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21 février 2008 4 21 /02 /février /2008 19:05

« Il existe deux choses dont le peuple américain ne veut pas : un autre Cuba sur les territoires d’Amérique centrale, et un autre Vietnam » Ronald Reagan.

Cette phrases, mise en exergue du chapitre 5, résume la thématique centrale de La griffe du chien de Don Winslow. Car même si l’’intrigue romanesque tourne autour du trafic de drogue entre le Mexique et les USA, c’est bien de cela qu’il s’agit en premier lieu.

winslow.jpgArt Keller, ancien de la CIA, est entré à la DEA au retour du Vietnam, et a commencé sa carrière au Mexique. Il y a fait connaissance avec Miguel Angel Barrera, Tio, et ses deux neveux, Adan et Raoul. Tio est flic et l’aide à faire tomber le parrain local de la drogue. Peu de temps après une arrestation qui tourne au massacre, Art s’aperçoit que tout n’a été qu’une manœuvre des Barrera pour prendre en main, non pas la production de drogue, mais le transport de tout ce que produisent les cartels colombiens. Tio et ses neveux visionnaires se sont en effet rendu compte que ce qu’ils avaient de plus précieux à vendre est une frontière immense avec le premier acheteur de drogue du monde. Entre Art Keller et les Barrera, une guerre sans merci s’engage. Une guerre bien plus vaste que celle de la drogue. Une guerre qui fera de très nombreuses victimes, et aura, parmi ses protagonistes Nora, call girl de luxe, Callan, tueur à gage irlandais, la mafia, la CIA, les milices d’extrême droite d’Amérique centrale, l’église …

Ce roman est un vrai monument. Presque huit cent pages pour disséquer le rôle des gouvernements américains successifs dans la répression sanglante des mouvements pro communistes en Amérique centrale dans les années 70 et surtout 80. Pour relier cette action avec le trafic de drogue à la frontière américano-mexicaine. Pour mettre en lumière la corruption de l’état mexicain, et la façon dont les narcos sont devenus plus puissants que l’état lui-même, capables en deux semaines de faire plier l’économie du pays, pour ensuite négocier leur aide. Pour disséquer l’influence de tout cela sur la signature du fameux accord de l’ALENA, qui allait permettre la libre circulation des marchandises et des capitaux entre les deux pays. Et celle de ces conflits sur une autre guerre, beaucoup plus feutrée mais néanmoins sans pitié, celle que se livrent, en Amérique latine, les tenants de la théologie de la libération et l’Opus Dei, très bien vu par le Vatican de Jean-Paul II.

Ce n’est pas pour autant un essai, ou une étude. C’est une véritable œuvre romanesque, avec des personnages extraordinaires, hors normes, du souffle, beaucoup de violence (on s’en douterait), mais jamais gratuite, et une construction impeccable. Une œuvre romanesque qui sait prendre son temps pour décrire les odeurs dans un jardin mexicain ou l’épouvantable tremblement de terre de Mexico de septembre 85.

Une œuvre magistrale, époustouflante, dure, qui prouve, une fois de plus, que les américains savent révéler leurs pires turpitudes avec un talent exceptionnel. Les révéler et les analyser, car Don Winslow ne s’arrête pas à la dénonciation des horreurs perpétrées en Amérique centrale. Il fait également le rapprochement entre ce que coute la guerre contre la production de drogue (qui cache en réalité une guerre contre la révolte de populations exsangues), et ce que couteraient les solutions visant à faire chuter drastiquement la demande aux USA. Il s’arrête là, laissant le lecteur tirer ses propres conclusions … Des conclusions affolantes si on les résume ainsi : mieux vaut des pauvres drogués qui s’entretuent entre gangs, que des pauvres organisés et revendicatifs.

Il nous manque peut-être, en France, quelques écrivains de ce calibre, pour nous mettre sous les yeux certaines vérités désagréables. Nos gouvernants n’ont-ils pas intérêt à avoir dans nos banlieues des pauvres qui brûlent leurs propres voitures, et tiennent des discours islamistes qui ne peuvent que leur aliéner le reste de la population, plutôt que des pauvres organisés avec des revendications qui risqueraient de leur attirer les sympathies d’une bonne partie de la société ?

Mais ceci est une autre histoire non ? Toujours est-il que Don Winslow, déjà excellent auteur de polar avec sa série consacré au privé Neal Carrey passe là à une dimension supérieure et produit un véritable chef-d’œuvre.

 

 

Don Winslow / La griffe du chien (Fayard/noir, 2007).

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commentaires

A
<br /> Bonjour,<br /> <br /> <br /> Histoire d'augmenter encore les statistiques de lecture de votre note, j'ajoute mon petit grain de sel en passant. C'est suite à votre commentaire sur un roman d'Ellory sur le blog Bookin'g que<br /> j'ai découvert ce titre ( en lecture commune avec Ingannmic). Alors merci pour cette découverte, "La griffe du chien" est effectivement proche du chef d'oeuvre et restera pour moi comme un de mes<br /> plus forts moments de lecture, toutes catégories confondues, polar ou pas. Votre note explique très clairement pourquoi. Alors bonne chance dans votre emprise : que "La griffe du chien" soit le<br /> livre à lire !<br />
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J
<br /> <br /> Merci de votre confiance.<br /> <br /> <br /> <br />
B
<br /> <br /> ça y est, je l'ai lu !!! J'ai mis le temps avant de m'y plonger et les dernières vacances sous la pluie ont été bénéfiques... à plus d'un titre ! Je ne regrette rien de cette lecture, Winslow<br /> tient sur la longueur avec cette histoire (et quelle histoire!). Je ne suis pas trop fan des livres sur la drogue et sur la mafia, mais là comme tu dis, c'est un beau et grand roman aussi. Donc<br /> merci ;O)<br /> <br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> De rien. Je n'étais pas inquiet, je ne pouvais pas imaginer un instant que tu ne sois pas emballé. Un sacré bouquin. Après ça, il faut un peu de détente !!<br /> <br /> <br /> <br />
B
<br /> <br /> Il me reste moins de 100 pages à lire et c'est en effet un excellent bouquin qui possède la faculté rare d'être une histoire solide, riche, passionnante tout en étant d'une lecture très fluide<br /> tout au long de ces 800 pages. Le Parrain de Mario Puzo qui vient d'être réédité chez Robert Lafont possède t-il les mêmes qualités ?<br /> <br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> J'ai lu Le parrain il y a très très longtemps. Et j'en ai le souvenir d'un bouquin qui se lit facilement ... Et c'est tout. Bien moins impressionnant que le Winslow donc.<br /> <br /> <br /> <br />
B
<br /> <br /> Don Winslow rentre dans la légende, rien a dire excellent et extraordinaire il faut faire une entrevue avec lui (pour l'auteur du blog) !!<br /> <br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Une entrevue avec Don Winslow ! Ce serait le bonheur. Rien en vue pour le moment, mais je ne désespère pas.<br /> <br /> <br /> <br />
U
<br /> J'étais parti pour acheter "La patrouille de l'aube" du même Winslow. Normal quand on est fan de windsurf. Là dessus mon libraire me dit d'essayer "La griffe du chien".<br /> Des fois, faut savoir suivre les conseils, parce que là quel choc. Tout simplement un des meilleurs polars de tous les temps. Quel souffle, qulle puissance. Pas grand chose à ajouter à ton<br /> excellente critique.<br /> Après coup, j'ai quand même lu la Patrouille de l'aube. C'est bien aussi, mais pas du même niveau.<br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> C'est sur qu'il n'y a pas grand chose du niveau de la griffe du chien ! Mais heureusement on ne peut pas lire que des monstres et la patrouille de l'aube est un excellent polar.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />

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