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23 mars 2014 7 23 /03 /mars /2014 19:01

Asphalte continue avec bonheur son exploration des nouvelles voix latino-américaines. Bienvenu au Chili de Boris Quercia avec Les rues de Santiago.

 

Quercia

Ce matin-là, Santiago Quiñones flic à Santiago du Chili n’a aucune envie de tuer quelqu’un. « Il fait froid, il est six heures vingt-trois du matin, on est tout juste mardi et je n’ai pas envie de tuer qui que ce soit. » Il va pourtant le faire, et c’est un gamin de quinze ans qui va mourir. Pour se remettre, pour oublier, Santiago commence une errance dans les rues de sa ville qui lui fera croiser la belle Ema. Ema qu’il va suivre, sans savoir qu’il met ainsi le pied dans une fourmilière.


Voilà une preuve de plus qu’il n’est pas indispensable d’assommer le lecteur avec des pavés survoltés de 600 pages pour raconter une histoire, faire vivre (et mourir) des personnages et faire partager l’amour pour une ville et ses habitants. En quelques 150 pages ce « petit » roman y arrive très bien.


Alors certes, Quercia ne s’attarde guère sur la procédure policière, ni même sur ce après quoi courent les personnages (appliquant la fameuse théorie du MacGuffin de tonton Alfred). Mais il utilise très bien ce prétexte pour nous entrainer dans les rues de sa ville, et nous faire rencontrer quelques uns de ses habitants. Pas des héros, pas non plus d’abominables salauds, juste des fragments d’humanité, que son flic classe entre gentils et méchants avec des critères assez lâches, très subjectifs mais qui se résument finalement à ceci : ils s’intéressent un peu, ou pas du tout à leurs semblables.


Et finalement, on aurait bien tendance à le suivre et à pardonner bien des entorses à la loi, bien des lâchetés, bien des pas de côté pour un geste, un sourire, un attention. Il résulte de cette démarche une tendresse pour les paumés et un attachement aux habitants de Santiago qui donne envie de partir tout de suite se perdre dans la ville avec Quiñones … ou Boris Quercia.


Boris Quercia / Les rues de Santiago (Santiago Quiñones, tira, 2010), Asphalte (2014), traduit de l’espagnol (Chili) par Baptiste Chardon.

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17 mars 2014 1 17 /03 /mars /2014 22:52

Un premier roman argentin, ça ne se rate pas. Du moins pas ici. C’est Le jardin de bronze de Gustavo Malajovich.

Malajovich

Fabian, Lila et la petite Moira quatre ans forment une famille sans histoires. Jusqu’au jour où Moira disparaît avec sa nounou, entre son domicile et la fête d’anniversaire où elles se rendaient. La police sur les dents n’avance pas, les failles qui commençaient à apparaître dans le couple s’élargissent, et c’est finalement Fabian qui cherchera, des années durant, sans jamais abandonner malgré une police corrompue, des médias charognards … Jusqu’au fin fond du pays.


Commençons par tordre le cou à ce qui me semble une fois de plus une exagération de la quatrième de couverture. Non le Buenos Aires décrit dans le roman n’est pas gothique, il ressemble beaucoup à la réalité. Du moins à une partie de la réalité. Que le final (très fort), dans la moiteur de la province d’Entre Rios soit qualifié de gothique, soit, mais pas le Buenos Aires. Bref, ce n’est pas le plus important.


 Le plus important est que l’on a là un excellent roman. Lent, qui prend son temps, qui installe son histoire et son atmosphère. Ce qui ne l’empêche pas d’être très efficace dans les scènes les plus violentes. Un roman qui sait présenter des personnages, leur donne chair, les rends proche, compréhensibles. Un roman qui sait alterner les points de vue.


Un roman qui sait aussi présenter deux mondes de la réalité Argentine : un capitale trépidante, moderne, Buenos aires, et une province (ici Entre Rios) qui semble vivre dans un autre temps, une autre géographie, un autre pays. Un pays moderne, avec tout ce que cela comporte de frénésie dans la capitale, et un autre, où un Kurtz (et là je suis d’accord avec la quatrième) a encore sa place.


Un roman étonnant, qui vaut le coup que l’on s’attarde à le découvrir.


Gustavo Malajovich / Le jardin de bronze (El jardin de bronze, 2011), Actes Sud (2014), traduit de l’argentin par Claude Fell.

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25 février 2014 2 25 /02 /février /2014 23:09

On vient à peine de découvrir Edyr Augusto avec Belém, et hop, tout de suite, un autre. Il s’appelle Moscow. Il est court mais très serré. Noir et sans sucre (comme écrivait Emmanuelle Urien).

 

Augusto

Moscow est une île au large de Belém. Autrefois lieu de villégiature de la classe aisée, voire très aisée de la grande ville, depuis qu’un pont relie l’île au continent tout le monde vient y passer les week-ends et les vacances. Tinho et ses potes, Dinho, Quico et Brown vivent là pendant toutes les vacances. Ils vivent la nuit, violent et volent les couples de jeunes trouvés seuls, braquent les maisons sans surveillance (quitte à tuer les habitants qui ont le malheur de s’y trouver) … Bref rien ne les arrête dans leur exigence de plaisir immédiat.


Attention texte dérangeant. On n’est pas ici dans le Brésil du Futbol et du Corazão. Ni de la bossa ou de la samba. On est dans un univers proche du terrifiant O matador de Patricia Melo, ou du non moins terrifiant Pixote.


Texte dérangeant parce qu’il nous place dans la tête de Tinho, jeune homme qui ne vit que pour et au travers de ses pulsions. Il veut une chose, il la prend. Aucune limite, aucun sens moral. Lui et ses copains ne sont que pulsions et désirs, à assouvir sans délai, et sans qu’aucune considération puisse faire obstacle à leurs envies. Aucune construction morale ne les freine, aucun référentiel de valeurs pour s’opposer au désir brut.


Texte dérangeant parce que tout cela est raconté à plat, complètement à plat, sans effet, au travers des pensées du protagoniste. Aucun remord, aucun sentiment d’horreur, juste la rage si un de ses potes est victime de ce que lui fait subir aux autres.


Sur cette île baignée de soleil c’est glaçant. Et très bien fait : En quelques dizaines de pages tout est dit, très bien dit, on a pris le seau d’eau froide en pleine figure. Mais ce n’est peut-être pas à mettre entre toutes les mains …


Edyr Augusto / Moscow (Moscow, 2001), Asphalte (2014), traduit du portugais (Brésil) par Diniz Galhos.

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9 novembre 2013 6 09 /11 /novembre /2013 17:08

Cela faisait un moment qu’on n’avait pas de nouvelles de Raúl Argemí. Rien depuis l’excellent Patagonia Tchou-Tchou. Rivages a eu la bonne idée de traduire un roman plus ancien Ton dernier nom de guerre, que voici.

 

Argemi

Manuel Carraspique est journaliste, et au chômage. A la suite d’un accident de voiture quelque part en Patagonie, du côté de la Cordillère, il se retrouve immobilisé à l’hôpital. A côté de lui, un grand brûlé, couvert de bandages. Il s’agirait d’un certain Marquez, indien Mapuche qui, pris d’une fureur mystique aurait tué sa femme et son enfant avant de s’immoler. Mais les policiers semblent penser que quelqu’un d’autre se cache sous cette identité et Manuel voit la possibilité d’un scoop qui relancera sa carrière moribonde. Il commence à recueillir les étranges histoires de Marquez, des histoires qui peu à peu s’assemblent en un sinistre puzzle.


Comme l’écrit l’ami Yan, il faut un tout petit peu de patience pour accepter de rentrer dans une construction en apparence complètement incohérente. Le journaliste est abruti par les médicaments, et le grand brûlé raconte des histoires qui semblent, du moins au début, totalement décorrélées les unes des autres. Mais c’est justement là un des intérêts du roman, ce qui en fait son piquant, ce jeu de construction, d’autant plus amusant que les pièces semblent provenir de puzzles différents. Rassurez-vous, à la fin, tout rentre dans l’ordre. Et l’auteur a la sagesse de resserrer son récit (150 pages) et de ne pas tirer à la ligne.


Alors certes, j’avais entrevu la solution. Ou plutôt disons que la conclusion était une des solutions que j’avais entrevues. Mais est-ce vraiment important ?


Car au-delà du plaisir de l’intrigue, Raúl Argemí revient, sans jamais être lourd, sur la période de guerre sale menée par les militaires de la junte entre 1976 et leur chute, en 1983. L’originalité, par rapport à d’autres romans de l’auteur, est de nous mettre plutôt dans la peau de personnages de tortionnaires, et non de victimes ou de résistants. Et sa force est d’avoir construit cette pourriture qui se révèle peu à peu, très convaincante, et donne de la force au récit.


L’autre force est de nous sortir de Buenos Aires, comme il l’avait fait dans le roman précédent, et de nous décrire cette Argentine du grand sud, si différente de la vie trépidante et très européanisée de la capitale.


Un plaisir de lecture, autant sur la forme que sur le fond.


Raúl Argemí / Ton dernier nom de guerre (Penúltimo nombre de guerra, 2004), Rivages/Noir (2013), traduit de l’espagnol (Argentine) par Alexandra Carrasco-Rahal.

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30 octobre 2013 3 30 /10 /octobre /2013 08:33

L’actualité polar est riche, très riche. Après Asphalte qui nous a fait découvrir un nouvel auteur brésilien, voici l’argentin Miguel Angel Molfino et ses Monstres à l’état pur chez Ombres Noires.

Molfino.png

Province du Chaco, au nord de l’Argentine, loin très loin de Buenos Aires. Paysage plat, chaleur écrasante. Estero del Muerto est un village oublié de tous. Il n’y existe un semblant de vie que pendant les quelques jours où le train vient chercher la récolte de coton. Et il ne s’y passe rien. Jusqu’à ce jour où deux inconnus arrivent à la ferme des Hordt, famille de paysans qui survivent difficilement et les abattent sans raison apparente. Seul Miro, le fils de la famille survit, juste parce qu’ils ne l’ont pas vu. Paniqué, il enterre ses parents avec l’aide de l’ouvrier agricole et s’enfuit. Il est alors pris en stop par Hansen, un trafiquant d’armes qui va lui révéler sa nature profonde …


Etrange roman et très belle découverte des jeunes éditions Ombres Noires.


N’attendez pas une intrigue léchée, une histoire à rebondissement. Miguel Angel Molfino nous propose ici deux choses : le portrait d’une partie de l’Argentine oubliée de tous, et celui des monstres qu’elle engendre.


Le premier chapitre, description d’Estero del Muerto est d’une beauté envoutante. Il donne le ton. On découvre ensuite ses habitants, et l’on se croirait dans un roman de Caldwell. Des personnages durs, tout en angles, sans la moindre joie de vivre, uniquement portés par le travail et la souffrance.


Région perdue, isolée et étouffante, habitants secs comme des ceps de vigne … la fabrique à monstres est prête. Et il y en a quelques uns. A commencer par une équipe de flics ignobles, sales, puants, pourris, violents, dégénérés jusqu’à la moelle et rendus intouchables par leur fonction. Mais également les quelques riches propriétaires terriens, imbuvables, pleins de morgue, et finalement ceux que l’on va suivre, Hansen et le petit Milo qui va se former peu à peu, et découvrir le plaisir de tuer en toute impunité.


Certes, ce n’est pas un roman aimable, non on ne saura pas vraiment qui a tué les parents de Milo ni pourquoi, mais on reste marqué par ce roman étonnant, à l’écriture superbe, et certaines scènes resteront gravées dans vos mémoires.


Miguel Angel Molfino / Monstres à l’état pur (Montruos perfectos, 2010), Ombres Noires (2013), traduit de l’espagnol (Argentine) par Christilla Vasserot.

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21 octobre 2013 1 21 /10 /octobre /2013 22:50

Les auteurs de polars brésiliens sont rares chez nous. Raison de plus pour applaudir à la traduction d’un nouveau venu, découvert par les éditions Asphalte. Mais attention, le Brésil de Belém d’Edyr Augusto est loin de la fête, de la caipirinha et du carnaval. Il est noir, corrompu et sauvage.

 

Augusto

Belém, grande ville du nord-est du pays, en bordure de la forêt équatoriale. Gilberto Castro est l’incarnation du nouveau flic. Diplômé, comptant plus sur sa capacité à réfléchir que sur celle à distribuer les coups, il devrait être une des vitrines de la police locale. Malheureusement, Gilberto aime trop la bière et ses frasques commencent à faire tache. Quand il est appelé au domicile de Johnny, coiffeur de la jet set locale trouvé mort chez lui, il suspecte quelque chose de louche et décide de pousser son enquête, malgré les apparences : Johnny serait mort d’un arrêt cardiaque suite à une overdose de cocaïne. Lors de sa fouille de l’appartement, il trouve des photos et vidéos pédophiles. Son enquête est vite freinée : la victime frayait avec une bande qui réunit tous les notables de la ville. Des notables qui n’ont aucun intérêt à ce que certaines choses soient rendues publiques.


Passons rapidement sur deux regrets : Le premier tient à une certaine surabondance de grand guignol dans la deuxième partie du bouquin. Du bien sanglant, bien gore qui n’apporte pas grand-chose (à mon humble avis). Le second est un manque : On pourrait presque être n’importe où au Brésil, on ne sent pas la moiteur, la chaleur, ni surtout l’importance de la proximité de la forêt et des fleuves.


Ceci mis à part, on a là une très belle découvert, bien sombre, bien noire.


L’auteur maîtrise fort bien le principe de Tonton Hitchcok : Il fait cavaler ses personnages après un quelque chose, la fameux MacGuffin de grand Alfred, sans jamais vraiment dire ce que c’est, et sans que l’objet en question ait, au final, la moindre importance. Ce qui compte c’est la course (ou plutôt ici l’hécatombe) pour l’obtenir. La difficulté dans ce genre de scénario étant de s’en tenir à ce principe et de ne pas tenter, pour récupérer une fausse crédibilité, de terminer sur une révélation fracassante … qui frise souvent le ridicule. Vous verrez comme Edyr Augusto termine son roman de façon magistrale.

Le récit alterne de façon complètement maîtrisée entre le personnage principal, Gilberto Castro, et les différents protagonistes dont il prend le temps de dresser le portrait et de conter l’histoire. Là aussi le puzzle pourrait se révéler casse-gueule, il est parfaitement construit, et permet de brosser le portrait sans concession de la société de Belém.


Avec des pauvres qui n’ont que leur corps à vendre (que ce soit en se prostituant, en jouant au foot ou en se rêvant reine du carnaval, ce qui revient souvent à la première solution). Avec une classe de riches parvenus particulièrement odieuse et futile : drogue, alcool, fêtes à la plage, grosse bagnoles, fringues … non, pas de livres, pas de culture, rien que le fric et la superficialité et l’assurance de pouvoir disposer des pauvres à leur convenance.


Et quand entre les deux un Gilberto Castro essaie de rétablir une certaine justice (au moins en termes de loi), il se fait broyer. Vous me direz, rien de nouveau sous le soleil brésilien. Certes, mais cela fait du bien de le rappeler de temps à autre. Surtout quand c’est fait d’aussi belle manière.


Edyr Augusto / Belém (Os éguas, 1998), Asphalte (2013), traduit du brésilien par Diniz Galhos.

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12 juin 2013 3 12 /06 /juin /2013 22:43

A Cuba on connaît bien entendu Leonardo Padura (d’ailleurs qu’est-ce qu’il devient Padura ? Et Mario Conde ?). On connaît moins Lorenzo Lunar. Il a pourtant gagné dans son pays le prix de l’écrivain cubain le plus lu, après Daniel Chavarria (et qu’est-ce qu’il devient Chavarria ?) et, justement Leonardo Padura. La vie est un tango est l’occasion, de le découvrir en France. Une excellente occasion.

 

 

Lunar

Leo Martin est flic, responsable du quartier le plus populaire de la ville de Santa Clara (célèbre pour un des hauts faits d’armes du Che, mais c’est une autre histoire). Un quartier qui vit au rythme des coupures d’électricité et des arrivées aléatoires de marchandises diverses. Un quartier comme tant d’autres où les flics font semblant de ne pas voir qu’il y a de la prostitution et mille petits trafics qui permettent de contourner la pénurie. Impossible par contre de fermer les yeux sur le meurtre de Maikel Diaz Martinez. Quand son chef tente de lui faire croire que l’assassinat est motivé par un trafic de lunettes de soleil, même en temps de pénurie, Leo a du mal à le croire et commence à penser qu’on lui cache quelque chose.


Amateurs d’intrigues avec fausses pistes, ou de thrillers frénétiques, ce roman n’est pas pour vous. La vie est un tango pourrait s’appeler Chroniques d’El Condado, le quartier de Santa Clara où se déroule l’histoire. L’auteur en postface écrit qu’il lui suffit d’écouter les conversations autour de lui pour avoir toute la matière nécessaire à l’écriture.


Il est trop modeste. C’est bien d’avoir de la matière autour de soi. Encore faut-il savoir la façonner, l’agencer, donner corps et chair aux personnages, faire un écrin aux dialogues entendus, structurer le récit … Et faire d’une matière informe un roman qui se tient et enchante le lecteur. En bref, il faut mettre cette matière entre les mains d’un vrai écrivain.


Au travers de son histoire, Lorenzo Lunar nous fait connaître, aimer, désirer et haïr ses personnages. Il nous fait ressentir la lassitude, la force de l’amitié, la dureté de la vie, les trafics petits et grands, le bruit, la musique, les odeurs …


Il nous fait aussi toucher du doigt l’absurdité et la presque touchante ingénuité d’un système : S’il faut que la police cache absolument le délit central, ce n’est pas parce que des policiers, ou des politiques sont corrompus (comme ce serait le cas à Paris, Naples, New-York ou Mexico). Non, c’est parce que ce type de crime (vous verrez bien lequel), ne peut pas exister dans un Cuba révolutionnaire et socialiste, parce que ce serait admettre un échec. On touche à une telle absurdité qu’on ne sait s’il faut en rire ou en pleurer.


A côté de ça, il est étonnant de voir comme les mécanismes humains sont les mêmes, quel que soit le système. Ici, pour s’acheter une respectabilité, on rentre au comité de la révolution, ou on prend sa carte, ailleurs on va à l’église ou on participe aux bonnes œuvres …


Bref, pour toutes ces bonnes raisons, n’hésitez pas, découvrez le Santa Clara de Lorenzo Lunar.


Lorenzo Lunar / La vie est un tango (La vida es un tango, 2005), Asphalte (2013), traduit de l’espagnol (Cuba) par Morgane Le Roy.

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5 juin 2013 3 05 /06 /juin /2013 22:35

Heredia et son chat Simenon, créations du chilien Ramón Díaz Eterovic, sont de ces personnages qui finissent par faire partie de la famille, aux côtés de Mario Conde, Salvo Montalbano, Giorgia Cantini ou … Leonard Pine et Hap Collins. C’est pourquoi c’est toujours un plaisir de les retrouver, comme ici dans Le deuxième vœu.

 

Diaz Eterovic

Les affaires ne sont pas florissantes pour Heredia, et Simenon se plaint de ne pas avoir mangé autre chose que des restes depuis un bout de temps. Heureusement, voici un client. Un homme qui revient après des années d’exil en Allemagne et qui veut reprendre contact avec son père, avec qui il a été en conflit pour raisons politiques au moment de sa fuite du pays, sous Pinochet. Après des années de silence son père a fini par lui écrire, et il lui semble qu’à 58 ans, il est plus que temps qu’ils se parlent à nouveau. L’ennui est que le vieil homme n’habite plus à l’adresse de la carte postale. Heredia part en vadrouille dans Santiago, de maison de retraite en maison de retraite. Une double quête, à la recherche de cet homme, et de son père qu’il n’a jamais connu.


On retrouve donc Anselmo le turfiste du kiosque à journaux, les rues et les bars de Santiago, et surtout le couple Simenon-Heredia. Simenon, le chat (oui le chat parle et ça ne pose aucun problème à personne), pragmatique et caustique, double qui ramène Heredia sur Terre, et Heredia archétype du perdant qui ne se rend jamais, qui noie son blues dans la poésie, les tangos et le vin.


Et ça fait du bien, dans un monde obnubilé par les chiffres, la rentabilité à court terme, le fric, le fric, le fric, de retrouver, de temps en temps, Heredia chaque fois un peu plus fatigué, chaque fois un peu plus vieux (comme nous …) mais qui ne lâche jamais. Heredia pour qui un verre de vin avec un ami, l’écoute d’un disque ou les retrouvailles avec d’anciennes amours sont plus importants que de gagner quelques pesos de plus.


Ça fait du bien aussi de retrouver sa capacité de révolte et de rage intacte, malgré ses forces peu à peu déclinantes. Ça fait du bien de voir que, malgré les défaites, malgré les illusions perdues, il ne renie rien. Ça fait du bien et ça donne de l’espoir, et des forces pour se sentir un peu moins seul, à contrecourant de tout un monde.


Voilà, on n’est pas seul, il y a encore Heredia, et sans doute une bonne partie de ses lecteurs. Salut à vous tous.


L’histoire ? J’avais oublié d’en parler. Comme toujours elle est menée à son rythme, et elle est secondaire. Elle est le squelette qui tient le bouquin. Le plaisir est surtout ailleurs, dans la déambulation dans les rues de Santiago, dans les réflexions sur la vieillesse, dans la révolte face à une certaine déshumanisation, dans le plaisir de partager la musique, les lectures, les amitiés et les amours d’Heredia, dans l’humour de ses relations avec Simenon …


Ramón Díaz-Eterovic / Le deuxième vœu (El segundo deseo, 2006), Métailié (2013), traduit de l’espagnol (Chili) par Bernardo Toro.

 

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13 mai 2013 1 13 /05 /mai /2013 22:52

Cette année le Marathon des mots invite Buenos Aires et ses auteurs. Dont les auteurs de polars. Il y aura donc une lecture éprouvante, celle d’une partie d’un roman d’Enrique Medina, Les chiens de la nuit. Comme j’aurai l’honneur de présenter cette lecture, je m’y suis replongé.

 

Medina

Mercedes, 15 ans et Mingo 18 vivent dans un bidonville de Buenos Aires. Elle est plutôt moche, il est plutôt fainéant, autant dire que leur avenir est bouché. Mercedes travaille comme bonne, et Mingo vole à la tire. Jusqu’à ce qu’il se fasse arrêter et connaisse l’horreur de la prison. A sa sortie il décide que leur seule façon de s’en tirer est que sa sœur se prostitue. Le mirage d’une vie meilleure (au moins pour lui), le début d’une descente de plus en plus bas, en enfer.


On est loin ici des Raul Argemi, Rolo Diez et autres Ernesto Mallo. Enrique Medina n’a pas eu, à ma connaissance, d’engagement à l’extrême gauche, il n’a pas pris les armes avec les guérilleros, s’il parle si bien de la prison et de la misère, c’est qu’il a passé de nombreuses années, dans les années 40-50, dans un centre où se côtoyaient enfants abandonnés et petits délinquants.


Ici pas d’intellectuel, de journaliste ou de psy, personne ne prend les armes ou la plume contre un régime ou pour défendre des idées, on est plongé, la tête la première dans l’enfer du sous-prolétariat argentin. Et ce n’est pas particulièrement rose. D’autant moins que l’auteur ne nous laisse pas respirer un seconde. De pire en pire, c’est l’impression que l’on a au début, et qui se confirme sur un peu moins de 200 pages. Pas besoin de faire plus long. C’est déprimant, désespérant, glauque, sombre à en pleurer. Comme dans un marécage, tout mouvement pour essayer de s’en sortir ne fait qu’enfoncer un peu plus Mercedes et Mingo. Et pourtant, très fugacement, on trouve quelques étincelles de « bonheur ». Toutes petites, et dont le faible éclat ne fait que renforcer les ténèbres qui suivent.


Un texte qui laisse une impression durable. Je ne sais pas si je dois vous le conseiller … Et je suis curieux de voir (ou d’entendre), ce que cela donnera à la lecture. Rendez-vous fin juin à Toulouse pour le Marathon des mots.


Enrique Medina / Les chiens de la nuit (Perros de la noche, 1984), L’atalante/  (2013), traduit de l’argentin par Claudine Carbon.

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19 mars 2013 2 19 /03 /mars /2013 23:00

Depuis l’arrivée fracassante de Aller simple, c’est avec impatience qu’on attend, tous les ans, le nouveau Carlos Salem. Le dernier Un jambon calibre 45 c’est fait un peu attendre, mais il est là, tout chaud.

 

Salem

Nicolas Sotanovsky est, suivant les avis, un latino craquant, un raté complet, un argentin mystérieux, un glandeur professionnel. Il faut dire qu’il est un peu tout ça à la fois et traine son blues dans une ville de Madrid écrasée par la chaleur d’août. Ce jour-là il se fait jeter par sa copine du moment et décide de profiter de la proposition d’un compagnon de beuverie : aller squatter chez une dénommée Noelia, très sympa et très cool, qui est en vacances et a laissé son appartement à la disposition de qui veut. Superbe occasion et possibilité pour lui, journaliste raté, de commencer enfin ce grand roman qu’il croit pouvoir écrire.


Manque de chance, il n’est pas installé depuis 24 heures qu’un malabar débarque, lui allonge une droite et lui dit qu’il a une semaine pour ramener Noelia et le fric. Noelia, il ne l’a jamais vue, et quel fric ? Il va être « aidé » par une brune gironde et peu farouche et un chat de gouttière philosophe, rencontrer des tueurs sans scrupule, un Marlowe par correspondance, un chauffeur de bus perdu et une vache secourable … entre autres.


Carlos Salem nous a déjà habitués à ses intrigues pour le moins flottantes, à ses personnages extravagants mais pourtant tellement crédibles, à ses déambulations à travers l’Espagne ou le Maroc. Il nous a déjà habitués à ses polars qui n’en sont pas, à ses fils narratifs en apparence décousus qui pourtant finissent par se tisser.


Il reprend tout cela ici, avec un nouveau personnage, toujours aussi paumé, toujours désespérément amoureux, sans trop savoir de qui. Malheureusement cette fois ça marche un tout petit peu moins bien à mon goût. Je ne saurais dire pourquoi, j’ai eu à la lecture de grands moments d’enthousiasme, et d’autre où mon intérêt faiblissait. Comme si l’histoire était un moins tenue (mais c’est très compliqué de tenir un lecteur en lui donnant l’impression qu’on fait « n’importe quoi »).


Je ne me suis pas ennuyé, mais j’ai moins aimé. Même si certaines scènes resteront gravées dans ma mémoire. Comme celle où Nico tente de poursuivre une conversation téléphonique intelligente alors que la brune Nina lui fait subir les derniers outrages, la relation géniale avec un chat de gouttière, ou encore un voyage en bus surréaliste. Sans oublier le tueur sentimental, ou le privé miteux.


C’est en lisant ce roman d’ailleurs qu’on prend conscience de la difficulté de maintenir une cohérence et une tension dans des histoires en apparence complètement déjantées avec des personnages qui ne devraient pas être crédibles, et qui le sont. Un vrai numéro de funambule. Et c’est compliqué de marcher sur un fil à longueur de roman, alors cette fois, peut-être l’artiste a-t-il un peu perdu l’équilibre. Il n’est pas tombé, mais il a vacillé.


A lire pour ceux qui, comme moi, aiment cet auteur et pour les très bons, et même excellents moments. A déconseiller toutefois à ceux qui découvriraient l’auteur, parce que l’ensemble est moins réussi que pour ses trois premiers romans.


Carlos Salem / Un jambon calibre 45 (Un jamón calibre 45, 2011), Actes Noirs (2013), traduit de l’espagnol (Argentine) par Claude Bleton.

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