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8 janvier 2008 2 08 /01 /janvier /2008 19:01

On ne peut pas tout lire, et on passe forcément à côté d’excellents romans. J’étais donc passé à côté de La frontière de Patrick Bard. Grâce à la fête organisée pour la sortie du DILIPO, j’ai comblé cette lacune.

 

bard-frontiere.jpgCiudad Juarez, à la frontière entre le Mexique et les USA, les maquiladoras fleurissent : Ces usines d’assemblage emploient une main d’œuvre soumise et bon marché, ne respectent aucune règle, ni sociale ni environnementale. Le paradis pour toutes ces grandes firmes américaines, européennes ou asiatiques, l’enfer pour les employées, quasiment toutes des femmes, jeunes et sans formation, taillables et corvéables à merci. Un enfer qui empire quand, à partir de 1995, des cadavres de jeunes femmes violées, torturées et mutilées commencent à apparaître dans le désert aux portes de la ville. Toni Zampudio est envoyé par son journal madrilène pour couvrir la fin de l’enquête et le début du procès des assassins présumés : un ingénieur américain déjà condamné pour viol, et une bande de voyous culturistes et vaguement satanistes. Il va vite s’apercevoir que l’affaire est plus complexe et atroce qu’il n’y paraît, et entamer un voyage au bout de l’horreur.

 

Expédions tout de suite la légère réserve que l’on pourrait avoir : ce roman est l’œuvre d’un journaliste qui de toute évidence a été secoué par ce qu’il a vu à la frontière mexicaine et tient à en faire part à son lecteur. C’est donc parfois un peu didactique, même si ce n’est jamais lourd ou inintéressant. Bien entendu, si le lecteur en question ne veut surtout pas savoir pourquoi son four à micro-onde ou sa télé sont si peu chers, s’il veut juste une histoire et ne veut pas se prendre le chou avec le récit des malheurs du monde, et des mécanismes qui font que ses actions Machin, Bidule ou Trucmuche lui rapportent tant par an, il va trouver que ces passages sont en trop. Vous vous doutez à la lecture de ces lignes que je ne suis pas ce lecteur.

 

Pour les autres, préparez-vous à un double choc. Un premier parce que roman est bien ficelé, avec un suspense qui va croissant, et une horreur croissante. Signalons à ce sujet que Patrick Bard qui décrit pourtant des abominations le fait en évitant tout voyeurisme et tout sensationnalisme.

 

Et surtout un second parce que, même si la résolution de l’enquête est de l’ordre de la fiction (mais malheureusement pas de l’ordre de l’improbable), les faits décrits, eux, sont réels. Oui, nos chères usines sont coupables, en toute impunité, oui, s’il y avait une justice internationale digne de ce nom, tous les PDG ou presque des grandes multinationales devraient passer en jugement pour crime contre l’humanité, et oui, les actionnaires qui ne veulent rien savoir et ne voient pas plus loin que le bout de leur dividendes sont complices. Oui encore, des dizaines de femmes ont été violées, torturées et tuées à Ciudad Juarez, et l’affaire n’a jamais été totalement élucidée. Et oui encore, ce n’est finalement que la conséquence atrocement logique de la façon dont elles sont exploitées, maltraitées et considérées comme de la viande dans les maquiladoras qui les emploient. Des entreprises qui leur nient toute dignité et toute humanité.

 

Alors non, ce n’est pas un roman agréable, c’est même un roman que l’on aimerait ne jamais avoir à lire, mais c’est un roman indispensable. C’est un roman qui fout en rogne, qui donne envie de hurler d’impuissance et de rage. Pas étonnant après ça que Patrick Bard soit parti sur les traces du Che.

 

Patrick Bard / La frontière (points seuil, 2003)

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commentaires

J
à propos Patrick Bard est aussi photographe ; il a déjà publié plusieurs recueils, dont un photo-reportage (en N&B, magnifique...) sur la frontière américano-mexicaine ("El Norte")et les clandestins prêts à tout pour rejoindre le pays le plus riche du monde...
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R
un livre remarquable, écrit comme un roman policier-enquête pour raconter une histoire vraie ou plutôt un immense "fait divers" SOIT disant non résolu mais en fait les a t on vraiment cherchées toutes ces victimes, la corruption est telle !!! <br /> la fin est poignante et plutôt rare dans les romans !
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M
pour en savoir plus sur ce sujet, je vous invite à lire le livre étonnant de Sergio Gonzales Rodriguez "des os dans le désert", Passage du Nord Ouest. Une non-fiction littéraire écrite par un journaliste sur un Mexique et des victimes authentiques. C'est étouffant et dérangeant. L'auteur a fini à l'hosto à la fin de son enquête qui visiblement dérangeait un peu trop.
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B
Je n'ai pas lu le livre et pas vu le film (ça c'est un commentaire constructif) mais je crois bien que le résumé du bouquin que je n'ai pas lu me fait penser au scénario du film que je n'ai pas vu : Les oubliés de Juarez, assez récent avec Jennifer Lopez ...<br /> http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=59401.html
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J
Comme je le dis dans la note, le faits divers à la base du bouquin est réel (il suffit d'aller chercher sur Google pour trouver des dizaines d'articles qui lui sont consacrés). Il y a eu aussi divers bouquins, dont celui de Patrick Bard, et cela ne m'étonne pas qu'il y ait eu des films,  inspirés par la réalité, mais pas tirés du roman. En plus du fait divers, La frontière propose une description de la ville (réelle), des conditions de travail (réelles), et propose une explication aux meurtres (imaginées mais plausible).

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