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26 septembre 2008 5 26 /09 /septembre /2008 21:35

Commençons par une reconnaissance de dette. Dans ce billet, comme très certainement dans tous ceux à venir, les informations biographiques sont tirées de l’indispensable, l’incontournable, l’indépassable Dictionnaire de Littératures Policières, connus parmi les initiés sous le petit nom de DILIPO.

Ce qui est à Claudius étant rendu à Mesplède … Voici le premier billet consacré à mes mal-aimés ou méconnus.

Laissons nous aller à une petite simplification, qui, j’en suis bien conscient, laisse pas mal d’auteurs de côté, mais qui fournit une entrée en matière qui me plait. Chez les écrivains anglais, il y a la famille tasses de thé, héritiers (ou plus souvent héritières) de la grand Agatha. La famille bière, flic et procédures à laquelle appartiennent des auteurs comme Bill James, John Harvey ou Graham Hurley. Et la famille tripes, came, sang, alcools forts et boyaux, dans la lignée de Ted Lewis et Robin Cook. C’est à cette dernière qu’appartient Jake Arnott. Pour ma part, c’est vrai, en matière de polar comme de gastronomie, je préfère la bière, le whisky et la barbaque au thé …

Jake Arnott est né à Londres en 1961. Il quitte l’école à 16 ans et galère, de squats en petits boulots pendant les années 80. Il publie Crime Unlimited, premier volet de sa trilogie consacrée au crime londonien en 1999.

Crime Unlimited, Crime Song et True Crime forment un triptyque (sans blague !) qui va des années 60 aux années 90. Passant par les années Thatcher, pour finir sous le gouvernement Blair. Au travers d’une peinture du milieu du crime londonien, c’est bien entendu un véritable portrait de trente ans de société anglaise qui est dressé.

Crime Unlimited se déroule donc dans les années 60, à Londres. Harry Stark est un personnage aussi charismatique que dangereux. Ceux qui croisent sa route l’apprennent vite, pour leur bonheur ou leur malheur et le racontent. Terry l’amant qui essaya de le doubler ; Lord Thursby, fragilisé par une situation financière catastrophique et une homosexualité cachée ; Jack the Hat, petit truand minable ; Ruby, starlette qui n’eut jamais son heure de gloire ; Lenny, sociologue, criminologue,  qui le rencontre à l’occasion d’un cours de sociologie qu’il va donner en prison.

Ce superbe récit polyphonique tourne autour de Harry. Les différents narrateurs introduisent autant de points de vue, de styles et d’approches. Cela donne un portrait contrasté et riche du personnage central, mais également un portrait de Londres dans toutes ses composantes sociales. Une ville toute aussi fascinante que le personnage principal, et une société anglaise malade de son hypocrisie, et de ses tabous. L’ensemble, parfaitement maîtrisé, passe avec fluidité de la violence à l’humour, de l’action au discours universitaire, des bouges aux palais de la haute pour donner, simplement, un très grand roman noir.

Crime Song commence en 1966, le jour où les anglais fêtent la victoire de leur équipe en coupe du monde de foot. Dans le Swinging London, trois hommes voient leur vie basculer : Billy Porter, ancien soldat, ayant participé à des opérations commando en Malaisie vit de petits vols. Lors d’un banal contrôle, avec deux complices, il abat trois flics. Frank est un policier ambitieux, et l’un des hommes abattus était son meilleur ami. Sid est un petit banlieusard qui a réussit à se faire embaucher dans un journal à scandales qui profite du meurtre des trois policiers pour réclamer à corps et à cris le rétablissement de la peine de mort.

Reprenant les lieux et l’époque du précédent roman, Crime Song, au travers du regard de trois nouveaux personnages, offre trois nouveaux points de vue sur les années 60/70 à Londres. Aussi magistralement écrit et construit que le précédent il en enrichit la peinture, et la prolonge jusqu’aux mouvements sociaux et pacifistes des années 80, et l’utilisation massive de la police comme force de répression particulièrement violente contre les grévistes, et plus particulièrement contre les mineurs par le gouvernement Thatcher.

Puis exit les années Thatcher, voici les années Blair. True Crime reprend la construction chorale des deux romans précédents, et boucle la trilogie en mettant en scène trois personnages qui ont été, ou vont être, marqués par un revenant … Harry Stark. Julie est actrice, elle essaie de faire croire qu’elle vient de la bonne société londonienne, mais elle cherche en fait à oublier son père, ancien truand, tué en Espagne dans les années soixante par Harry Stark. Tony est un journaliste véreux, assassin à ses heures, qui rêve s’écrire le De sang froid anglais, mais végète à faire le nègre de différents truands dont les mémoires, plus ou moins bidouillées, s’arrachent. Gaz, petit voyou violent sans envergure ne devraient rien avoir en commun avec les pointures du crime londonien ; il croisera pourtant leur route. A l’enterrement d’une vieille gloire, quelqu’un croit apercevoir Harry …

Jake Arnott complète avec ce troisième roman son tableau d’une société anglaise malade, ayant perdu ses repères moraux. Une société où la célébrité, même la plus vaine et la plus artificielle, tient lieu de réussite. Une société fascinée par la violence de truands élevés au rang d’icônes par une génération qui ne voit que le lustre et les paillettes télévisuelles et ignore tout de la misère sociale qui leur sert de terreau. C’est une société en état de décomposition avancé, révélée par les voix de trois personnages magnifiquement campés, sans concession mais avec une grande compréhension de la nature humaine et de ses faiblesses. Tout cela est mené de main de maître, en parallèle d’une course au trésor qui permet à l’auteur de revenir à son personnage premier, et de boucler ainsi cette trilogie superbe de bout en bout.

Crime Unlimited (The long firm, 1999), 10x18/domaine étranger (2005), traduit de l’anglais par Colette Carrière. Crime Song (He kills coppers, 2001) 10x18/domaine étranger (2005), traduit de l’anglais par Colette Carrière. True Crime (Truecrime, 2003) 10x18/domaine étranger (2006), traduit de l’anglais par Colette Carrière.
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commentaires

I
<br /> <br /> J'ai lu Crime Unlimited (je l'ai adorééé !) et True Crime (que j'avais achetés ensemble d'occaz), et je m'apprête à lire Crime Song. Mais j'ai beaucoup aimé le personnage de Harry Starks et son<br /> univers du Londres des années 60.<br /> <br /> <br /> Pour en revenir aux adaptations cinéma: c'est fait ! (ou presque) ^^<br /> <br /> <br /> La BBC a réalisé The Long Firm (Crime unlimited) en 2004 et He kills coppers en 2008. Il ne manque plus que True Crime (mais alors là je ne sais pas du tout si c'est prévu).<br /> <br /> <br /> The Long firm est une mini série en 4 parties, et c'est vraiment très bien, par contre, on ne trouve le dvd qu'en anglais. J'ai trouvé que l'acteur qui jouait Harry Starks était vraiment bon<br /> (Mark Strong). Je recommande la série (je crois que quelqu'un l'a mise en ligne sur You Tube)<br /> <br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Content de trouver un autre fan de Jake Arnott, et merci pour les renseignements.<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> <br /> Personnellement j'aurais mis la trilogie, en bonne place, dans mes 100 polars préférés. Ce serait intéressant (ou non ?) d'adapter ces romans au cinéma...<br /> <br /> <br /> Je lis en ce moment un bouquin de Jonathan Coe (Bienvenue au Club) qui à travers la littérature fait un peu la même chose qu'Arnott à travers le polar...et fait aussi revivre, avec le même<br /> "cynisme", les années pré-Thatcher...<br /> <br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Je me sens ainsi moins seul !<br /> <br /> <br /> Ce serait sans doute intéressant d'adapter ses romans au ciné, d'autant plus que le cinéma a une grande importance dans ses romans !<br /> <br /> <br /> <br />
E
Normalement c'est pour bientôt (octobre...). Ma come sapere ?
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E
Excellents bouquins. Merci d'en avoir parlé !<br /> (D'autant plus qu'il y a un certain temps, j'avais choisi The Long Firm -traduit en "français" par Crime Unlimited- pour mon mémoire de fin de diplôme en traduction...)
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J
<br /> Merci à toi.<br /> Autre chose, c'est pour quand le Richard Stark ?<br /> <br /> <br />

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