J’en avais entendu parler, certains ici ont insisté, j’ai donc lu Aux animaux la guerre de Nicolas Mathieu. Merci à ceux qui ont insisté.
Quelque part dans les Vosges, un équipementier de l’automobile va fermer. Pas de quoi faire les gros titres. Qui s’y intéresse à part ceux qui vont rester sur le carreau et une inspectrice du travail ? L’hiver approche, le froid et la neige viennent plomber le ciel, et certains n’ont plus rien à perdre … Toutes les conditions sont remplies pour que les choses finissent mal. Le déclencheur : Quand Martel, délégué du personnel noyé sous des problèmes d’argent et Bruce, un intérimaire bas de front et gavé de stéroïdes décident de s’associer avec les petits caïds du coin pour aller enlever une pute à un concurrent à Strasbourg. A partir de là, tout dérape.
Merci à ceux qui ont insisté donc. D’emblée (c’est son premier roman), Nicolas Mathieu frappe un grand coup. C’est qu’on croyait ces chroniques du déclassement des « petits blancs » réservées à nos amis américains. Aux Frank Bill, aux Chris Offut, aux Larry Brown. Et bien non, on a cela aussi chez nous maintenant grâce à ce roman.
Et la comparaison n’est pas innocente.
Parce que Nicolas Mathieu choisi un territoire, un des rares, où, comme dans certains coins des US la nature peut faire sentir son emprise : ici le froid, la neige qui pèsent sur les gens, sur leur vie quotidienne.
Parce qu’il dépeint de façon terrible comment le racisme, la bêtise, la haine sont le résultat inévitable de la misère, de la peur, de la souffrance.
Parce qu’il nous montre des communautés qui se défont, un monde ouvrier qui n’existe plus en tant que tel et perd ses valeurs (c’est très bien écrit, très clairement et sans jamais insister). Parce qu’il sait aussi dépeindre ce monde en train de disparaître en tant que communauté, un monde que le patronat a très bien su diviser en séparant les « historiques » (de moins en moins nombreux) et les intérimaires, variable d’ajustement pour ceux qui commandent, boucs émissaire et responsables de tous les maux pour ceux qui subissent.
Voilà, rapidement, pour le fond, déjà passionnant. Mais cela ne s’arrête pas là (ou plutôt ne commence pas là). La forme est au diapason.
Au risque de perdre son lecteur, Nicolas Mathieu fait le choix d’un roman choral et mêle les temps sans avertir son lecteur. Cela surprend au début, puis on s’y fait et ça donne une très grande force et cohérence au roman. On sait que ça ne peut que mal finir, mais quand, comment, et pour qui ? Très belle progression et construction de l’intrigue.
Et quels personnages ! Aucun n’est monolithique (sauf peut-être le pauvre Bruce qui est vraiment trop con), ils existent tous, on les côtoie, Nicolas Mathieu leur donne une chair, des rêves, des mots (tous les dialogues sonnent juste), des failles, des éclairs de courage … bref une humanité.
Vraiment, pour un coup d’essai c’est un coup de maître, un auteur à suivre sans le moindre doute.
Nicolas Mathieu / Aux animaux la guerre, Actes Sud (2014).