Pas encore une nouveauté 2013, mais un reliquat 2012 pour attaquer les choses sérieuses en ce début d’année. Il s’agit du cinquième (et dernier) roman de la chronique de Breslau par Marek Krajewski : La forteresse Breslau.
1945, Breslau est sur la ligne de front. Alors que tous ceux qui peuvent ont fui, Eberhard Mock, qui a été brûlé au visage à Dresde a été suspendu de ses fonctions de flic de la criminelle et se demande ce qui le retient dans une ville en partie prise par les troupes soviétiques. Jusqu’à la découverte du cadavre d’une jeune fille violée et torturée, et la promesse faite à la comtesse von Mogmitz de retrouver le meurtrier … C’est donc dans une ville de cauchemar, à moitié détruite et dans l’attente de l’entrée des hordes rouges mais toujours aux mains des nazis et de la Gestapo qu’un Mock sans illusion va mener son enquête.
Je suis allé revoir ce que j’avais écrit sur les romans précédents, et je ne peux que me féliciter de la lucidité et de la finesse de mes analyses passées. En toute modestie. Plaisanterie mise à part, je confirme. Marek Krajewski s’est bonifié au fil des titres, il a atteint depuis deux ou trois romans une pleine maturité et, me semble-t-il, une maîtrise d’écriture et de construction en accord avec son projet.
Ici plus que jamais la personnalité paradoxale de l’enquêteur, capable du meilleur comme du pire, érudit raffiné pourfendeur du mal et en même temps capable de tuer ou de torturer pour arriver à ses fins est en accord avec le décor et l’époque. Les deux sont tout en clair obscur (avec plus d’obscur que de clair), et Mock défiguré, malmené mais opiniâtre est à l’image de sa ville, bombardée, affamée mais toujours debout …
Vision d’apocalypse à rapprocher des Démons de Berlin d’Ignacio del Valle, dans un tout autre style. Ici, même si cela semble difficile, tout est beaucoup plus flou, beaucoup plus mouvant. Mock est capable des pires bassesses comme des actions les plus nobles, tous avancent masqués (au sens propre pour notre « héros »), la victime peut se transformer en bourreau, le bourreau se révéler « presque » innocent.
C’est dans cet univers où rien n’est acquis sinon la catastrophe finale que nous plonge Marek Krajewski. Sans concession, sans pitié pour le lecteur ; mais aussi, comment pourrait-on imaginer qu’il puisse en être autrement dans un lieu où chacun lutte pour sa survie, un lieu contaminé depuis des années par la peste nazie venue se greffer sur une société de préjugés et de rancœurs ?
Alors certes ce n’est pas aimable, ni réconfortant, c’est déstabilisant, mais c’est fort, très fort, et au final voilà une série qui marque le lecteur et ne se laissera pas oublier de si tôt. Reste à savoir, le roman datant de 2006 en VO, comment Marek Krajewski a poursuivi son œuvre …
Marek Krajewski / La forteresse de Breslau (Festung Breslau, 2006), Série Noire (2012), traduit du polonais par Laurence Dyèvre.
PS. Pour ceux qui se poseraient la question, les différents volumes n’ont que peu de rapport les uns avec les autres et peuvent se lire séparément.