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12 novembre 2011 6 12 /11 /novembre /2011 14:38

Une curiosité chez Métailié, un roman péruvien, publié en 1961 et, à ma connaissance, inconnu ici. Il s’agit de El sexto, de José María Arguedas.

 

ArguedasFin des années trente. Gabriel, étudiant à Lima est arrêté et jeté dans la prison d'El Sexto. En enfer. Un enfer très hiérarchisé. Au rez-de-chaussée, les clochards et les assassins, sur lesquels règnent deux caïds qui font la pluie et le beau temps et gèrent tous les trafics. Au premier les droits commun. Au second, les politiques.

 

Chez les politiques la guerre est ouverte entre les communistes et les apristes, de centre gauche, opposés au gouvernement militaire, et qui considèrent les communistes comme inféodés à Moscou. Dans un lieu où la torture, les privations des droits les plus élémentaires et les conditions de vie les plus atroces font de l'homme une bête seulement préoccupée par sa survie, Gabriel va tenter de sauvegarder son humanité.

 

L'auteur, apprend-on dans la préface, s'est inspiré de sa propre expérience dans cette même prison. Et il mit 20 ans à pouvoir écrire ce texte, très fraichement accueilli par la critique à sa sortie en 1961.

 

Chronique d'un enfer, chronique d'une lutte pour la dignité élémentaire. Chronique également d'affrontements politiques qui paraissent d'un autre âge tant les arguments développés entre apristes et communistes semblent aujourd'hui dépassés, non dans leur signification profonde, mais dans leur formulation.

 

L’auteur n’hésite pas à montrer les incohérences des uns et des autres, particulièrement dans leur mépris pour les prisonniers de droit communs, et la facilité avec laquelle, sous prétexte qu’ils ne sont pas politisés, les politiques, apristes et dans une moindre mesure communistes, refusent de se mêler des malheur d’un peuple au nom duquel ils disent se battre.

 

L'écriture sait se mettre au diapason de ces discours très dogmatiques. Mais elle sait aussi être lyrique, inspirée de la culture populaire indigène, ou crue dans les descriptions atroces des sévices subis et de l'horreur vécue au jour le jour.

 

Un roman fort, dérangeant, baroque et troublant. Encore un très belle découverte de Métailié.

 

José María Arguedas / El sexto (El sexto, 1961), Métailié (2011), traduit l’espagnol (Pérou) par Eve-Marie Fell.

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25 octobre 2011 2 25 /10 /octobre /2011 22:19

Qui pourrait écrire un polar dont un des personnages principaux est … le roi d’Espagne ? Encore mieux, qui serait capable d’en faire un personnage émouvant, drôle, attachant sans tomber dans le pastiche, le foutoir à la Casino Royale ou le machin agiographique illisible ? Personne ? Si ! Carlos Salem, l’homme capable de ressusciter Carlos Gardel revient, et revient fort avec Je reste roi d’Espagne.

 

SalemJosé Maria Arregui est détective privé à Madrid. Avant il était flic, et même bon flic, mais depuis que sa fiancée est morte, assassinée sans qu'il ne puisse rien y faire, il a quitté la police et a monté une agence avec un ami. Il s'apprête, une fois de plus, à ruminer sa déprime pendant les fêtes de Noël quand il est contacté le ministre de l'intérieur : le roi a disparu depuis plusieurs jours, sans donner de nouvelles, et seul Arregui qui lui a sauvé la vie cinq ans plus tôt peut le retrouver. Commence alors une errance poétique entre Portugal et Castille. Poétique mais aussi animée car si Arregui veut retrouver le roi pour le ramener chez lui, certains semblent vouloir lui faire la peau.

 

Quel beau personnage que ce roi. Plus cool qu’un personnage d’Elmore Leonard, pas maniéré pour un sou ! D’ailleurs, voilà comment se passe la rencontre :

 

 

« - Bonsoir, Arregui,

Et je réponds :

- Bonsoir, roi. »

 

Et nous voilà dans un Carlos Salem pur jus, dans la lignée délirante, poétique, humaine, nostalgique et drôle de Aller Simple.

 

Cette fois, durant toute la première partie, Arregui et le roi se promènent dans une Espagne rurale où le temps semble s'être arrêté, où on paie toujours en pesetas, où on homme parti trente ans auparavant ne surprend personne en revenant d'un coup. On y croise des personnages qui pourraient s'être échappés du désert marocain du précédent roman : un compositeur qui cherche au volant d'une Rolls une symphonie égarée ; un prophète capable de voir le passé ; une brebis monarchiste …

 

On y voyage surtout en compagnie d'un roi d'Espagne terriblement simple, humain et attachant. Terriblement patient aussi, car Arregui n’est pas toujours facile à vivre. C’est beau, nostalgique, poétique, parfois effrayant et très souvent drôle. C’est émouvant comme un tango, ça serre la gorge comme un fado, c’est plein de saudade …

 

Puis on se retrouve à Madrid en compagnie … Soldati et Rincon, les deux personnages d'Aller simple. Et tout s’accélère, en musique et en castagne, dans un feu d’artifice mexicano-argentin, où les rancheras tiennent la dragée haute aux tangos. Comme Arregui semble en difficulté, un certain Paco Taibo II vient prêter main forte, les méchants morflent, le héros sauve l’Espagne et l’amour triomphe ! Viva !!

 

Ajoutons que, mine de rien, cela dit beaucoup de choses plus profondes qu’il n’y parait sur la responsabilité, la peur de vieillir, l’amour, l’amitié, le doute, la trahison, le pouvoir … Après ça, si vous ne vous précipitez pas pour l’acheter et le lire, je ne sais plus quoi faire …     


Carlos Salem / Je reste roi d’Espagne (Pero sigo seindo el rey, 2009), Actes Sud (2011), traduit de l’espagnol par Danielle Schramm. 

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28 juillet 2011 4 28 /07 /juillet /2011 22:35

Il y a déjà un bon moment je vous parlais du Prix Violeta Negra qui sera remis lors du prochain festival Toulouse Polars du Sud. Parmi les six sélectionnés par Claude Mesplède et ma pomme, il en restait un que je n’avais pas lu : Personne n’aime les flics de Guillermo Orsi. C’est maintenant chose faite.

 

OrsiDécembre 2001, l'Argentine est en pleine crise, à la veille du départ précipité du président De La Rua qui n'en était pourtant qu'à la moitié de son mandat. Pablo Martelli, alias Gotan, est un ancien flic de la Police Fédérale, qui a démissionné dans des circonstances peu claires. Depuis il vend des articles de sanitaires.

 

Jusqu'à ce soir où, à minuit passé, un vieil ami lui demande de le rejoindre dans une petite ville balnéaire au sud de la province de Buenos Aires. Quand Gotan arrive, il est trop tard, l'ami est mort, ne reste plus que sa jeune, blonde et belle maîtresse, visiblement effrayée. Gotan a beau savoir que c'est une connerie, qu'il ne devrait jamais répondre au téléphone après minuit, et encore moins faire confiance aux belles et jeunes blondes, il part avec elle, même s'il sait pertinemment qu'il va au devant de très gros ennuis.

 

Il n'imagine pas à quel point … Et son passé va lui revenir en pleine poire dans un pays en plein chaos.

 

Un roman noir aux accents hard-boiled à la sauce argentine. Je ne saurais mieux résumer ce bouquin. On a la critique sociale propre au roman noir, la voix hard-boiled du narrateur qui a essayé, en vain, de tourner le dos à son passé, et qui use (mais n'abuse pas), du sens de la formule. Et la sauce argentine pour son côté surréaliste, bordélique où tout, absolument tout, est possible, où les références littéraires pleuvent, et où le passé plus ou moins récent (péronisme et dictature) pèse de tout son poids sur le présent.

 

Arrivé là deux possibilité : Soit vous vous perdez un poil dans les motivations et engagements politiques des uns et des autres et donc aussi un peu dans l’intrigue et ça vous embête. Ce qui peut se comprendre tant il est difficile, même pour un argentin qui se tient au courant, de s'y retrouver dans l'actualité politique de son pays et dans les coins et recoins du péronisme !

 

Soit vous vous perdez un poil dans les motivations et engagements politiques des uns et des autres et donc aussi un peu dans l’intrigue … Mais vous vous en fichez parce que vous êtes emporté par l'énergie de l'ensemble, la vitalité de la langue, et vous êtes effaré et enragé avec l’auteur par l'état d'un pays livré au chaos sciemment, par des manipulateurs qui s'enrichissent toujours plus quand la population sombre.

 

Vous devinerez que je fais partie de la seconde catégorie de lecteurs …

 

Guillermo Orsi / Personne n’aime les flics (Nadie ama a un policia, 2007), Denoël (2010), traduit de l’espagnol (Argentine) par Isabelle Gugnon.

 

PS. Et maintenant, petit concours de diagnostics en forme de sondage à qui donneriez-vous le prix Violeta Negra ? Je rappelle les candidats :

 

Personne n’aime les flics de Guillermo Orsi

Nager sans se mouiller de Carlos Salem

Patagonia Tchou Tchou de Raul Argemi

L’empereur des ténèbres de Ignacio del Valle

J’ai confiance en toi de Massimo Carlotto et Francisco Abate

L’empoisonneuse d’Istanbul de Petros Markaris

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2 avril 2011 6 02 /04 /avril /2011 17:11

J’ai un problème avec les nouveaux auteurs en ce moment. Greg Olear,  Vilmos Kondor, François Arango … ne m’avaient pas convaincu. Idem pour ces Balles d’argent du mexicain Elmer Mendoza.

 

MendozaEdgar Mendieta est un flic honnête. Ce n'est pas forcément un exploit … Sauf peut-être au Mexique. Alors, pour cela, mais aussi pour beaucoup d'autres raisons plus personnelles, Mendieta est un flic dépressif. Ce qui ne l'empêche pas de prendre à cœur son enquête : l'avocat Canizales a été abattu chez lui. Chose étonnante, tout le monde semblait aimer Canizales, l'adorer même. Il laisse une cohorte de femmes (très belles) et d'hommes (très beaux) éplorés. Tellement que la liste des suspects est sans fin.

 

Ce qui n'aide pas, c'est que parmi eux il y a des proches de grands parrains narcos. De ceux qui tiennent littéralement le pays dans leurs pognes. De ceux que Mendieta abhorre par-dessus tout.

 

Bien entendu j'aurais vraiment voulu m'enthousiasmer pour ce polar. Vous pensez, un nouvel auteur mexicain, un latino, de la famille de Taibo II … Mais je ne peux pas vraiment.

 

Parce que malgré ses qualités, il a aussi de gros défauts (et je rejoins totalement l’avis de Jeanjean). Essentiellement un gros défaut de narration. L'auteur semble peiner à se sortir d'affaire. Et le lecteur peine avec lui. Il est même assez souvent complètement perdu …

 

Alors c'est peut-être voulu, pour refléter le chaos d'une société mexicaine qui a perdu la tête. Mais j'avoue que c'est trop pour moi. Malgré l'humour. Malgré la belle et convaincante description de la main mise des parrains de la drogue sur le pays. Malgré quelques beaux personnages.

 

Dommage, je suis resté perplexe.

 

Elmer Mendoza / Balles d’argent (Balas de plata, 2008), Série Noire (2011), traduit de l’espagnol (Mexique) par Isabelle Gugnon.

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31 mars 2011 4 31 /03 /mars /2011 21:15

Je continue dans le court, un peu plus court même, avec une curiosité, un nouvel auteur argentin publié chez Asphalte. Le roman s’appelle Golgotha, l’auteur Leonardo Oyola et c’est préfacé par Carlos Salem.

 

OyolaBuenos Aires Capitale Fédérale. A l'intérieur de la Général Paz (sorte de semi-périphérique), la ville à prétention européenne. A l'extérieur les villas, bidonvilles qui vivent en marge de la loi de la cité, régies par leurs règles et dans lesquelles les flics sont à peine tolérés. Villa Scasso est une de ces villas. Calavera a réussi à en sortir, il est devenu flic. Lagarto, qui pourrait être son père, l'a pris sous son aile. Mais peut-on vraiment quitter la villa ? Quand deux femmes qu'il aimaient meurent par la faute du caïd de Scasso, Calavera ne peut faire autrement que de les venger, au risque de perdre tout ce qu'il a gagné, et d'entraîner flics et habitants de la villa dans une guerre sans fin.

 

Pour une fois (il fallait bien que ça arrive), je ne suis pas d’accord avec Jeanjean qui visiblement n’a pas du tout accroché. Contrairement à ce qui lui est arrivé, je n’ai pas trouvé l’intrigue approximative, et si la préface de Carlos Salem restitue bien le contexte, j’ai trouvé que le roman se suffit parfaitement à lui-même. Pour moi, Leonardo Oyola est un digne héritier d’Enrique Medina.

 

Avec eux, oubliez le Buenos Aires du tango, des maisons colorées du quartier de la Boca et des antiquaires de San Telmo …

 

Bienvenue dans l'équivalent argentin de l'Enfer brésilien de Patricia Melo. Dans un monde de misère, régi par un code de l'honneur archaïque (mais aussi par les lois du marché), où on se tue pour supporter une équipe de foot de seconde zone, ou pour venger un dealer. Dans un monde où règne la loi du plus fort. Dans un monde que les habitants des beaux quartiers ne veulent absolument pas connaître. Dans un monde où on se recommande à son Saint avant d'aller tuer. Dans un monde où la religion est omniprésente, même si l’on ne respecte guère le commandement « Tu ne tueras point ».

 

C'est tout cela, dans sa sauvagerie, dans son incohérence, dans son désordre, mais aussi dans son énergie brute dont rend compte Golgotha. Ce n'est pas aimable, ce n'est pas agréable, mais il est sans doute difficile, voire impossible d'en parler autrement.

 

Leonardo Oyola / Golgotha (Gólgota, 2008), Asphalte (2011), traduit de l’espagnol (Argentine) par Olivier Hamilton.

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27 mars 2011 7 27 /03 /mars /2011 22:49

Le polar qui un temps (lointain aujourd’hui) semblait réservé aux pays anglo-saxons et à la France est maintenant partout. J’avais évoqué il y a quelques temps un polar péruvien, voici chez Métailié Il pleut sur Managua de Sergio Ramírez, un polar nicaraguayen comme son titre l’indique.

 

RamirezL'inspecteur Morales est un ex guérillero sandiniste devenu flic anti drogue de Managua. Avec l'aide de son vieux compagnon d'armes Lord Dixon, et d'une femme de ménage qu'il a également connue dans le maquis il va traquer ceux qui ont abandonné un yacht à Laguna de Perlas. Un yacht sur lequel des traces de sang ont été trouvé. Un yacht qui ressemble beaucoup à ceux dans lesquels se pavanent les caïds des cartels de la drogue mexicains et colombiens quand ils viennent se reposer au Nicaragua. Avec la bénédiction de quelques huiles parmi les plus haut placées de la République. Mais Morales ne s'est pas battu contre le clan Somoza pour laisser des parrains de la drogue faire la loi dans son pays.

 

Je ne vais pas vous mentir et crier au génie, juste parce que c’est le premier polar nicaraguayen qui me tombe entre les mains. Non, pour sortir vraiment du lot il lui manque ce petit quelque chose, souvent indéfinissable, qui fait qu’on a envie de convaincre tous les gens qu’on connaît de lire un bouquin.

 

Mais même s'il ne fait pas crier au génie, voilà un polar très recommandable.

 

Parce que l'histoire se tient et que les personnages sont convaincants. Parce que l'écriture sait rendre le déluge d'une pluie d'été sur Managua, les torrents d'eau qui transforment les rue en rivières, la vitalité, les cris, les odeurs d'une rue envahie de marchands, la misère à la fois désespérée et exubérante d'un bidonville.

Et surtout parce que les polars nicaraguayens sont rares (si ce n'est pas le premier), et que l'auteur décrit très bien un pays contrasté, où le religiosité la plus extravagante et la plus envahissante côtoie le léninisme des anciens combattants qui ont renversé Somoza ; où les références à la Révolution sont permanentes, au côté des symboles les plus clinquants de la société de consommation impérialiste yanquie (style casinos à la Las Vegas et centres commerciaux) ; où il restent des serviteurs de l’état qui croient dans les valeurs qu’ils ont défendues les armes à la main, face à la religion du « tout pour le fric tout de suite » …

 

Bref, un roman fort intéressant pour un pays étonnant. Espérons que c'est le début d'une série ...

 

Sergio Ramírez / Il pleut sur Managua (El cielo llora por mí, 2008), Métailié (2011), traduit de l’espagnol (Nicaragua) par Roland Faye.

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20 mars 2011 7 20 /03 /mars /2011 21:16

J’aime beaucoup Heredia et son chat Simenon, les personnages du chilien Ramon Diaz Eterovic. Ils font partie de la grande famille des enquêteurs hispanos, au côté de Mario Conde, Mendez, Hector Belascoaran Shayne, et bien entendu leur papa à tous, Pepe Carvalho. Il reviennent dans L’obscure mémoire des armes.

 

Diaz

Les affaires ne vont pas fort pour Heredia, le privé mélancolique de Santiago du Chili. C'est pourquoi il n'est pas mécontent d'enquêter sur la mort de German Reyes, abattu à la sortie de son travail par deux malfrats. La police a très rapidement conclut à un vol ayant mal tourné, mais la sœur du défunt est certaine que son frère n'est pas mort par hasard.

 

Très vite deux pistes se présentent à Heredia : Il s'aperçoit qu'il se passent de drôles de choses autour du magasin où travaillait German. Mais surtout, il s'avère que celui-ci, qui avait subi la torture dans les centres policiers de Pinochet, faisait partie d'une association visant à retrouver les tortionnaires ayant échappé à la justice. Les fantômes de la dictatures sont toujours là, et ils sont toujours dangereux.

 

Un roman dans la lignée de la série. Déconseillé à ceux qui veulent de l'action à tout prix, de la castagne et des retournements de situation à toutes les pages. Parfait pour ceux qui ont envie de déambuler dans Santiago avec Heredia au rythme des vers de ses poètes préférés, de ses arrêts dans les bars et les restaurants, et de ses discussions avec ses quelques amis fidèles.

 

Ce qui n'empêche pas Diaz Eterovic de faire avancer son intrigue et, au fil des pages, de faire remonter du passé les horreurs de la dictature.

 

« Même si les cérémonies publiques et les déclarations convenues essayaient d’enterrer le passé, celui-ci continuait à se glisser par les fissures d’une société habituée aux apparences, aux décors trompeurs et aux compromis en coulisse. Le passé était une blessure qui n’avait jamais été complètement désinfectée et laissait échapper sa pestilence à la moindre inadvertance. »

 

Heredia fait partie de ces personnages latino-américains qui ne lâchent jamais, prennent des coups, se sentent de plus en plus en marge du monde, mais n'acceptent pas pour autant de renier leurs convictions, leurs valeurs, celles pour lesquelles tant de leurs camarades de jeunesse sont morts.

 

Et puis, il parle avec son chat et avec un « Scribouilleur » qui s’inspire de ses enquêtes pour ses romans policiers. Boit un verre plus souvent qu’à son tour. Lit les poètes, Simenon, Wilkie Collins, Carver, Soriano ou Dick, va voir La soif du mal et écoute des tangos et Ben Webster … Comment ne pas l’aimer ?

 

 

 

 

Ramon Diaz Eterovic / L’obscure mémoire des armes (La oscura memoria de las armas, 2008), Métailié (2011), traduit de l’espagnol (Chili) par Bertille Hausberg.

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19 octobre 2010 2 19 /10 /octobre /2010 09:46

Raúl Argemí n’était pas à Toulouse cette année. Mais il y était l’an dernier et m’avait dit que Patagonia Chu Chu était en cours de traduction. J’ai donc attendu près d’un an avant de l’avoir dans les mains. Ici, il est devenu Patagonia Tchou-Tchou. Et ça valait le coup d’attendre, c’est un de mes gros coups de cœur de la rentrée.

 

ArgemiAguada Requena, Patagonie. Deux hommes montent dans la Trochita, ce petit train à vapeur qui parcourt quatre cent kilomètres au milieu de nulle part, unique lien avec le reste du monde pour les gauchos qui vivent là. Ils s’appellent Butch Cassidy et Juan Battista Bairoletto et s’apprêtent à prendre le train en otage, pour délivrer Beto, le frère de Butch qui va monter un peu plus loin pour être transféré de prison. En réalité, il s’agit d’un marin et d’un conducteur de métro au chômage.  Et rien ne va se passer comme prévu. Tout sera plus compliqué, plus fou, plus grand.

 

Un roman furieusement argentin qui donne envie de partir immédiatement pour la Patagonie, même si la Trochita ne roule plus, et de se perdre dans son immensité pour rencontrer, en vrai, des personnages aussi fous, aussi généreux, aussi magiques. On sourit, on rit, on a la larme à l’œil, on s’indigne, on tremble, on s’enthousiasme avec l’équipe de bras cassés magnifiques que Raúl Argemí a inventés. Et on pleure à la fin de les laisser, on aurait bien continué ainsi, des jours durant.

 

Entre temps, on a admiré les paysages désolés mais grandioses de Patagonie, on a senti l’odeur de la viande grillée, on a vibré à un match de foot surréaliste, on a eu envie de massacrer une pourriture de sénateur en tournée de campagne électorale, on s’est ému d’amours naissantes … Bref, on a vécu intensément.

 

On a aussi réfléchi sur cette région à part, terre d’anarchistes et d’indiens, terre d’utopies et de répressions sanglantes, terre qui attire les fous, comme ce gascon qui se déclara Roi de Patagonie, terre pour se perdre, ou se retrouver, terre de violence et de solidarité. Un décor hors norme, pour des histoires hors du commun.

 

Merci à Raúl Argemí de nous régaler ici avec une de ces histoires, vaste et lumineuse comme le ciel de Patagonie, triste et tendre comme un tango, qu’on termine avec un nœud dans la gorge et le sourire aux lèvres.

 

Pour ceux qui veulent en savoir un peu plus sur la Trochita (en français), et sur Juan Battista Bairoletto (en espagnol). Je ne vous ferai pas l’injure de vous renvoyer à des liens sur Butch Cassidy …

 

Une fois de plus, nous sommes d’accord avec Jeanjean

 

Raúl Argemí / Patagonia Tchou-Tchou (Patagonia Chu Chu, 2005), Rivages/Noir (2010), traduit de l’espagnol (Argentine) par Jean-François Gérault.

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2 septembre 2010 4 02 /09 /septembre /2010 21:46

C’est Sébastien Rutés qui a communiqué la triste nouvelle sur la liste 813. L’écrivain mexicain Juan Hernandez Luna est mort cet été à l’âge de 47 ans, au moment où débutait la semana negra à Gijon.

Peu connu (pas assez) du public français, Juan Hernandez Luna était le « dauphin » de Paco Ignacio Taibo II.

 

Ses deux premiers romans traduits en France, Du tabac pour le puma et Le corbeau, la blonde et les méchants, publiés à l’Atalante étaient très taiboesques. Totalement échevelés, mélangeant allègrement les personnages, les points de vues et les péripéties, pleins de vie et de générosité, ils mettaient en scène le Mexique que nous avait fait découvrir Taibo.

 

Voilà ce que j’avais envoyé, sur feu mauvaisgenres, et que l’on retrouve sur bibliosurf à propos de Du tabac pour le puma.

 

Luna PumaPuebla au Mexique, ville fondée, dit-on, par les anges. Pourtant... Ezequiel Aguirre, magicien sur la touche, s’abreuve d’émotions fortes ; il cherche à oublier le départ de sa femme. Liliana, sa fille, risque gros à filmer un trafic d’immigrés clandestins originaires d’Amérique centrale. Un quidam qui revendique le sobriquet de « Main furtive » s’emploie à tripoter en douce d’honorables citoyennes de la ville. Le gouverneur de l’état exproprie des paysans afin de céder leurs terres à une multinationale. Un vieux pompier relate ses exploits d’agitateur dans les années trente …

 

Difficile de ne pas penser à Taibo II, en lisant le dernier roman de Luna, d’autant plus qu’il lui est dédié, et que Taibo et Ombre de l’Ombre sont cités dans le texte. Même construction, à partir de d’une multitude d’histoires, a priori sans aucun rapport les unes avec les autres, qui finissent par se rencontrer, même retour vers un passé mexicain fait de grèves et d’insurrections, même amour du journalisme, même référence au jeu de dominos, jusqu’au personnage principal, un magicien, spécialiste de l’évasion, qui renvoie à Houdini présent dans A quatre mains. La galerie de personnages est étonnante, du magicien au serveur de bar qui se ballade en habits de pompier, de l’espion haut en couleurs au tigre à qui il faut parler en langage codé ... Le lecteur, est pris dans ce tourbillon, jubile de voir les pièces du puzzle se mettre en place petit à petit.

 

Son dernier roman traduit, Iode (paru chez Latinoir) était aussi glaçant et dérangeant que ses premiers romans étaient chaleureux.

 

En plus de ses livres, et des souvenirs de ses amis, Juan Hernandez Luna sera toujours vivant dans La bicyclette de Leonard de Paco Taibo :

 

 « Juan Hernandez Luna arrivera chez moi avec deux kilos de jambon serrano et deux melons achetés à Puebla, sans garantie. Il aura à la main son nouveau livre "Du tabac pour le puma", tout neuf. [] Juan Hernandez Luna a beau écrire d’excellents romans d’aventures et être un excellent ami, il n’aura pas l’habitude des basketteuses américaines. Trop de centimètres de jambes qui se promènent dans la pièce pour lui. »

 

C’est une voix atypique qui se tait, trop tôt, beaucoup trop tôt.

 

Quelques messages pour les hispanophones sur le site Diez Negritos.

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28 avril 2010 3 28 /04 /avril /2010 21:19

Disons le tout net, Les 2001 nuits n’est pas le meilleur Rolo Diez. Voilà c’est dit. Mais c’est très bon quand même.

 

Diez 2001Kaluf a tout pour être heureux. Ce mexicain d’origine (lointaine) libanaise est un heureux mari, un heureux père et l’heureux propriétaire d’un boulangerie qui marche plutôt bien. Il est sur le point d’être élu Président de l’association La Media Luna qui rassemble une partie de la communauté libanaise de Mexico. Jusqu’au grain de sable … Le 11 septembre 2001, au matin, Kaluf se trouve dans un avion New York - Mexico …Un « arabe » dans un avion partant de New York le 11 septembre 2001, il n’en faut pas plus pour que la vie de Kaluf devienne un enfer totalement surréaliste.

 

Si on ne retrouve pas la noirceur qui prend aux tripes de Lune d’écarlate ou de Vladimir Illitch contre les uniformes, ni la tendresse ironique et nostalgique des romans mettant en scène des exilés argentins, on a quand même la patte et surtout l’humour grinçant de l’auteur. Un humour qui fait merveille pour dépeindre l’absurdité, l’arbitraire total des réactions post 11 septembre. Une absurdité et un arbitraire qui ne pouvait pas épargner le Mexique, « si loin de Dieu, si près des Etats-Unis ! ».

 

L’engrenage imbécile qui va broyer Kaluf est implacable. Le pauvre « héros » ne comprend rien, mais la lecteur lui peut en goûter toute la logique absurde, voir comment un point de départ totalement déraisonnable (au sens de dépourvu de raison) peut ensuite, de façon implacablement logique, déclencher la chaîne de catastrophes.

 

Point de départ double : Un : tout « arabe » venant de New York le 11 septembre est forcément suspect. Deux : il faut absolument plaire à Bush et : « les gringos ont procédé à plus de deux cent arrestations. Même au Guatemala on a capturé deux suspects. Il est inadmissible que le Mexique soit en reste. […] On en a attrapé un autre en Allemagne. Partout on arrête des Arabes terroristes sauf à Mexico. Que suis-je censé faire ? Vous féliciter pour votre efficacité ? »

 

Comme, pour arranger le tout, le flic ainsi harangué et sommé de redonner au Mexique sa fierté en arrêtant, enfin, son Arabe, est un superflic de supermarché, bas de front mais persuadé d’être un aigle que l’auteur croque d’une façon absolument impitoyable, la suite ne peut être que rocambolesque.

 

Bref, même si c’est un Rolo Diez assez atypique, c’est aussi une lecture absolument recommandable.

 

Rolo Diez / Les 2001 nuits  (Las dos mil y una noches, 2010), Rivages/Noir (2010), Traduit de l’espagnol (Argentine) par Alexandra Carrasco-Rahal.

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