Comme promis (avec un peu de retard pour cause de problème sur ma ligne téléphonique), voici mon coup de cœur du moment, Les derniers jours d’un homme de Pascal Dessaint.
Quelque part dans le nord de la France. L’usine, aujourd’hui fermée. La cité ouvrière. La route qui la sépare du reste du monde. Dans cette cité, Judith, 18 ans, élevée par son oncle cherche à savoir ce qui c’est passé une douzaine d’années auparavant. Ce qui a entraîné la mort de son père, Clément. Douze ans auparavant, Clément, veuf depuis peu, a quitté l’usine encore en activité pour travailler comme élagueur. Il commence à prendre conscience du danger sanitaire qu’elle leur fait tous courir au moment où les bruits de fermeture définitive se font insistants. Ces voix alternées vont se rejoindre, pour résoudre le mystère et exposer au grand jour un scandale social, écologique et sanitaire qui n’est autre que celui de Métaleurope.
A force de parler de Dessaint le toulousain on avait fini par oublier qu’il vient du nord, et qu’il a passé son enfance dans une famille ouvrière comme celles qu’il nous décrit ici. Déjà dans Cruelles natures, il faisait une incursion noire dans sa région natale. Il y revient maintenant pour écrire ce roman que, très certainement, il portait en lui depuis bien longtemps.
Qu’est-ce qui a rendu son écriture possible et/ou indispensable ? Une maturité acquise ? Une maîtrise de son écriture ? La prise de distance suffisante ? La nécessité de témoigner, de donner la parole à ceux qui ne l’ont jamais ? Une douleur personnelle ? Sans doute un peu de tout cela.
Toujours est-il qu’il a écrit là son Grand Roman. Un vrai roman noir, héritier de Zola comme de Hammett, un des rares en France à donner la parole à la classe ouvrière. Et à le faire avec émotion, vérité, mais sans angélisme ni manichéisme. Tous les personnages du roman sont des victimes. Victimes d’un système prêt à empoisonner ses enfants (ou plus exactement, les enfants des autres), pour générer toujours plus de profits. Mais on peut être une victime et un salaud. On peut être victime et dans une certaine mesure complice du bourreau. Alors, comme dans tous les groupes humains, chez ces victimes il y a des cons, des dignes, des courageux, des enfoirés, des lâches et des personnes admirables. Ils sont tous complexes, humains, vrais.
Dans ce roman il y a de l’émotion sans pathos, de l’émotion non pas pour remplacer le raisonnement comme sur TF1, mais au contraire de l’émotion qui donne à réfléchir. La gorge serrée qui force à se poser des questions. Il y a de la colère et de l’indignation aussi, mais sans jamais tomber dans le trac simpliste.
La construction à deux voix qui, petit à petit, fait monter le suspense est absolument limpide. Les deux voix sonnent juste. Celle de l’ouvrier de 40 ans, et celles de la jeune fille de 18 ans. Pas une fausse note. Parce que l’écriture est totalement maîtrisée, d’une simplicité et d’une évidence qui sont l’apanage de ceux qui ont parfaitement trouvé leur voix et n’ont plus besoin de rechercher l’effet.
Tout cela est bien entendu le fruit du travail, mais aussi celui de la maturation, de la fermentation. Comme l’a révélé la rencontre de samedi avec ses lecteurs à Ombres Blanches, il y a dans ce roman des phrases qu’il a entendues chez lui, des personnes qu’il a rencontrées, des moments qu’il a vécus. C’est pour cela que cela sonne si vrai, que cela touche autant. Sans pour autant jamais donner l’impression qu’il se raconte.
Voilà, maintenant lâchez votre ordinateur, allez vous procurer ce roman, et lisez-le. Vous le refermerez révolté, bouleversé et pourtant, paradoxalement, apaisé.
Si je vous ai trompé, vous aurez le droit de venir vous plaindre.
Pascal Dessaint / Les derniers jours d’un homme, Rivages (2010).