La réalité finit toujours par rattraper la fiction, quand elle ne la dépasse pas. Un article lu sur le site Rue89 m’a laissé sur le cul (il faut bien appeler les choses par leur nom).
Deux économistes ricains ont « inventé » un nouveau système pour maigrir (mais ça marche aussi pour toute résolution difficile, arrêter de dire du mal de la droite, arrêter de lire les blogs …) : on s’engage sur leur site, on laisse son numéro de carte bleue, et chaque fois qu’on craque, on raque. Saufs que ces deux zozos n’ont rien inventé du tout. Un pitre bien français avait pensé à ça depuis bien longtemps. Il s’agit de l’écrivain de polar, beaucoup trop discret, Francis Mizio. Dans son hilarante Agence tous-tafs, son héros, chômeur de Très Très Longue Durée, accepte d’être exploité par un margoulin de première, et se retrouve Réfrigerator Cop, chargé de l’inspection des frigos de ceux qui se sont engagés à faire un régime. Et bien entendu ça dégénère. Penser que Francis Mizio ne fait qu’anticiper, de très peu, un futur absurde est plutôt inquiétant.
Donc il faut lire Mizio, pour savoir ce qu’on risque, et pour se fendre la poire. Car le risque que l’on court à la lecture de ses romans est celui de passer pour un doux dingue. Cela m’est arrivé avec La santé par les plantes : je le lisais en attendant mon tour pour passer aux guichets de la banque (ça marche aussi avec Sécurité Sociale, salle d’attente du médecin ou du dentiste, ou tout autre lieu où l’on poireaute au milieu de gens pas très gais) quand j’ai commencé à rire tout seul. Immédiatement un cordon sanitaire c’est formé, les sièges à coté de moi se sont vidés, j’ai senti comme une crispation inquiète chez mes voisins, ... Et je m’en fichais complètement, bicose je continuais à pouffer tout seul ... L’intrigue ? Vous prenez, un chef d’entreprise constipé (au sens propre du terme), un autre obsédé par l’hygiène, une amante un rien crade, la Brigitte Bardot des légumes, un escroc écolo, un scientifique escroc pas écolo, un pompiste bourru, un ancien de Scotland Yard, une femme à barbe, plus quelques autres, vous mélangez, vous les baladez de Paris à l’Australie, en passant par Marseille, et vous obtenez un cocktail à consommer sans la moindre modération.
Comme on le voit, Francis Mizio a traité presque tous les sujet graves de notre époque, des régimes amaigrissants aux problèmes de constipation, en passant, dans Twist Tropique, par le nouveau boom du voyage scientifique : Ladislas Krobka est plombier cynocéphalophile. Peut-être encore plus cynocéphalophile que plombier, ou du moins c’est plus sa cynocéphalophilie que ses capacités plombières qui nous intéressent ici. Il est le client d’une agence de voyage qui vend des voyages scientifiques, et à se titre va accompagner Washington Doug Cercoe (dit Washington DC ou Qugé) et Helen Lenehen-Enehelle (dite la grecque) observer des singes râleurs qui seraient devenus rieurs, voire blagueurs. Inutile de préciser que les deux scientifiques de haut vol ne sont pas enchantés de devoir pouponner un plombier, aussi cynocéphalophile soit-il. Si vous ajoutez à cela que la grecque est parfois sujette à des sautes d’humeur dont les effets dévastateurs ravalent Katrina au rang de douce brise estivale, que Qugé maîtrise mal sa libido, et que les singes potentiellement rieurs se trouvent sur le territoire d’une tribu féroce et revendicatrice, vous avez tous les ingrédients d’un sacré merdier.
Comme ses autres romans, celui-ci est comme un Astérix (ceux avec Goscinny), ça ce lit à plein de niveaux : D’abord il y a l’histoire, complètement allumée. Ensuite il y a toutes les blagues : les références aux autres bouquins, les références à une actualité plus ou moins récente, et les machines infernales, où le gag est préparé deux chapitres plus tôt. Dernier niveau, derrière tout humoriste il y a un moraliste, qui finalement voit la vie et le monde plutôt en noir. Dans Twist Tropique tout le monde prend son coup de griffe, le monde scientifique, le jargon médiatico-moderne, internet, la dérive avocato-judiciaire, la pub, le libéralisme ... Résultat, à la fin, on a ri, on a réfléchi, on a l’impression d’être intelligent ... et on en redemande.
Finalement, à part le fait d’écrire très peu, le seul reproche que l’on puisse faire à Francis est d’avoir trop d’imagination, et de se laisser parfois déborder, alors qu’il semblerait qu’un peu de travail, d’élagage et de réécriture pourrait donner des résultats encore meilleurs.
Il y a un échange fort intéressant entre Francis et ses lecteurs, réalisé du temps de mauvaisgenres, sur le site bibliosurf.