Le Petit Poucet, Peau d’âne, Le chat botté, Blanche neige, l’Ogre, La belle au bois dormant, Hansel et Gretel … Vous connaissez tout ça, bien entendu. Du moins, vous croyez le connaître … Et comme vous êtes des gens cultivés, intelligents, au courant, vous savez bien ce qu’il y a derrière. La psychanalyse des contes de fées et tout le tintouin. Enfin, disons que vous croyez que vous savez.
Parce que Le souffle de l’ogre de Brigitte Aubert va faire voler en éclat vos certitudes et vos cauchemars pastels. Dans un grand éclaboussement de sang, de tripe, d’horreur … et de rire.
Le petit Poucet est Sept, septième d’une fratrie qui n’a été élevée que dans le but de vendre les enfants en pièces détachées. Sept a échappé à son père, grâce aux conseils de Un, sourd, muet, aveugle, contrefait, mais pas idiot. Sept et Un ont un but, le port, pour échapper à cette contrée ravagée par la guerre, livrée aux soudards sanguinaires et à la folie destructrice du Seigneur. Un Seigneur dont la fille, Blanche, se cache dans une cabane de nains, pour échapper à la vengeance de la Reine, aussi sanguinaire que son époux. Il croiseront aussi un Infante vêtue d’une Peau d’âne qui s’est échappée du lit de son père, un ogre serial killer pédophile, un jeune escroc félin, souple et meurtrier comme un chat, et quelques autres personnages que vous reconnaîtrez …
Un petit conseil, oubliez le Prince (charmant comme il se doit) réveillant la Belle après avoir combattu le dragon, oubliez les nains sifflotant … Ici on n’est pas chez Disney. Cherchez plutôt du côté de Jérôme Bosch. Bosch et son Enfer, sa cruauté. Ici la guerre est sale, très sale, la folie atroce, la misère transforme les hommes (et les enfants) en bêtes. Ici pas de gentils. Les gentils ne survivraient pas deux minutes. Ici pour survivre il faut être dur comme le roc.
Et pourtant. Et pourtant, une certaine fraternité va naître entre les fuyards, l’idée que l’on ne peut s’en sortir qu’ensemble, et que si l’homme est capable des pires atrocités, on ne perd pas non plus forcément chaque fois qu’on décide de lui faire confiance.
Et surtout, il y a la jubilation, immense, à découvrir, à la fois horrifié (sincèrement horrifié) et amusé, comment Brigitte Aubert va détourner le conte en « se contentant » d’expliciter ce que les contes ne font que suggérer. On sent qu’au-delà de l’horreur, réelle, du récit, l’auteur s’est beaucoup amusée à mettre en scène ce grand guignol, et elle a parfaitement su faire passer dans son texte à la fois l’amusement et l’horreur.
A lire, pour rire d’horreur. Ames trop sensibles s’abstenir …
Brigitte Aubert / Le souffle de l’ogre, Fayard/Noir (2010).