Il y a deux ans un auteur mystérieux faisait sensation avec un étonnant thriller métaphysique. C’était Le testament syriaque de Barouk Salamé. Difficile de se douter, en refermant le roman, que l’on en retrouverait les protagonistes deux ans plus tard. Et c’est pourtant chose faite avec cet Arabian thriller.
L’ex commissaire Sarfaty, grand connaisseur de l’islam, et Benazir Gurazi, ex colonel des services secrets pakistanais qui s’étaient rencontrés lors de l’affaire du Testament syriaque sont partis pour leur lune de miel à Venise. Une lune de miel qui tourne court quand une artiste pakistanaise, proche amie de Benazir, est enlevée à quelques jours de la présentation de sa dernière œuvre, très critiquée par les intégristes islamistes.
Dans le même temps, un mercenaire fanatique veut venger les victimes du 11 septembre et faire sauter la Grande Mosquée de la Mecque pour déstabiliser le pouvoir saoudien … Deux affaires en apparence déconnectées qui vont se rejoindre.
En voilà une excellente suite qui garde intactes la surprise et la richesse du précédent roman tout en évitant ses maladresses. J’ai donc beaucoup aimé mais … mais il y a une chose qui m’a agacé. Je préfère donc m’en débarrasser tout de suite.
Je veux bien croire que l’auteur connaisse très bien l’islam et son histoire. Par contre il est un peu approximatif pour tout se qui concerne la technologie spatiale. Or il en use et abuse par moment. Les personnages se guident sur le GPS d’un objet caché, ils disposent à leur guise de satellites pouvant fournir des images de tout et n’importe quoi à n’importe quel moment, ils suivent même des voitures par satellite …
Tout cela fait partie des fantasmes d’une société qui veut croire que, si l’on est fichés et fliqués c’est à cause d’une science et d’une technologie compliquées, inaccessibles et incompréhensibles, maîtrisées par les « maîtres » du pays. Et bien non, on est fliqués et fichés quand on utilise sa carte bleue, son téléphone portable, qu’on rentre son profil sur facebook, qu’on est filmé dans la rue. Comme je ne veux pas vous saouler, je reporte en fin de chronique mes petites explications pour ceux que ça intéresse …
Donc à part ce détail, on ne peut que chanter les louanges de ce nouvel ouvrage. Après Le testament syriaque, Barouk Salamé double la mise et réussit une nouvelle fois à marier érudition, analyse fine des textes et de l’histoire des religions et exigences d’un thriller. Il alterne brillamment les « exposés » sur l’histoire de l’islam et de ses différentes interprétations, jamais lourds, et les scènes d’actions les plus explosives. Le tout sans jamais donner à son lecteur l’impression que le rythme s’écroule tant ses digressions sont passionnantes.
Son intrigue, complexe, passe sans jamais paraître artificielle de Paris à Venise, en passant par Ryad ou La Mecque. Les personnages existent vraiment. L’idée des fous furieux pour faire sauter La grande Mosquée est tordue mais plausible. La description des différents lieux et de leurs habitants donne l’impression qu’on y est. Le roman est rythmé, la narration passe de façon fluide et efficace d’un point de vue à l’autre …
Au final, l’intérêt du lecteur ne faiblit jamais tout au long des 550 pages et on a l’impression d’être un peu moins bête en refermant le bouquin. Bref, une réussite.
Barouk Salamé / Arabian thriller, Rivages/Thriller (2011).
PS. Petites notions de technologie spatiale donc.
1. Au risque de me répéter, un GPS (celui que vous avez peut-être dans votre voiture) est un récepteur qui reçoit les signaux envoyés par des satellites et calcule ainsi sa position. Mais il n’émet rien. On ne peut donc pas se guider sur un GPS.
2. On ne peut pas suivre quelqu’un avec un satellite. Les lois de la nature sont têtues. Un satellite tourne autour de la Terre. Tout le temps. Comme la lune. Donc si on veut suivre quelqu’un qui se trouve, par exemple, à Ryad, il faut attendre que le satellite passe au dessus de Ryad. Et espérer qu’à ce moment là il n’y aura pas de nuages (ce qui est probable à Ryad, plus aléatoire à Londres ou Galway), et qu’il fera jour.
Et il passe au mieux toutes les 100 minutes (à la louche). S’il a été mis sur une orbite qui passe et repasse toujours au dessus de Ryad. Mais alors, avec ce satellite on ne verra jamais Pékin, ni Caracas.
Sinon, on a un satellite qui passe un peu partout ; dans ce cas il ne repasse au dessus de Ryad que tous les deux ou trois jours. Le méchants a donc tout le temps de faire se saloperies en cachette.
Seuls les satellite dits géostationnaires restent tout le temps au dessus du même point car ils sont sur une orbite qui tourne … A la vitesse de rotation de la Terre. Le problème est qu’il faut alors les mettre sur l’orbite géocentrique qui se trouve au dessus de l’Equateur, à 36 000 km. Et de si loin, on ne voit que des objets de plusieurs centaines de mètres. Le méchant passe donc totalement inaperçu.
3. La France ne dispose pas de tant de satellites d’observation que ça. Difficile (et même plutôt rigolo) d’imaginer que, même avec l’appui d’un conseiller direct du Président, deux gugusses comme nos deux héros puissent avoir, comme ça, toutes les ressources d’un de ces satellites pour eux tous seuls. Encore plus rigolo si on imagine que, pour voir ce qu’il veulent voir, ils faut avoir la main sur un satellite militaire …
Tout ça pour dire que la technologie spatiale comme Deus ex machina c’est peut-être sexy, mais c’est pas du tout, mais alors pas du tout crédible.
Tient, comme je suis gentil, et que je m’agace parfois de lire de trop grosses incongruités, je m’engage solennellement à offrir gracieusement mon aide à tout auteur de polar qui voudrait mettre un poil de spatial dans ses intrigues.