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23 novembre 2008 7 23 /11 /novembre /2008 21:16

Chemin des Dames, 1917. Cela fait beau temps que l’enthousiasme de 1914 a disparu. C’est tous les jours l’horreur, l’épuisement, la perte de petits bouts d’humanité … Dans cet enfer et ce chaos, le capitaine Duparc est chargé d’assurer la défense du soldat Jonas dit Tranchecaille, accusé d’avoir tué son lieutenant lors d’une offensive. Duparc prend son rôle très à cœur, alors que les hauts gradés qui vont le juger sont déjà bien disposés à le faire fusiller. Le capitaine n’a que quelques jours pour découvrir qui est Tranchecaille. Un jeune homme un peu simple, comme il parait, ou un redoutable simulateur ?



Dans l’enfer des tranchées Patrick Pécherot écrit un roman exceptionnel. Difficile de le commenter sans tomber dans l’excès, difficile d’en dire quelque chose qui ne soit forcément partiel et réducteur. Tombons donc dans l’excès. Tout est admirable dans ce roman.



Le rendu de l’époque, l’horreur, les copains tués, la boucherie quotidienne, la camaraderie, la mesquinerie, la fraternisation avec les boches, l’espace d’un moment, la peur paralysante de la sape, la désinformation à l’arrière, la perte de cette part d’humanité et de sérénité qui empêche le retour à la vie normale le temps d’une permission, la paranoïa et l’incompréhension à l’arrière, l’arrogance de certains hauts gradés, l’épuisement d’un médecin …



La construction ensuite, faite de petites touches, de points de vue aussi variés que complémentaires. Une façon de dresser le tableau complet d’une époque, et le portrait d’un homme. Une façon de dire l’indicible, de mettre des mots sur ce qu’aucun mot ne peut décrire.



Le travail de la langue qui va avec gouailleuse, précise, descriptive, hachée, raide, lyrique, saignante … suivant l’interlocuteur. Un travail admirable sur les niveaux de langage, le vocabulaire, les rythmes, qui fait que toutes les voix sont crédibles, toutes sonnent juste.



L’enquête qui prend forme peu à peu, tout en finesse et en suggestion, sans jamais forcer le trait ou imposer une conclusion. Une enquête qui prend à la gorge, peu à peu, même si l’issue tragique est connue dès les premières lignes. Une enquête qui, jusqu’au bout réussit à entretenir le doute et l’ambigüité.



Grâce à ces magnifiques qualités, le lecteur, comme le capitaine Duparc, arrive à s’indigner et à se préoccuper du sort d’un homme, alors qu’autour ils tombent par centaines. Une façon de rester humain, malgré l’enfer.



Au final, une réussite exceptionnelle. Jeanjean, une fois de plus est sur la même ligne.



Patrick Pécherot, Tranchecaille, série noire (2008).

 

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20 novembre 2008 4 20 /11 /novembre /2008 22:04

Né en 1940 et mort à l’âge de 42 ans, Ted Lewis a écrit seulement huit romans dont cinq ont été traduits en français et publiés chez rivages. S’il fallait résumer son importance, il suffirait de dire que Robin Cook l’admirait et le considérait comme l’écrivain qui lui avait ouvert la voie. Qu’ajouter à cela ?

Là où Jake Arnott dresse un portrait du crime londonien et de son impact sur le reste de la société, en insistant en particulier sur ses liens avec le monde politique, et sur la fascination qu’il suscite dans les media et le public, Ted Lewis nous y plonge droit dedans, sans jamais nous laisser l’occasion de relever la tête pour voir ce qu’il y a autour.

Sa série consacré à Jack Carter, sorte de Parker londonien, en plus cynique (si si, c’est possible) et bien plus noir et violent (là encore c’est possible) et surtout en beaucoup plus glauque, est représentative de son œuvre. Jack Carter est « au service » des frères Fletcher, deux caïds londoniens. Il est sans pitié, sans scrupules, et surtout sans illusion sur ses employeurs, qu’il trompe d’ailleurs (dans tous les sens du terme) allègrement.

Que ce soit Le retour de Jack ou Jack Carter et la loi, inutile de chercher des truands flamboyants ou fascinants. Pas de parrains à la Brando, ni même à la Scarface. Juste des hommes malins, brutaux, cruels mais également assez bêtes et totalement incultes, qui règnent par la peur et la violence.

Quand il sort du milieu du crime organisé, le tableau ne s’éclaircit pas. Plender en est un magnifique exemple : Plender était à l'école le souffre douleur, le prolo. Il est maintenant détective privé pourri mais friqué. Son fond de commerce : chantages, adultères … A l’école Knott faisait partie de la même bande, mais lui avait du succès. Il en a toujours ; marié avec une femme qui a de l'argent, il est photographe, et travaille pour des catalogues de sous vêtements. Il en profite pour baiser avec tous modèles qui passent par son studio. Un soir, Plender surprend Knott en train d'essayer de se débarrasser du cadavre d'une jeune femme, morte connement en sortant de son atelier. Il tient alors sa vengeance.

Ce roman à deux voix, passant du point de vue de Plender à celui de Knott, est d’une noirceur totale. Les deux protagonistes sont de parfaits salauds, immondes, sans morale, venimeux et dangereux. Leur affrontement est visqueux. La construction de l'intrigue est impeccable. On ne peut lâcher le bouquin, fasciné et on le referme sonné, avec une image de l'Angleterre bien éloignée des fastes royaux.

Pas étonnant que Robin Cook l’ait considéré comme un maître. Ci-dessous une bibliographie très incomplète. De toute façon, pour les autres c’est facile, c’est aussi chez Rivages.

Le retour de Jack (Jack’s return home, 1970) Rivages/noir (1991). Traduit de l’anglais par Jean Esch ; Plender  (Plender, 1971) Rivages/noir (1996). Traduit de l’anglais par Jean-Paul Gratias ; Jack Carter et la loi (Jack Carter’s law, 1974) Rivages/noir (1995). Traduit de l’anglais par Jean Esch
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20 novembre 2008 4 20 /11 /novembre /2008 10:12
La série noire continue, c'est Jeanjean de Moisson Noire qui m'a fait passer l'info, confirmée sur le blog de Sarah Weinman qui propose des liens vers des interviews et analyses (en anglais bien sûr).

George Chesbro, traduit et publié en France chez Rivages, était l'auteur d'un roman très noir, Bone, se situant parmi les SDF à New York, et surtout le créateur de ce qui restera sans doute le privé le plus improbable du monde, pourtant haut en couleur, des enquêteurs hard-boiled : Mongo le Magnifique, nain, ancien artiste de cirque, ceinture noire de karaté, brillantissime spécialiste du monde du crime, qui menait des enquêtes qui flirtaient souvent avec le fantastique.

Une voix singulière vient de s'éteindre. Et même si je n'ai pas lu tous les Mongos, il était bon de savoir qu'on pouvait, de temps en temps, le retrouver. C'est maintenant fini, c'est bien triste.
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19 novembre 2008 3 19 /11 /novembre /2008 21:27

Les visiteurs attentifs auront sans doute remarqué que cela faisait un petit moment que je n’avais pas causé bouquins. Ils n’ont rien dit, parce qu’ils sont gentils, mais ils n’en pensaient sans doute pas moins. A cela deux raisons.

Tout d’abord, mon week-end fut occupé, me laissant peu de temps pour lire. Et ensuite, j’étais un peu en train de ramer dans un bouquin que je ne voulais pourtant pas lâcher. C’était La langue chienne d’Hervé Prudon.

Tintin et Gina sont mariés et vivent dans une petite maison au bord de la mer. Pas la grande bleue avec son soleil et se baigneurs. Plutôt la petite grise, là haut, dans le nord, là où passent les cargos et où souffle la tempête. Tintin est un rejeton de la classe moyenne, grand manieur de langue et d’idées, mais sans ambition ni énergie. Tintin est complètement amoureux de Gina. Gina est femelle. Pas belle, pas souriante, pas charmeuse, femelle. Souvent, très souvent, Franck vient s’installer dans leur maison, et dans le lit de Gina. Franck est musclé, primaire, presque dépourvu de mots et d’idées.

Je suis bien embêté pour écrire ce billet. Parce que, à mon grand regret, je n’arrive pas à entrer dans la littérature d’Hervé Prudon. C’est de la grande, de la bonne. Je le sais, on me le dit, et même, je ne suis pas si bouché, je m’en rends compte. Mais je n’accroche pas. Ce roman me fait l’effet d’un coffre à bijoux : Vous l’ouvrez à n’importe quelle page, vous lisez n’importe quel paragraphe, c’est un bijou. Langue magnifique, qui donne envie de lire à voix haute, poésie pure.

Pour illustrer cela, je vous donne un exemple. Promis, juré, j’ai ouvert au hasard :

« Certains pays mijotent dans leur jus, croupissent dans leurs marigots, ou tiédissent dans leurs tasses de thé, ce pays-ci ne baigne pas dans sa mer, trop froide, impénétrable, mais dans le vent, dans son vent, son bourreau outillé d’un tranchoir en acier scandinave, impitoyable et transparent, qui découpe les yeux et jette les gens les uns contre les autres, créant du lien social et des quiproquos cocasses. Les relations humaines et les variations d’humeur suivent l’échelle de Beaufort.

Je ne suis pas d’ici.

Je ne m’y suis pas fait, à ce vent, à cette vie. Il y a des gens qui ne se font nulle part. Ils ne savent pas y faire. A lieu de se faire une raison, ils se font une folie. Ils sont faits comme des rats, bourrés et bourrés et ratatam. »

Mais, au bout d’un moment, je me lasse. De fulgurance en fulgurance, je ne trouve pas le lien, l’allant, l’envie de tourner les pages. Et ça me manque. Sans doute une incapacité chez moi à apprécier vraiment la poésie. Malgré des personnages étonnants superbement décrits, cela va sans dire, malgré des scènes et des dialogues d’anthologie (comme ce repas avec les voisins), je n’avance pas. Je m’enthousiasme par petits bouts, par à-coups, je n’arrive pas à apprécier le tout.

Dommage. Pour moi.

Hervé Prudon, La langue chienne, série noire (2008).

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18 novembre 2008 2 18 /11 /novembre /2008 11:41

Ceci s’adresse aux enseignants en grève jeudi …

… Et mérite un préambule que voici : Je suis de tout cœur avec vous.

Mais.

Mais je suis de toute façon, viscéralement acquis à votre lutte, donc il n’est pas très difficile de me convaincre de l’utilité de votre action. Mais également, je ne suis malheureusement pas représentatif de la population française (sinon, on n’aurait pas le président et l’assemblée qu’on a), ni même de la masse des parents d’élèves.

Or notre cher gouvernement, et ses chiens de garde de l’administration de l’éducation nationale communiquent beaucoup mieux que vous. Je sais qu’il y a grève jeudi. Comme je m’intéresse, je devine pourquoi. Ou du moins, je pourrai citer des dizaines de raisons, sans savoir très précisément si la grève est motivée par toutes, ou par certaines d’entre elles.

Donc, une fois de plus, votre grève va mal passer, alors que ce sont les parents qui devraient être dans la rue. Une petite suggestion donc, à faire passer, si jamais quelques enseignants visitent parfois ce blog.

Pourquoi ne pas mettre par écrit, de façon claire et illustrée (et oui, pour être compris de tous il faut illustrer par des exemples qui font pleurer dans les chaumières, ou qui inquiètent le quidam) la casse en cours ? Et se rapprocher des fédérations de parents (les bonnes bien sûr, pas celles qui hurlent que les enseignants sont des privilégiés qui ne veulent pas travailler et ont trop de vacances) pour faire distribuer, toutes les semaines, une petit trac, clair, concis, qui expose un raison par semaine. Et faire monter la grogne.

Comme ça, à communiquant, communiquant et demi. Et je suis prêt à faire les sorties des écoles (en tout bien tout honneur), parce que, finalement, c’est moi et mes enfants que vous défendez. Alors c’est à moi, et mes enfants, de nous bouger le cul.

Et dans quelques semaines, des hordes de parents déchaînés accompagnés de minots hilares déverseront des tombereaux de couches usagées devant le ministère, envahiront les rectorats scélérats, passeront les inspecteurs complices aux goudron et aux plumes, renverseront les mairies qui organisent la garde les jours de grève, et obligeront l’incapable en chef à apprendre à faire une règle de trois.

Chiche !

Pour finir, et sourire, Jean-Pierre Martin, sur son blog, pose la vraie question : Faut-il laisser en liberté les députés UMP ?
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16 novembre 2008 7 16 /11 /novembre /2008 23:05
Ouf ! Fin d'un week-end chargé. Mais Snif, fin d'un week-end intéressant.

Après Montepellier, c'était cet après-midi à Toulouse la rencontre avec les filles du noir, à savoir Patricia Parry, Fabienne Ferrère, Solenn Colléter, Magali Duru et Emmanuelle Urien.

Une rencontre pleinement réussie, et très frustrante, du moins pour moi.

Frustrante parce que 1H30, sans possibilité de déborder parce qu'il y avait une autre rencontre après, pour discuter avec cinq auteurs qui ont des choses à dire c'est très court. Et du coup, il y a plein de sujets que j'aurais voulu aborder (et elles aussi) qui sont restés sur la touche.

Réussie, tout d'abord parce qu'il y avait du monde et que les gens dans la salle ont participé.

Réussie aussi parce que l'idée d'une lecture croisée (qui était leur idée), s'est révélée excellente. Il faudrait demander leur avis aux spectateurs, mais moi je me suis régalé.

Réussie pour finir, parce qu'on a eu là l'exemple de ce qui pour moi fait toute la différence entre un débat "live", et un interview par mail (l'autre extrême). C'est à dire qu'à partir de quelques questions préparées, de quelques commentaires de hasard, les unes et les autres ont rebondi, se sont répondues, et ont fini là où personne n'avait prévu d'aller.

Merci aux spectateurs, et merci aux filles du noir.
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15 novembre 2008 6 15 /11 /novembre /2008 18:48
Un grand merci à l'équipe de la médiathèque Jean-Jacques Rousseau de Montpellier, qui m'a donné l'occasion de me livrer à une de mes activités préférées : discuter polar avec des passionnés.

La rencontre était parfaitement préparée, une superbe bibliographie réalisée, et une bonne quinzaine de personnes au rendez-vous.

Résultat, presque deux heures de tchatche, pour présenter ces polars que j'aime tant, et qui ne sont pas toujours aussi connus qu'ils le méritent.

Deux heures avec des lecteurs enchantés de découvrir de nouveaux auteurs, de nouvelles pistes de lecture, mais également des lecteurs qui, pour certains, connaissaient déjà bien, voire très bien, les auteurs en question.

Deux heures à parler de Chavarria, Medina, Chainas, Carlotto ou Meyer. Et pas un mot de Millenium ou du Da Vinci ! Le bonheur.

Ajoutez à ça, un accueil chaleureux, et le plaisir de voir l'infatigable Michel, grand ordonateur du festival de Frontignan. De quoi donner envie de recommencer ...

Merci à tous.
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13 novembre 2008 4 13 /11 /novembre /2008 21:37

Tout d’abord un petit rappel.

Je serai à Montpellier, à la médiathèque Jean-Jacques Rousseau, samedi matin à partir de 10h30, et dimanche après-midi à Toulouse, au centre Pierre Baudis à 14h00 pour animer la rencontre avec les filles du noir. Explications ici.

Et maintenant, un super scoop !

Il vient une fois de plus du blog de Sarah Weinman, il concerne, déjà, le prochain Lehane. C’est là, et c’est en grand-breton.

Et maintenant, comme je vais avoir un week-end bien rempli, à la semaine prochaine.

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13 novembre 2008 4 13 /11 /novembre /2008 21:24

Laure devrait être contente. Après une enfance et une adolescence difficiles, elle est amoureuse de Martin, et vient de rentrer, avec lui, dans l'une des plus prestigieuses écoles préparatoires de France. La voie royale (dit-on), vers les plus hautes destinées. Le week-end d'intégration s'est plutôt bien passé, et les autres élèves sont beaucoup moins ennuyeux qu'elle ne le craignait.

Mais le dimanche, en fin d'après-midi, l'enfer commence. Bizutage intensif, violences physiques et surtout psychologiques, humiliation permanente, privation de sommeil et d'intimité … Tout cela au nom de la tradition, et soi-disant pour souder les élèves. Cent fois Laure est sur le point de se rebeller, cent fois elle courbe la tête, se haïssant pour sa lâcheté. Ce qui pourrait n'être "que" traumatisant tourne au drame dès le premier soir. Laure aperçoit, un instant, un corps désarticulé dans la cour. Mais rien, aucune réaction, personne ne dit rien. A-t-elle rêvé ? Est-ce une manipulation de plus ? Ou le bizutage a-t-il vraiment dérapé ce soir là ?

Malgré une maigre intrigue policière qui vient mettre du piment et du suspense dans ce roman, Je suis morte et je n’ai rien appris de Solenn Colléter n’est pas un polar. L’enquête est anecdotique, et le sujet est ailleurs. Le sujet c'est le bizutage que l’on croyait pourtant disparu.

Au-delà de la description des faits, c’est surtout le démontage des mécanismes qui font que des jeunes gens, a priori sains d'esprits, acceptent de se faire humilier une semaine durant, sans jamais se révolter. Comment cette manipulation, car cela en est bien une, va en faire, quand leur tour viendra, de parfaits bourreaux, qui se seront auto persuadés que, finalement, ils s'étaient bien amusés.

Comment également, des fils et filles de très bonne famille, ainsi que tout leur entourage, qui feraient sans doute un procès retentissant au premier enseignant  qui oserait ne serait-ce que lever la main sur eux, ou au premier minot qui oserait les traiter de quelques inoffensifs nom d’oiseaux, acceptent de subir les pires sévices, parce qu'ils sont entre eux, parce c’est la tradition, parce que ces choses là ne doivent pas sortir d’une certain cercle, parce ce serait sans doute trop humiliant que cela se sache, parce que ?

Tout cela est palpable dans le roman, que l'on lit dans un état de stupéfaction permanent. On sent la fatigue, le sentiment de dégoût, de haine pour ce qu’on accepte, l’imbécillité, le sadisme adolescent, l’incompréhension … Avant de se demander, bien entendu, comment on aurait réagi soi-même, à cet âge là.

Parce qu’il est trop facile de se dire qu’à plus de 40 ans (ben oui, c’est triste à dire, mais j’ai plus de 40 ans), le premier qui approche aurait pris un pied, une main, une pala (pour les gens du sud-ouest), ou tout autre ustensile pour les autres, dans la tronche (ou ailleurs). Si on y pense deux fois, on se demande forcément ce qu’on aurait fait à 17 ou 18 ans, quand on est encore fragile, et qu’on a l’impression que si l’on craque, on ne pourra pas rester dans cette école, et que, forcément, on hypothéquera son avenir. Question intéressante, à laquelle il est bien difficile de répondre honnêtement …

Solenn Colléter, Je suis morte et je n’ai rien appris, Albin Michel (2007).

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11 novembre 2008 2 11 /11 /novembre /2008 22:10

« Combien de doigts, pense Broadstreet. Combien de doigts, combien d’orteils, combien de sang dans le béton de la ville ? Combien de corps fossilisés dans les soubassements des tours de béton, dans les piliers des ponts, dans les murs des barrages ? Leurs cris pétrifiés, leurs bras et leurs jambes éternellement pétrifiés. Quand le tremblement de terre se produira, ils seront libérés. Ca fera autant de squelettes protégés par des casques, espérant qu’il s’agit du Jugement dernier. Ce ne sera pas le cas. » Noir Béton, Eric Miles Williamson.

Broadstreet, Rex, Juan, Don Gordo, Root … et quelques autres construisent l'Amérique, jour après jour, en projetant de la gunite, ce mélange de ciment, de sable et d'eau, sur les piliers des ponts, les parois de réservoirs ou les murs d'édifices qu'il faut consolider. La gunite est leur vie, elle les imprègne, pénètre leurs yeux, leur peau, leur sang. Pour tenir, il y a l'alcool, la drogue et la violence. Souvent, l'accident, et c'est la mutilation ou la mort. Les patrons sont sans pitié, les syndicats inexistants. Jour après jour, ils luttent, souffrent, construisent. Jour après jour ils sont fiers de faire un boulot dont personne ne veut, un boulot trop dur pour le commun des mortels.

Après le magnifique Gris-Oakland, paru dans La Noire en 2003, voici Noir Béton. Un béton trempé dans le sang des hommes qui, immanquablement, un jour ou l'autre, finissent par mourir d'épuisement ou d'accident. Là où Gris-Oakland laissait au personnage principal une échappatoire à travers la musique, Noir Béton ne laisse aucun espoir. Apre, dur, violent, le monde sans pitié de ces travailleurs n'est ici éclairé par rien, ou presque. Juste une soirée, encore en musique, où certains fraternisent, par-delà leurs différences. Le reste du temps, rien, pas une lueur. Juste une lente déchéance, l'alcool de plus en plus indispensable pour calmer les douleurs, pour ne pas rêver et pouvoir dormir.

Ce n'est pas un livre aimable, mais c'est un livre beau. Noir, rugueux, âpre, mais beau, paradoxalement. Beau comme la folie qui les prend, beau comme leur fierté absurde de laisser des traces de leur passage sur terre, beau comme quelques notes de trompette volées, beau comme quelques instants de solidarité.

Avec Thomas Kelly, ou le regretté Larry Brown, Eric Miles Williamson fait partie de ces écrivains américains qui donnent une voix à ceux qui travaillent de leur mains. Ni flics, ni truands, ni avocats,  journalistes ou privés, pas davantage putes, macs ou exclus vivant en marge, ils ont un boulot, dur, violent, dont ils sont fiers, et, d’une certaine façon, sont parfaitement intégrés à la société. Noir béton n’est pas un polar, il n’y a pas d’intrigue, d’enquête, même s’il y a des morts, dont le sort est ouvertement accepté par tous, mais c’est un sacré roman noir. Un roman noir héritier du roman social. La France avait Emile Zola, l’Angleterre Charles Dickens, les US ont Williamson, Brown, Kelly … Nous attendons encore notre Zola contemporain …

Eric Miles Williamson / Noir béton (Two-up, 2006), Fayard/Noir (2008), traduit de l’américain par Christophe Mercier.

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  • : Il sera essentiellement question de polars, mais pas seulement. Cinéma, BD, musique et coups de gueule pourront s'inviter. Jean-Marc Laherrère
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