Cela faisait tellement longtemps qu’on n’en entendait plus parler que je croyais qu’il était mort, ou qu’il avait cessé d’écrire. Et voilà que rivages nous annonce l’excellente nouvelle : un nouveau roman de Wessel Ebershon, le grand auteur de polars de l’apartheid. Il revient et montre que son regard est toujours aussi acéré dans La tuerie d’octobre.
A quinze ans Abigail Bukula assiste à l’assassinat de ses parents dans une ferme du Lesoto. Tués avec d’autres militants anti apartheid par un commando des forces spéciales sud africaines. Elle ne doit la vie sauve qu’à l’intervention d’un jeune soldat du commando qui s’était interposé entre elle et son commandant.
Vingt ans plus tard, dans un pays qui vit des moments compliqués après les premières années d’euphorie démocratique, Abigail est une fonctionnaire en vue du ministère de la justice quand elle est contactée par Leon Lourens, son sauveur. Il vit chichement, sans plus aucun contact avec son passé, mais a quand même appris que les membres du commando se font tuer un après l’autre. Il demande de l’aide à Abigail, persuadé que c’est un vengeance du gouvernement. Pour l’aider, et affronter un passé qu’elle préfèrerait oublier Abigail va faire appel à un étrange personnage, ayant travaillé sous le régime précédent, le psychiatre des prisons Yudel Gordon.
« Vous voyez, Yudel. A Maseru, j’ai été sauvée par un homme bon qui défendait une mauvaise cause, et le lendemain, j’ai été délivrée par un homme mauvais qui se battait pour une bonne cause.
- Rien n’est jamais simple dans la vie. »
Voilà qui résume bien le propos du roman. Mais disons tout d’abord que Wessel Ebershon n’a rien perdu de son talent, de sa capacité à créer des personnages en leur donnant chair, et de prêter sa voix à ceux qui souffrent. Rien perdu non plus de sa capacité d’analyse et de son indignation face à l’injustice, la violence, et l’absurdité révoltante des abus de pouvoir.
Au premier degré, on a là un excellente polar, avec de beaux personnages et une très belle intrigue jusqu’aux ultimes révélations.
Et ce n’est pas tout. Wessel Ebershon est de toute évidence admiratif devant le chemin parcouru depuis l’arrivée au pouvoir de Mandela (qui fait d’ailleurs un passage bref mais remarqué dans son roman), mais lucide sur les travers de la société sud-africaine, sur la corruption, sur l’entente entre les anciens maîtres qui ont négocié pour garder le pouvoir économique, et les nouveaux arrivants plus préoccupés de se tailler une part de gâteau que de répartir la richesse. Cela donne droit à quelques scènes à la fois drôle et révoltantes.
Et puis, comme ce qu’on peut lire dans les romans irlandais actuels, il revient sur la vision manichéenne engendrée par les moments de lutte : non tous les combattants anti-apartheid n’étaient pas animés des meilleures intentions, non la violence de certains n’a pas disparue une fois le combat terminé, non, ce n’est pas parce qu’on est dans « le bon camp » qu’on est forcément quelqu’un de recommandable …
S’ajoutent ici quelques touches d’humour fort bienvenues (surtout dans les relations de Yudel au monde qui l’entoure) dont je n’avais pas souvenir dans ses précédents romans. Soit elles n’y étaient pas, soit elles ont été effacées de ma mémoire par la force de certaines scènes insoutenables.
Pour finir, une seule chose : faites à ce nouveau roman l’accueil qu’il mérite, faites-en la meilleure vente de l’année, et profitez-en pour lire ou relire ses romans précédents.
Wessel Ebershon / La tuerie d’octobre (The october killings, 2010), Rivages/Noir (2014), traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Fabienne Duvigneau.