, bien entendu, n’est pas comme il le voudrait.

Un nouveau roman qui prouve, magistralement, que l’auteur est aussi à l’aise et aussi passionnant quand il radiographie la famille que quand il explore l’histoire. La marque d’un grand.

Thomas H. Cook, Les feuilles mortes, (Red leaves, 2005) Série Noire (2008). Traduction de l’américain L

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3 septembre 2008 3 03 /09 /septembre /2008 22:07
Désolé ! C'est le papier sur la petite Dawn qui mettait la zouille dans les couleurs du blog (une obscure raison de balises Word). Impossible de les virer ! j'ai dû supprimer l'article. Je tente une ruse pour le remettre, à partir d'un autre format. par contre désolé, les commentaires ont été perdus.

Dawn 9 ans ne s’entend pas très bien avec sa mère, encore moins bien avec ses copains de passage. Jeff Mican, le père de Dawn est peintre. Il met en images ses pires cauchemars. Ses dessins mettent souvent en scène Dawn, dans les situations les plus épouvantables. Joey Spitfire est rédacteur en chef d’un fanzine particulièrement outrancier, divorcé d’une star du porno il est en ce moment en taule. Dalton, fils du futur mari de la mère de Dawn, adolescent mal dans sa peau et sa sexualité, aime beaucoup sa lumineuse demi-sœur, mais voue une haine sans limite à sa famille, et à ses condisciples … La vie de tous ces personnages, et de quelques autres, était déjà un chaos le 10 septembre 2001. Le lendemain, bien qu’ils vivent tous autour de Cincinnati,  elle va finir de voler en éclat.

Prière pour Dawn est le premier roman d’un artiste américain, Nathan Singer. Il ne peut pas vous laisser indifférent. Il peut vous emballer, vous choquer, vous agacer … Plus vraisemblablement, il fera tout cela à la fois. Parce que c’est un roman sacrément gonflé, plein de bruit, de fureur, de rage, de sanglots et d’éclats de rire désespérés. Un peu trop plein parfois. L’auteur, consciemment ou non, c’est laissé déborder par ses émotions, ses cris, et n’a pas réussi à les contenir, les mettre en forme, les faire rentrer dans son roman.

Alors ça déborde, dans tous les sens du terme. Il y a des pages, ou des paragraphes entiers que l’on saute (ou du moins que j’ai sauté), parce qu’ils ne veulent rien dire (littéralement parlant). Personnellement, je ne vois pas ce qu’ils apportent au texte. Il y a aussi des effets de style trop insistants, certainement bien trouvés, mais qui finissent par agacer dans leur répétition. Dans l’ensemble, à l’image de certains de ses personnages, l’auteur en fait parfois trop : trop incantatoire, trop volontairement obscur, trop compliqué …

Mais. Mais il y a des scènes inoubliables, des scènes de rage et des scènes en état de grâce. Mais il y a des personnages inoubliables, à commencer par Dawn. Mais il y a cet humour, ce rire qui vient juste là pour tenir les larmes à distance. Mais il y a cette énergie, palpable, débordante, hors norme.

Et puis c’est un premier roman. Un premier roman qui secoue, dans lequel on sent un tel potentiel, qu’on se demande, forcément, si ce potentiel va se réaliser, se canaliser un peu, pour le meilleur. S’il va réussir à arrondir certains angles, à garder sa puissance d’évocation et d’émotion en perdant ses défauts de chien fou.
Alors j’ai terminé Prière pour Dawn un peu déçu, parce que j’ai l’impression que l’auteur est passé très près d’un roman immense, mais également très content de l’avoir découvert, et impatient de voir la suite.

Nathan Singer / Prière pour Dawn  (A prayer for Dawn, 2004), Moisson rouge (2008). Traduction de l’américain par Laure Manceau.
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3 septembre 2008 3 03 /09 /septembre /2008 21:36

Le lieutenant Janek, de la police de New York, est en vacances à Venise quand il reçoit un coup de fil : Sa filleule Jess, dont il est très proche, a été assassinée dans un parc, apparemment victime d’un crime gratuit. Jess était jeune, belle, sportive … mais elle avait aussi une part d’ombre que Janek ne connaissait pas. Malgré l’interdiction de sa hiérarchie, qui ne veut pas qu’il participe à l’enquête, Janek commence son investigation, force la main de sa chef, pour s’apercevoir qu’on lui a caché que Jess a été victime d’un tueur en série. En conflit immédiat avec l’équipe du FBI en charge de l’enquête, il réussit à la rependre à son compte, prêt pour la descente dans l’enfer d’un esprit malade …

Je ne suis pas, a priori, fanatique des histoires de serial killers, avec profilers, meurtres affreux et tout le tremblement … Mais. Mais William Bayer n’est pas le premier besogneux venu, qui trousse son thriller avec tous les ingrédients qui le feront vendre. C’est un des grands maîtres du polar  « psychanalytique », si la catégorie existe. Comme dans Le labyrinthe des miroirs ou Le rêve des chevaux brisés, il campe magnifiquement ses personnages, et sait très bien mêler l’enquête proprement dite et la plongée dans l’âme des personnages qui finira par expliquer leur comportement.

Excellent artisan, il mène son lecteur par le bout du nez, lui laisse un tout petit peu d’avance sur l’enquêteur, pour le rattraper ensuite, et construit son intrigue de façon magistrale, subtile et inédite. Une fois de plus dans ses romans, l’important est d’avantage de comprendre les raisons des crimes, que de savoir qui les a commis. Le « pourquoi ? » plutôt que le « qui ? ». Et il rend la question passionnante.

Du coup, même si le résumé peut laisser penser qu’on a là un polar de consommation courante et même s’il ne se passe pas grand-chose pendant de nombreuses pages, le lecteur se fait prendre, harponner par l’écriture, l’humanité des personnages, et le suspense, construit finement, sans effets sensationnels. Laissez-vous tenter par une nouvelle plongée dans une âme tourmentée …

William Bayer / Wallflower  (Wallflower, 1991), Rivages Thriller (2008). Traduction de l’américain par Gérard de Chergé.

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26 août 2008 2 26 /08 /août /2008 21:22

1953, le jeune Pierce Duncan quitte la maison de ses parents et part découvrir l’Amérique en sautant à bord d’un train de marchandises. Il compte vivre, voyager, expérimenter, et accumuler du matériel pour devenir écrivain, comme Hemingway son modèle. Son voyage l’amènera de traumatismes en bonheurs, de chocs en rencontres magiques. Il sera prisonnier, ami d’un boxeur, ouvrier du bâtiment, et finalement privé à San Francisco …

La quatrième de couverture situe un peu l’auteur et son roman. Joe Gores est peu connu en France. Scénariste, romancier, il a en particulier écrit Hammet, le roman adapté au cinéma par Win Wenders. Privé est présenté comme un roman fortement autobiographique, et comme son chef-d’œuvre.

Il est facile d’imaginer que ce roman est fortement inspiré de sa jeunesse. Le qualificatif de chef-d’oeuvre est par contre largement exagéré.

La partie la plus réussie est justement la partie autobiographique. A la John Fante pour le fond, mais sans le génie de l’écriture dans la forme. Le témoignage sur une époque et ses mœurs, l’aventure de ce jeune homme, totalement libre d’attache, qui part sur les routes, ouvert à toutes les possibilités, la galerie des personnages croisés … c’est tout cela qui fait la richesse et l’intérêt du roman.

L’histoire rapportée pour essayer de faire de cette errance, de ce roman d’apprentissage, un polar qui finit par boucler est beaucoup moins réussie et apparaît nettement comme une pièce rapportée artificiellement. Certainement coïncidences sont un peu grosses, et on sent que certains événements ont été forcés, pas toujours avec bonheur, pour permettre de boucler l’histoire et relier les différents épisodes entre eux. Quand au style, il est assez plat, et, sans être criticable, ne justifie en aucun cas le qualificatif de chef d’oeuvre.

Au final, un roman à moitié réussit, qui aurait gagné à s’assumer plus ouvertement comme une autobiographie, un témoignage, sans chercher absolument à en faire un polar.

Joe Gores / Privé  (Cases, 1999), Rivages Noir (2007). Traduction de l’américain par Guy Abadia.

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Présentation

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  • : Il sera essentiellement question de polars, mais pas seulement. Cinéma, BD, musique et coups de gueule pourront s'inviter. Jean-Marc Laherrère
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